6.9.19

Marcheurs écrivains # 4


Roger Pol-Droit : « Comment marchent les philosophes »


« La marche est primordiale pour définir l’humain dans l’évolution des espèces… Marcher debout sur deux jambes, c’est ce qui nous caractérise parmi toutes les espèces…. Cette déambulation bipède a libéré les mains et développé le cerveau. Mais cette marche se caractérise par un déséquilibre permanent !… 
Pour marcher, il faut s’incliner vers l’avant, et cette inclinaison devrait nous faire chuter, mais nous la rattrapons et la répétons pour avancer…
L’interrogation philosophique fonctionne selon le même processus. En effet il faut commencer par ébranler nos propres convictions, remettre en question nos évidences. Il faut se déstabiliser, faire un croche-pied aux certitudes, se rattraper avec des hypothèses. La marche et la pensée, c’est aussi un déséquilibre permanent et contrôlé. 

 Rousseau disait pour sa part : « la marche a quelque chose qui anime et active mon esprit ; je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. »

Lorsqu'on affirme qu’un enfant marche, qu’on demande si un patient récemment opéré peut marcher, qu’on espère qu’une personne âgée soit encore en mesure de marcher, personne n’envisage de randonnée ni de promenade. Chacun parle de ce simple déplacement debout, d’un point à un autre. Il faut y insister : il nous définit. 
Humains, nous sommes des « êtres marchants ». 
La marche peut définir l’humain tout autant que la parole et la pensée. Il est le seul, de tous les vivants, à se déplacer ainsi… il est curieux qu’on ait si peu repéré l’étroite parenté de la marche, la parole et la pensée. »