10.3.17

Apolombamba


6 heures, La Paz : déjà beaucoup de monde autour des cars qui partent rallier les villages en toutes directions. Dans la fraîcheur du matin, les chauffeurs lancent tour à tour les moteurs; l’air est absolument irrespirable, des nuages de gaz carbonique nous enveloppent ; et moi qui ai trop mangé hier soir… L’indigestion qui m’a empêché de dormir ne fait qu’empirer !
7 heures : le départ. Nos craintes sur l’état du car s’estompent une fois celui-ci mis en branle : nous sommes relativement bien installés, le chauffeur conduit en douceur ; appréciable, lorsqu’on sait que le voyage va durer plus de onze heures, dont neuf sur des pistes plus ou moins chaotiques ; par chance, une pause peu de temps après le départ me permet - avant de faire stopper moi-même le car ! - de soulager mes intestins malades…Petit à petit, la forme revient. Les heures passent, la léthargie nous gagne, nous anticipons sur les efforts à venir.
14 heures : premières visions du massif de l’Apolobamba, qui émerge des plaines et collines arides. Le relief se creuse, donnant encore plus de majesté à cette cordillère enneigée. Nous passons le col de Pélechuco, la piste s’élève lentement à 4900 mètres d’altitude, puis redescend brutalement en lacets vertigineux. Nous passons quelques villages, le car s’arrête parfois afin de livrer quelques vivres aux habitants et mineurs de la coopérative aurifère nationale.

18 heures : Pélechuco, le terminus du voyage ; deux compagnons partent en reconnaissance dans le village pendant que les trois autres déchargent les sacs. Nous nous retrouvons bientôt à l’entrée de deux chambres, fort rustiques, à l’étage d’une maison ; Les portes sont si basseset étroites que je dois me mettre à genoux pour entrer en force avec mon sac. Vient ensuite l’heure du dîner, pris dans la maison d’une famille qui sert des repas aux travailleurs et mineurs de passage : une soupe, une tranche de lama avec du riz et des pommes de terre, sans fruits ni dessert.
20 heures : c’est soir de fête à Pélechuco ; nous assistons à la tombée de la nuit à une retraite aux flambeaux, avec les enfants du village encadrés par leurs maîtres et maîtresses, accompagnés des parents. Discours, hymne, fanfare, pour fêter en cette veille du 6 août la date où la Bolivie devint indépendante ; nous assistons à l’expression d’une grande fierté, à la prise de conscience d’un pays qui cherche encore sa souveraineté et les voies de sa réussite.

Au lever du jour, alors que le village tarde à se réveiller, nous partons lentement, cherchant le meilleur équilibre des sacs qui alourdissent maintenant nos corps d’une trentaine de kilos. Nous emportons tout ce qu’il faut afin d’être entièrement autonomes pendant une dizaine de jours, le temps nécessaire pour cheminer au cœur du massif de l’Apolobamba, jusqu’au sommet du Chopi Orco qui culmine à plus de 6000 mètres.

Après une longue journée de marche à remonter des vallées de plus en plus désertiques, nous installons notre premier bivouac.
Cette nuit mon eau a gelé dans la bouteille ; la tente aussi, suite aux effets de la condensation intérieure et du froid extérieur. Il me faut dix minutes pour la débarrasser de sa couche de glace pendant que mes compagnons font chauffer l’eau du petit déjeuner. J’ai dormi avec eux sous la tente, la tête vers le fond étroit, encadré par deux paires de pieds… Je ne le referai plus, le pire n’ayant pas été nos odeurs réciproques, mais le fouettement de la toile sur mes joues par cette nuit animée de violentes bourrasques. La nuit fut blanche, à l’extérieur comme à l’intérieur ; ce matin le teint diaphane de mon visage s’accorde parfaitement aux pâleurs du paysage givré… Nos deux compagnes ressortent de la tente voisine, apparemment  en meilleur état.

Les préparatifs matinaux achevés, nous reprenons la marche sur le long plateau où nous avions fait étape : suivre encore un torrent ferrugineux, dépasser les derniers animaux d’élevage qui évoluent en toute liberté. Nous croisons une horde de petits chevaux, puis un troupeau de taurillons dont l’un fonce subitement vers nous ; par bonheur le cri strident d’une amie stoppera net l’animal !

Fond de vallée : nous attaquons les premières pentes raides constituées de rochers, moraines, rochers, moraines encore et encore ; la respiration se fait plus forte, les hanches et les cuisses travaillent sous le poids des sacs. Lentement, avec des pauses régulières, nous gagnons en altitude. Maintenant il faut libérer nos forces, transporter nos corps et nos charges, ne jamais s’éloigner des autres, être attentifs à l’état de chacun d’entre nous.
Un ressaut rocheux, un col apparaît au dessus de nous : LE « Collado Ingless ». La végétation a disparu, le monde animal et humain aussi, seules subsistent quelques belles plantes grasses rouges ou jaunes, quelques fleurs aussi, aux allures d’immortelles cachées entre les roches. Un effort encore pour passer le col, puis quelques dalles lisses légèrement inclinées s’offrent à nous : elles nous offrent un lieu de bivouac idéal, avec deux trous remplis d’eau, car ici les rochers exposés au soleil emmagasinent suffisamment de chaleur pour empêcher le gel pendant quelques heures ; nous n’en demandons pas plus !
Les brumes et les nuages qui montent depuis l’Amazonie tempèrent légèrement le froid de l’altitude, nous enveloppent parfois, défilent rapidement face à nous; ils animent les masses rocheuses et enneigées qui nous font face ; les glaciers alentours scintillent, habités de milliers de colonnettes, stalactites et orgues de glace.
L’émotion nous saisit ; nous nous étreignons un long moment tous les cinq, affirmant ainsi l’unité de notre groupe face à la sauvagerie des lieux. Les larmes jaillissent : l’Apolobamba, nous y voici enfin, dans cet endroit secret, rêvé depuis si longtemps ; un rendez-vous personnel, une confrontation entre des rêves lointains et la réalité présente.

Le Sorel :

5h30, il fait encore nuit ; le petit déjeuner est pris rapidement, le matériel d’alpinisme préparé dans un sac léger. Délaissant le bivouac, nous partons vers le sommet du Sorel. La veille, nous avions installé nos tentes à la limite des dalles rocheuses et d’un énorme glacier ; il nous faut peu de temps pour prendre pied sur lui, chausser les crampons et nous encorder. Les nuages s’empourprent à l’horizon, une magnifique course glaciaire débute, pour nous seuls.

En tête, notre guide excelle à trouver le cheminement  entre les énormes crevasses qui nous cernent de toutes parts. Nous passons parfois d’un pont de neige à l’autre, franchissons de petits murs de glace, redescendons de fortes déclivités, de face, pieds écartés, toutes pointes plantées dans la glace.
En contre-bas, s’étend un lac immense. Derrière nous, au-dessus de notre bivouac qui nous sert de point de repère, une belle arête mène directement au sommet de l’Azucarani, vers lequel nous reviendrons dans deux jours. Au loin sur notre gauche, à flanc de montagne, notre regard est attiré par de minuscules tâches de couleurs : tout là-bas travaillent des mineurs, qui bivouaquent eux aussi, dans des baraques montées à plus de 5000 mètres ! incroyable… Nous continuons pour notre part en direction du col enneigé du Sorel, dans un monde totalement vierge, animé par les jeux d’ombres et de lumières du soleil sur les nuages et la glace.
Cinq petits humains tentent d’apprivoiser ces lieux, s’émerveillent, s’encouragent, filment et photographient… Nous gravissons les dernières pentes de neige qui mènent au col avant de buter au pied d’une arête rocheuse ; pour l’atteindre, nous escaladons un petit dièdre vertical d’une dizaine de mètres ; nous suivons ensuite l’arête, descendons au creux d’une brèche, perdons quelques minutes à récupérer un piolet tombé un peu trop bas, remontons plus haut ; encore 50 mètres pour arriver au sommet, notre premier sommet dans ce massif inconnu. Le GPS annonce une altitude supérieure à 5500 mètres; les cartes, elles, sont restées totalement muettes sur cette partie du monde.

La météo favorable, nous permet de profiter sereinement du paysage moutonné, hérissé de sommets anonymes ; il ne reste plus qu’à redescendre 500 mètres de dénivelés, louvoyant prudemment sur un glacier peu évident, dans un univers gelé, désertique et fortement engagé.

Retour au bivouac, où je retrouve mon sac de petits déjeuners que j’avais malencontreusement laissé à l’extérieur éventré par je ne sais quel rongeur . Tous mes biscuits ont disparu, ainsi que la moitié de mon lait en poudre ; je devrai désormais rationner mon repas du matin, tous les jours qui suivront !
Le brouillard puis la neige se mettent à tomber, histoire de gâter notre repas, de nous envoyer encore un peu plus tôt à l’intérieur de nos duvets. Nous ne pensons plus qu’à nous réchauffer, enfouis dans notre nid, prêts à refaire une seconde fois notre course, en pensées cette fois, pour revoir les paysages parcourus, les graver à jamais dans notre mémoire.

Azucarani !
L’Azucarani, c’est le sommet sous lequel nous bivouaquons depuis deux jours. En traversant le glacier hier, en direction du SOREL, c’est lui que nous admirions, fin, élancé, au-dessus de nos tentes. C’est une beauté, un chef-d’œuvre qu’un artiste aurait conçu dans chacune de ses lignes dessinant des arêtes équilibrées, dans chacune des teintes sombres de sa face rocheuse, faisant écho aux blancheurs de sa face neigeuse. C’est lui que nous gravissons ce matin : l’Azucarani sera notre ascension la plus esthétique.

Parmi les sommets boliviens que nous avons gravis, Le Huayna Potosi fut un sommet d’initiation, le Parinacota un sommet d’efforts, le Sorel une longue course glaciaire ; l’Azucarani est un sommet de plaisirs !

Derrière notre guide, le cheminement paraît évident ; Le serait-il sans lui ?… Nous abordons les difficultés avec confiance et enthousiasme. Au loin, la mer de nuages, au-delà des barrières rocheuses, semble sagement se maintenir au-dessus de l’Amazonie, sans venir perturber «notre domaine». Nous concentrons notre attention sur les pentes qui se redressent peu à peu, les corniches que nous longeons, la lèvre des crevasses où dégringolent des chapelets de diamants en glaces étincelantes.
Dans la partie finale, chacun prend un second piolet pour franchir quelques passages raides qui nécessitent d’évoluer sur les pointes avant de nos crampons. Nous remontons une goulotte étroite qui fait jonction entre la pente glaciaire située sur notre droite et la pente rocheuse sur notre gauche. Elle débouche sur le sommet, constitué de dalles rocheuses en partie enneigées où nous laissons exploser notre joie. Le soleil et l’absence de vent nous invitent à prendre notre temps, nous restaurer, nous reposer, ce que nous prenons pour un grand luxe, à plus de 5500 mètres d’altitude !
La descente commence dans un esprit paisible mais néanmoins vigilant, agrémentée de séances photos. Retour aux tentes où le soleil nous laisse un peu de temps pour manger et admirer le vol des condors qui planent au-dessus de la vallée, au loin sous notre bivouac… A 16 heures, il est tout de même temps de rentrer sous la tente !…

Chopi Orco
« Stop ! Si ça continue, je rentre par Pelechuco ! »
Après quelques instants de stupeur, les rires : il n’y a que moi à avoir envisagé un possible retour solitaire…
Tout a mal commencé ce matin ; après les insomnies dues à l’altitude, mes gestes se font lents, et je prends du retard dans mes préparatifs ; Si bien qu’au moment du départ, je me retrouve vingt mètres derrière mes compagnons, avec un sac mal ficelé…
Le programme est simple : déménager, quitter notre col et installer un nouveau campement le plus près possible du Chopi Orco, le seul sommet de plus de 6000 mètres en Apolobamba. La journée n’y suffira pas : d’abord, remonter les éboulis, s’encorder puis traverser le glacier pendant deux heures, au cours desquelles nous devons franchir quelques murets de glace ; c’est beaucoup moins sympa que la veille, avec le sac qui vous tire vers l’arrière ! Essoufflé une fois, essoufflé deux fois… à la troisième, carrément énervé : « STOP ! Si ça continue, je rentre par Pelechuco ! »… changement de places dans la cordée, je me retrouve en avant, peu à peu le souffle revient ; nous longeons maintenant une énorme dépression au centre du glacier, un véritable cratère gelé ; nous en suivons les pentes en oblique, les chevilles souffrent afin de planter toutes les pointes des crampons dans la glace ; garder le rythme, inspirer, expirer…
Enfin, nous sortons du glacier et remontons quelques pentes : une piste ! Des traces de 4X4, qui passent certainement par ici pour rejoindre un campement provisoire de mineurs venus exploiter quelques filons d’or. Mais les pistes sont rarement suivies par les trekeurs qui recherchent d’autres trésors…Nous coupons les virages, descendons de quelques centaines de mètres, contournons un gros éperon rocheux qui descend du Sorel, gravi deux jours plus tôt ; virage à droite, changement de vallée, changement de décor : les pentes sont glissantes, les mousses spongieuses, les rochers instables, les gués difficiles à franchir, je n’en peux plus. Mais le paysage entretient ma motivation : une succession de lacs étagés, reliés par un torrent. Au second, nous comprenons qu’il reste encore un troisième niveau à franchir pour atteindre la base du glacier qui descend du Chopi-Orco. Nous évoluons depuis plus de sept heures. Il nous en faudrait encore deux à trois ; nous préférons nous arrêter là, au bord d’un trou, parmi les rochers situés au-dessus du second lac. Je lâche mon sac, mon corps s’effondre… décompression, j’en pleure de fatigue.

Dormi ! J’ai enfin dormi une nuit complète. Je n’ai pas même entendu tomber la neige cette nuit, qui ce matin recouvre les tentes. Emergeant l’un après l’autre, nous nous émerveillons au moment d’ouvrir la tente, à la vue des reliefs immaculés qui nous font face. Nous attendons que le soleil vienne éclairer nos tentes et nos corps, afin de tout ranger dans les meilleures conditions. Ces moments sont propices à l’inspiration : nous photographions de bas en haut, de gauche à droite… Mais il faut déneiger les tentes, et l’onglée saisit les doigts…
Nous redescendons vers le lac. Ce matin, j’apprécie les flancs de montagne saupoudrés de blanc, les paillettes de glace qui scintillent sur l’eau, les sommets qui se reflètent sur l’eau… Nous suivons un moment les rives du lac, mais rapidement plusieurs verrous rocheux, qui surplombent l’eau nous barrent la route; le premier nécessite de déposer les sacs, de les faire passer au compagnon précédent, puis poser délicatement le bout des chaussures sur des grattons rocheux verglacés… ouf ! ça passe ; je peux maintenant réchauffer mes doigts qui ont souffert dans la traversée, car il a fallu ôter les moufles. Un autre ressaut, passé à plat ventre, puis encore un, où il faut faire le grand écart ; nous reprenons joyeusement notre progression et remontons le torrent qui alimente le lac. En haut, se trouve ainsi que nous l’avions prévu, le glacier qui alimente ce torrent, avec un nouveau petit lac formé à sa base. Parmi mes compagnons, le plus en forme de tous porte maintenant deux sacs empilés l’un sur l’autre ; ce n’est pas le mien, mais j’apprécie : ça remet tout le monde à la même vitesse !…

Il est temps d’installer notre quatrième bivouac au pied du gigantesque Chopi Orco. Nous sommes à plus de 5000 mètres, le sommet encore 1000 mètres au-dessus, une grande «bambée» pour atteindre le sommet…demain.

Même en se levant à 4 heures du matin, il faudra être rapides. Nous confirmons nos choix : trois d’entre nous irons au sommet ; nous serons deux à explorer d’autres crêtes proches du bivouac, en attendant leur retour.
Ici, c’est le cœur du voyage : le Chopi-Orco ressemble à un gros gâteau que je déguste des yeux ; la cordée de mes trois amis en aura la cerise qui va dessus.

7 heures : La lumière inonde les lieux et je scrute les pentes : leurs traces dans la neige s’évanouit au loin, au détour d’une croupe ;  ils ont bien progressé …
8 heures : Sous un soleil resplendissant, je décide de partir seul pour quelques heures ; pas de sac, juste quelques barres vitaminées dans les poches, l’eau ne manquera pas car elle surgit de toutes parts. Je gravis les pentes qui bordent le torrent et le lac, constituées de moraines de sable gris et de pierres instables ; elles exigent de bien se pencher en avant, ça dérape sous les chaussures. Une heure plus tard, mes espoirs se concrétisent : le lac glaciaire que nous avions repéré trois jours plus tôt depuis le sommet du Sorel est bien là, éclatant comme un diadème sous le soleil qui fait briller ses bords gelés.
J’ai le sentiment de basculer dans un autre monde en descendant vers son rivage. Ici, c’est un peu comme « Alice au pays des merveilles » : le lac en est une, avec ses bordures de paillettes miroitantes, ses plaques de neige blanche posées sur l’eau bleue où se reflète, à l’envers, les sommets voisins. Le ciel limpide délimite les crêtes enneigées qui contrastent avec les parois rocheuses aux couleurs vives, rouges, jaunes, oranges. J’admire de l’autre côté du lac l’impressionnante vision d’un glacier qui descend d’un sommet jumeau du Chopi-Orco ; une énorme cascade de séracs dégringole, plongeant subitement dans le lac sur une hauteur de plusieurs dizaines de mètres. L’un d’entre eux, dans sa chute, s’est retrouvé au milieu du lac, et semble flotter là, à la manière d’un iceberg.
Ce lieu fascinant, je n’ai pas envie de le quitter ; il me faut le toucher, sentir ce que voient mes yeux ; j’avance sur la rive, les pieds dans la neige, remontant les rochers tombés ici ou là, progressant parfois sur les parties gelées du lac aux endroits où la rive se relève trop.
Au pied des séracs, dont la hauteur m’impressionne, quelques craquements sourds m’engagent à la prudence ; je contourne le premier, dans le sens opposé à son inclinaison, détachant au passage l’une de ses stalactites glacée, transparente et pure ; j’ai besoin du contact physique avec sa réalité précaire, sentir la fonte de son eau, son effilement, son goût dans ma bouche, son utilité à me désaltérer.
Puis lentement je retourne vers la queue du lac, à l’endroit où il déborde en torrent, dans un bruit de murmures qui accompagnent ma descente. En suivant son cours, je retourne vers le bivouac. De magnifiques images se gravent dans ma tête.

12h30 : la cordée apparaît, sur les pentes inférieures ; ils arrivent une demi-heure plus tard. Le succès était au rendez-vous de cette belle matinée… Il leur a fallu bien des efforts, à brasser jusqu’aux genoux pendant plusieurs heures dans une neige poudreuse ; le reste s’est passé sans surprises, suivant la voie devinée la veille depuis le camp de base.
Ce nouvel «Objectif 6000» atteint, nous partageons notre bonheur de pouvoir vivre ensemble ces moments.
Il ne reste plus qu’à ranger notre bazar, juste à temps : le mauvais temps revient comme prévu ! Nous partons installer un dernier bivouac de transition, deux ou trois heures plus bas, en prévision de notre retour futur vers la vallée.

Une fois de plus, la soirée glaciale et la nuit sous les rafales de neige nous imposent un réveil difficile. Nous déjeunons lentement, dans l’espoir que les premiers rayons de soleil sècheront les tentes. Finalement, nous les plions encore humides.
Nous repartons dans l’espoir de rallier le village de Suchez où nous savons qu’un car peut nous ramener vers La Paz. Nous redescendons toutes les pentes déjà gravies, attentifs aux glissades, car la neige recouvre tout et certains rochers sont enduits de verglas. Beaucoup plus tard, prenant pied sur un plateau, nous retrouvons des troupeaux de lamas. Une rivière coule au milieu de vastes prairies ; nous la traversons pieds nus afin de ne pas mouiller nos chaussures, avec l’impression d’arriver « tout en bas » ; nous sommes tout de même à 4500 mètres, et nos jugements sont quelque peu altérés, nous étonnant même « qu’il neige encore ici… ».
Derrière nous, la montagne s’éloigne petit à petit. La piste qui mène à Suchez est longue, vraiment très longue… elle suit un lac éponyme que nous longeons pendant plusieurs heures, seulement entrecoupées de courtes pauses : il n’est pas question d’allonger davantage cette si longue journée.

Village en vue : il nous faut encore une heure et demie pour y parvenir. A mesure que nous nous en approchons, le paysage se dégrade : carrières à ciel ouvert, masures recouvertes de tôles, déchets éparpillés, le village lui-même semble éventré parmi les maisons à moitié achevées. Nous tombons sur un groupe de mineurs qui viennent de débaucher ; les présentations se font, simples et naturelles ; c’est le temps des échanges, de la joie de pouvoir partager nos différences ; ils nous offrent leurs bières, nous n’avons que nos sourires à leur proposer. Ils nous désignent LE Car, et son chauffeur qui habite auprès. Ce soir, nous ne montons pas les tentes : nous pique-niquons dans LE Car et y dormons, en attendant le départ, prévu à 5 heures du matin. Le froid s’intensifie, comment est-ce possible ? Nous restons blottis dans nos duvets, les étoiles réapparaissent après l’averse de grésil qui s’était abattue dans la soirée. Le chauffeur sort régulièrement de la masure voisine pour venir démarrer le moteur et empêcher le gas-oil de geler…

5 heures, le départ ; le car s’arrête après quelques kilomètres parcourus sur la piste : c’est en effet jour de « feria », une foire sortie d’on ne sait où, à la frontière de la Bolivie et du Pérou. Comme il fait encore nuit, on attend l’aube, dans le froid et le vent glacial. Autour de nous, un ballet de phares illumine bientôt le désert, des 4X4 arrivent d’un peu partout, surgis du néant. C’est un spectacle inédit, cette foire au milieu de l’Altiplano, où des villageois venus du Pérou et de la région vendent tout et n’importe quoi. Ici, c’est un évènement, dans des lieux totalement dépourvus de boutiques et commerces. Nous comprenons aussi qu’une autre activité justifie cette feria : quelques chalumeaux brûlent de petits cailloux, placés au creux de simples godets, à même le sol. Une fois refroidis, nous admirons les pépites d’or qui en ressortent ; Il y en a de toutes tailles, toutes formes, un peu granuleuses. Elles sont ensuite pesées et vendues, en monnaie péruvienne, bolivienne, ou en dollars. N’ayant sur nous que quelques euros, et trop peu de bolivianos, nous repartons sans or, mais avec quelques provisions de fruits, pains et fromages.

Le trajet du retour reprend : 8 à 9 heures de piste puis 2 heures de route… Le car emprunte une piste qui traverse de part et d’autre de gigantesques mines à ciel ouvert ; Trous, échafaudages, collines de gravats recouvrent le territoire sur des kilomètres. Puis nous retrouvons la piste que nous avions suivie dix jours auparavant, sur la route de Pelechuco.
Nous regagnons El Alto puis La Paz.

Malgré la perte de quelques kilos, le retour nous a rendus difficiles dans nos choix alimentaires… Chacun a envie de pouvoir enfin « bien manger », mais entre les partisans de poissons frits à l’huile et ceux qui préfèrent la viande de lama, la discorde s’installe !

Un compromis est néanmoins trouvé : Tous au «Rosario», un must de la restauration bolivienne… ça remet tout le monde d’accord !


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article publié dans la revue "BOUTS DU MONDE" :

9.3.17

Sajama


Le Sajama nous fait face, les jumeaux s’éloignent maintenant derrière nous. Les lamas s’écartent à notre approche, des oies sauvages s’envolent à notre passage. Qu’elles sont belles les couleurs de ces heures passées à marcher, parler, admirer le ciel, les lumières, les courbes des crêtes qui s’enfuient jusqu’à l’horizon. Des moments inoubliables, imposés par la puissance des lieux qui s’exprime jusque dans nos êtres.

Nous entrons au village et ses maisons espacées dans quelques larges rues ventées et poussiéreuses, son église qui se détache sur le volcan qui semble si proche; des flonflons attirants s’échappent des murs de l’école où les collégiens s’entraînent avec leurs professeurs aux danses et musiques régionales ; car la fière Bolivie fête jusqu’ici le bicentenaire de son indépendance.

Bientôt nous repartons bivouaquer pour une troisième nuit, en plein vent, au milieu des herbes givrées de blanc, de flaques gelées que côtoient les fumerolles échappées des ruisseaux aux eaux brûlantes…

Après une nuit bien fraîche, les flaques et les ruisseaux gelés étincellent autour des tentes.
Ce matin nous nous détournons vers les sources chaudes, à l’endroit où les vapeurs s’échappent de la terre ; le plaisir l’emporte de pouvoir dénuder nos corps et nos esprits, se prélasser dans une eau douce et soufrée, de détendre les muscles et passions ; des heures de contemplation dans ce paysage où paissent les lamas plus ou moins surveillés par les rares habitantes du village lointain ; un vol d’ibis noirs passe au-dessus de nos têtes et semble nous désigner les prochaines étapes.

Cette nouvelle nuit me semble encore plus froide ! Sous le duvet, ça va : une couche de vêtements, les pieds dans des chaussons en duvet, et la chaleur revient lentement; mais gare à ne pas laisser traîner une main dehors !… Ici, chaque détail, chaque geste a son importance, jusqu’à celui qui permet de régler à la bonne taille l’orifice permettant de respirer ; c’est toute une science, un fin réglage thermique, un nouveau savoir « humanomatique »… à défaut de dormir je me repose tandis que les hurlements du vent passent au-dessus de nous.


Aujourd’hui la montagne Sajama n’a pas voulu de moi ; ce n’est ni mon envie, ni mes capacités physiques qui manquaient à son invitation ; mais les souffrances infligées à mes intestins et autres parties de mon corps par son cousin Parinacota l’avant-veille handicapent mon ascension ; et Sajama ne supporte aucune faiblesse !
« I’am a poor lonesome cow-boy » : c’est la descente solitaire ; il me semble un moment que Jolly Jumper me suit, mais un lama ne se laisse pas monter… Je retrouve bientôt la piste, tout en bas, sur laquelle un 4X4 improbable me dépasse, puis trois ou quatre vélos chaotiques; encore deux heures de marche, le village apparaît. Quelques habitants errent entre les bourrasques de poussières. Enfin, «l’hôtel» : une enfant de six ans ouvre une paillote, me propose une chambre comprenant quelques lits dans une pièce isolée et un coin lavabo : le luxe ! S’occuper de soi, se réchauffer sous les couvertures d’alpaga… attendre.

C’est jour de fête à Sajama, pour l’anniversaire du parc national, créé depuis 70 ans: au programme, discours des représentants officiels venus de La Paz, des responsables du Parc, des  élus municipaux parés de leurs habits traditionnels, hymne national devant le drapeau bolivien… la fierté et de sérénité dominent, ce qui ma foi semble justifié si l’on considère les résultats : une nature préservée, un habitat dispersé, de l’eau potable, et un bon équilibre entre tourisme d’aventure et traditions locales.
Un repas est offert aux habitants des lieux : nous y sommes aussi conviés ! Un ragoût d’alpaga nous attend, accompagné de pommes de terre et maïs, copieusement arrosé de nombreuses « Huari » (bière locale)… Nos hôtes mâchent la coca et vident leurs petites fioles d’alcool… après tout, il faut bien combattre les froideurs !

Les amis reviennent du sommet. Ils ont vécu une nuit de bivouac extrêmement ventée, à mi-pente. Avant de partir vers le sommet, ils avaient dû affaler les tentes, récupérées au retour, avec de lourdes pierres pour ne pas les voir s’envoler. Le sommet a été atteint sans autres problèmes que la fatigue et le froid, après avoir progressé au milieu des pénitents de glace, gardiens du vaste dôme sommital. Mais le plus éprouvant fut la longue descente, un très long dénivelé de 2500 mètres au cours duquel les pieds et l’organisme a souffert.

Nous nous retrouvons plus tard à quelques kilomètres du village, où bouillonnent des geysers : à l’entrée d’un vallon, les vapeurs sortent de terre, l’eau exulte, la glace combat l’ébullition ; les mousses, l’eau et les sels minéraux offrent un merveilleux chatoiement de couleurs. Ce sera notre dernière vision avant de reprendre la route vers La Paz. La  dernière journée dans cette région nous aura fait vivre de surprenants contrastes: au froid glacial de Sajama succède la relative douceur de La Paz, aux étendues désertiques la cohue de la ville, à la frugalité du village l’abondance du repas, au silence des pierres le brouhaha de la cité.

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8.3.17

Parinacota

Les jumeaux :

Pour rejoindre les volcans Parinacota et Pomerape, il faut traverser la pampa, les ruisseaux, les collines, l’espace lunaire qui s’étend au pied des volcans ; puis installer la tente au milieu d’un monde immense, où l’on se sent bien petits auprès des géants qui se dressent au-dessus de l’Altiplano.
Face aux jumeaux se dresse le grand cousin, Sajama, LE volcan qui domine l’Altiplano, sommet de la Bolivie, qui du haut de ses 6500 mètres règle la vie du village, du parc national, et de toute la région.

Parinacota et Pomerape, soudés à leurs bases, semblent unir leurs forces afin d’obtenir le droit de pouvoir dialoguer avec lui. Sur le sol meuble constitué de scories, un vague sentier s’évanouit entre les éboulis, en direction du sommet; demain il faudra le suivre, puis se fier au terrain.

Ce matin nous montons, poussant sur les bâtons de marche, écoutant notre respiration et le crissement des « grosses » dans le sol qui se dérobe parfois. La pente se durcit peu à peu, parsemée de gros rochers posés ça et là, et de pierres de lave qui roulent sous les pieds. Il faut maintenant poser les mains sur la roche, tirer, pousser un long moment… sans doute aurait-il fallu contourner cette masse rocheuse où je me fatigue ? 
Derrière moi, certains renoncent, je sens leur déception, nous aurions tant aimé nous retrouver tous, là-haut !

La partie glaciaire débute d’un coup, sans transition, un pas dans la roche, l’autre dans la glace, avec l’étrange sentiment de changer de monde, une sensation qui bouleverse l’esprit. Je chausse les crampons en espoirs de facilités; erreur ! Une neige  croûtée, irrégulière, incrustée de glaçons et de trous déséquilibre mon corps instable qui s’enfonce jusqu’aux chevilles ; chaque pas doit être réfléchi, car le vent et le soleil ont sculpté le sol d’une façon qui m’est inconnue. Si je pose le pied sur une partie haute, la glace casse, le pas est à refaire, la respiration aussi, les secondes et les minutes s’enfuient… Je tente de repérer des trous de bonne taille, d’y poser les pieds, mais les crampons se coincent dans les creux dont il faut s’arracher ; les efforts se répètent, le souffle s’accélère…

Usure du temps qui passe, du vent qui fouette les joues, des pieds torturés qui se tordent et louvoient entre les pénitents de glace, ces petits pénitents blancs qui m’observent… s’arrêter, respirer… regarder… évaluer les distances et l’altitude… pourquoi ai-je pris ce gros sac… ?
6000, 6100… Deux cents mètres me séparent du sommet ! Le rêve s’exhausse, mon pas s’accélère, le cheminement paraît plus évident maintenant que je n’ai plus à y penser… Dod, le compagnon revenu à mes côtés en cette fin d’ascension m’encourage, me fait comprendre que désormais le sommet s’offre à moi.
Tout là-haut le vent hurle, bouscule les corps, les oblige à s’incliner, s’agenouiller, fait plisser les yeux qui se portent vers le vide du cratère ; le regard bascule dans les entrailles du volcan, cette montagne inversée située à l’intérieur d’une autre : un chaos de roches, d’éboulis et de crêtes en contrebas, formant un monde intérieur. J’en reste pantois ; par un simple basculement du regard, la moitié de ce que j’ai gravi d’un côté semble subitement manquer de l’autre ; le vide me sidère, celui de la matière disparue qu’une formidable explosion aura arrachée à la masse rocheuse.

C’est le temps des accolades, des photos, de l’oubli des souffrances ; des remerciements aussi, au compagnon présent qui a effectué un second rush vers le sommet pour venir lire dans mon regard l’étonnement et la joie… Au-delà de nos différences, cet instant commun restera en nous, après que les chemins de nos vies auront divergé.

 


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Article publié dans la revue "BOUTS DU MONDE" :

6.3.17

Potosi, potosa

Potosi, potosa... Huayna Potosi.


 




La Paz :
Nos sacs sont bouclés pour partir trois jours en totale autonomie dans la Cordillère Royale.
Nous nous tassons dans le véhicule qui nous emmène maintenant en direction du Huayna Potosi, l’un des sommets les plus élevés de la cordillère dont l’accès est assez facile depuis la capitale.

Il nous faut plus d’une heure pour remonter la ville jusqu’à 4200 mètres en traversant El Alto, le quartier où s’entassent plus de 800 000 habitants pauvres parmi les deux millions de citadins qui peuplent La Paz.
La ville, en perpétuelle extension, s’étire toujours plus haut, plus près des montagnes. Des quartiers inachevés faits de constructions hétéroclites de briques et de tôles surgissent de la rocaille.
L’asphalte disparaît, le Toyota entame son ascension de la piste poussiéreuse.

Une succession de cours d’eau alimente des lacs qui animent le monotone paysage rocailleux.
Sur les pentes ferrugineuses les pluies ravinent les sols et déversent une multitude d’alluvions colorés, transformant l’eau et les rives en peintures improbables détourées de lignes blanches laissées par la dernière chute de neige. Des teintes incroyables recouvrent tous les creux et reliefs.
Au passage du col, à plus de 4700 mètres d’altitude, notre vue plonge sur le « Zongo », un lac formé par le barrage hydroélectrique  qui délivre l’énergie à toute la région.
Le chauffeur s’arrête et décharge nos sacs.
A partir de cet instant chacun ne dépend plus que de lui même.

Nous escaladons quelques dalles rocheuses pour installer notre premier bivouac.
Face à nous, le Huayna Potosi se dresse du haut de ses 6088 mètres…
Demain, nous installerons un second camp sur ses pentes, au-dessus de 5000 mètres.
En attendant, nous testons nos capacités à monter les tentes qui doivent résister au vent, à même la roche ; de grosses pierres font l’affaire, autour desquelles nous attachons quelques cordelettes. Les copains protestent un peu de nous voir installés si près d’eux… mais il faut bien partager les seuls espaces horizontaux disponibles !
Le repas : des pâtes, des lentilles qui peinent à cuire à cette altitude ; le goût et l’appétit ne sont pas vraiment au rendez-vous… Sous la tente, que nous partageons à deux, nous peinons à disposer tout notre barda : pas question d’en laisser dehors s’échapper aux vents violents.

Nous terminons la journée par une petite mise en forme sur la piste qui longe le lac. Nous y rencontrons le gardien du barrage, installé ici pour quelques mois avec sa femme et son fils avant qu’un autre vienne le remplacer ; une vie difficile, dans le froid et le vent, sans aucun confort. Nous revenons sans tarder vers la tente, alors que le vent et la brume nous enserrent et refroidissent.

Les bourrasques nous ont réveillés plusieurs fois cette nuit ; malgré tout, nous sommes plutôt enthousiastes au petit matin à l’heure du petit déjeuner. Démonter les tentes, refaire les sacs… C’est le départ.
Même si le sentier qui serpente dans les moraines et les rochers n’est pas très difficile chacun peine à trouver son souffle et son rythme… La fatigue se fait sentir dès la première heure.
Une autre passe, enfin nous atteignons le « Campo Roca », bien nommé, une construction de pierres située à près de 5200 mètres.

Les tentes sont installées à nouveau au milieu des rochers, à la limite des pentes de neige et de glace, que nous gravirons le lendemain.
Une cordée empruntera « La voie des Français », une face directe de plus de 300 mètres à plus de 60 degrés. Deux autres, dont je fais partie, constitueront les cordées qui suivront la voie normale.

L’après-midi ; pour nous c’est une fin de journée. Je vaque à mes occupations : siestes, repas, courtes marches, lecture, raccommodages, écritures…  avant de m’installer sur les 2m2 de la tente pendant plusieurs heures avec un voisin aussi remuant que moi.

1h15…le réveil. En fait, je ne dors déjà plus depuis minuit…
Je m’habille tant bien que mal à l’intérieur de mon duvet, dehors il fait trop froid. Mon voisin peste après ses affaires emmêlées, le stress d’avant course produit ses effets…tensions. Je m’aperçois que j’ai oublié de remplir mes deux litres d’eau nécessaires à l’ascension... la réserve collective que nous avions fait bouillir la veille a été vidée par crainte du gel nocturne qui aurait détérioré le récipient… A priori, je devrais me contenter du quart de litre qui me reste ! Mais dès le départ s’exprime la solidarité de notre cordée, Stéphane et Cécile proposant de partager ensemble nos vivres et notre eau.

2 heures ; Notre cordée s’ébranle. Derrière nous le Campo Roca se fait de plus en plus petit jusqu’à disparaître totalement. Nous prenons pied sur le glacier, chaussons les crampons et nous encordons : en route vers le sommet !

Commence une longue et lente montée sur les pentes crevassées.
Le choix de l’encordement – court ou long – n’est pas évident : les pentes se succèdent, d’inclinaisons irrégulières entrecoupées de replats.
Une heure vient de passer ; nous commençons à deviner les lointaines lumières blanches  et orangées de La Paz. Elles forment un scintillement magnifique au pied de « notre » montagne.
Les bourrasques d’un vent violent et glacial nous ramènent aux réalités de l’ascension. Il faut par moments nous arrêter, nous retourner pour éviter de trébucher, masquer nos visages pour stopper les giclées de poussières de neige qui pénètrent dans le nez, les yeux et la bouche.
Peu à peu la fatigue s’installe ; pour l’oublier, je m’occupe à vérifier nos temps de progression à l’aide de mon altimètre. A ce rythme, lent, très lent, mais gage de notre réussite, nous pourrions être au sommet vers 7 heures…
5500, 5600,5800 mètres… ne pas penser ; se concentrer sur nos pas, notre souffle, la tension de la corde… ne pas trop s’écrouler sur le piolet qui s’enfonce alors trop profondément… Efforts !…
Devant nous progresse l’autre cordée qui avait pris une légère avance. Hélas, nous les voyons revenir; l’un d’eux, livide, est allé au bout de ses forces. Du coup nous nous mettons à douter de nos propres capacités. Mais nos hésitations ne durent pas : depuis quelques minutes ma respiration se fait plus régulière ; le jour se lève, les rayons du soleil illuminent les nuages de dorures merveilleuses. La confiance et les sourires reviennent dans notre cordée, le pas s’affirme de plus en plus sur la neige croûtée. Nous nous lançons ragaillardis à l’assaut des pénitents qui nous font face, ces petites colonnes de glace au milieu desquelles il faut se faufiler tout en grimpant du mieux possible. Elles me semblent animées, parfois sympathiques en m’offrant un bras sur lequel m’accrocher mais le plus souvent hostiles à nous laisser passer…

Derrière nous s’étendent maintenant de larges bandes de couleurs roses et rouges, oranges et grises, surmontées de longs nuages d’un noir intense. Nous en profitons brièvement, devinant que la fin de journée sera mauvaise et qu’il ne faut plus traîner si nous voulons avoir le temps d’atteindre le sommet et de redescendre au bivouac.

L’arête sommitale se détache sur le ciel, belle et variée, un mixte de neige et rochers. Nous y prenons pied en transformant nos envies en sentiments rageurs destinés à combattre les faiblesses de nos corps.

7h15 : le sommet est atteint ! Joies et embrassades de très courte durée, car ici dans le vent, la glace et le froid, une seule idée s’impose: redescendre ! Un premier sommet à plus de 6000 mètres ça se fête… mais un peu plus tard !

Nous entamons la descente, cette fois au soleil, et profitons du paysage des pentes gravies cette nuit : des séracs blancs et bleus, des crevasses dont nous ne pouvons qu’imaginer la profondeur.

Retour au bivouac. Se débarrasser de l’équipement, lover les cordes, se réjouir avec les compagnons…boire, boire sans retenue, enfin !
La cordée de « La Voie des Français » n’est pas arrivée ; j’en profite pour m’octroyer une petite sieste réparatrice, courte mais suffisante pour trouver les forces nécessaires au rangement du bivouac puis redescendre vers le premier camp où tout le monde se retrouvera.
Tout en haut, le sommet, enveloppé de brumes, n’est déjà plus visible.

J’entame la descente avec mon compagnon de bivouac.
Le brouillard qui descend des sommets nous rattrape rapidement. Nous dévalons la moraine gravie deux jours plus tôt mais, pressés par le fog qui nous submerge, nous ne nous rendons pas compte de notre dérive vers la gauche, de plus en plus. Pas de cairns, plus aucun repère, le lac, la piste, tout a disparu !
Nous errons une heure, passant d’une moraine à une autre, traversant les pentes par leurs flancs, espérant un instant de clarté. Rien… le brouillard est définitivement installé.
Mon GPS sera notre secours : j’avais marqué le point de notre première nuit de bivouac : il s’affiche sur mon écran, je ne le quitte plus des yeux, me dirigeant aveuglément dans sa direction. Une autre heure passe à suivre le curseur du GPS ; il nous mène au pied d’une barrière rocheuse, infranchissable par le haut ; notre lieu de rendez-vous est de l’autre côté ! Je tente un contournement d’un côté, puis de l’autre, découvre enfin un petit ruisseau dont le chuintement m’a attiré. Nous le suivons quelques instants et découvrons qu’un peu plus loin il est canalisé. Je me dis qu’il devrait alimenter le lac que nous convoitons, près duquel passe la piste où nous avons rendez-vous. Le canal est constitué d’un muret un peu trop haut à notre goût, d’une largeur de trente centimètres ; il surplombe une pente dont nous ne voyons pas le fond…
Avec des sacs de 20 kilos et après une ascension à plus de 6000 mètres, finir en funambules n’est pas évident. Nous déposons nos sacs ; mon compagnon décide de rester auprès d’eux.
Je repars seul, allégé, avançant un pied après l’autre sur le muret ; concentration maximale ; un choix judicieux car après une vingtaine de minutes la barrière rocheuse est contournée.
Je retrouve le lac, les amis… Deux d’entre eux repartiront avec moi chercher nos sacs et leur gardien…
Finalement malgré ces heures d’errance, nous n’aurons concédé que peu de retard sur le rendez-vous.

Sous le grésil qui tombe maintenant, nous installons les sacs sur le toit du véhicule qui nous ramène vers La Paz.
Chacun est maintenant occupé à revivre en pensées la course qu’il vient d’effectuer.
Des images se gravent dans ma mémoire.


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4.3.17

Titicaca

L'Ile du soleil


Copacabana, sur les rives du lac Titicaca, sa cathédrale baroque habitée de vierges en habits et vendeuses d’icônes, son coucher de soleil admiré du sommet de la colline qui surplombe la ville, ses eaux flamboyantes sous les dernières lumières du jour, ses truites grillées tout juste sorties des barques alignées sur la plage…
Peu à peu la ville s’endort dans la fraîcheur nocturne qui enrobe les corps.

Ce matin, il est temps de boucler son sac et prendre son bâton de marche…
Nous quittons la ville par la piste, suivant les rives d’abord plates, puis de plus en plus vallonnées du lac. La vie pastorale s’est installée au creux de petites baies où poussent des roseaux. Au loin, les montagnes enneigées émergent de l’horizon ; ânes, moutons, cochons et lamas circulent un peu partout, accompagnés de paysans boliviens.



L’Ile du Soleil est bientôt atteinte, au fond d’une embarcation, après une traversée marquée par la fraîcheur des embruns. L’heure arrive du premier bivouac sur les rochers surplombant les eaux. Le lac devient salle de bain, les pierres mobilier, la terre battue chambre à coucher. Les réchauds ronflent déjà, coincés entre les cailloux ; le repas tiré du sac est vite apprécié.

La tempête arrive soudain, de sombres nuages s’agglutinent les uns sur les autres, jouant des lumières, grisaillant l’onde, transformant peu à peu le ciel en masse uniformément noire. Un vent violent balaie le fragile campement, il faut tout ramasser, vite, pêle-mêle dans le sac à dos, et trouver un abri…

Quelques trous situés en contrebas, au raz du lac offrent un abri bien inconfortable : certains compagnons choisissent d’y  vivre la tempête de très près, avec son cortège de rafales, de vagues et d’éclairs.
Avec quelques autres, je choisis de rallier les ruines incas que nous avions vues un peu plus en amont ; Elles nous rappellent « Le Temple de l’Ile du Soleil », et l’imagination se libère ! Mais hélas… les esprits incas informent les étrangers qu’ils ne sont pas bienvenus ! Et pour nous chasser, quelques jeunes boliviens venus d’on ne sait où allument des feux d’herbes sèches qui enfument les lieux et nos corps… nous devons comprendre que ces incantations se répèteront aussi longtemps que notre présence dérangera !

Un nouvel abri, de nouvelles rafales empêchant tout repos… le temps passe et le vent faiblit, les corps s’assoupissent enfin, bienheureux. Les étoiles apparaissent, de plus en plus nombreuses, recouvrant peu à peu le lac d’une couverture scintillante.

La grande traversée de l’Ile du Soleil peut commencer : la succession de collines qu’il faut gravir et redescendre, séparées de baies recouvertes de roseaux, les senteurs d’une forêt d’eucalyptus sous laquelle croissent des plantes grasses élancées, l’ascension des crêtes qui permet d’admirer l’horizon : les sommets enneigés de la cordillère lointaine contrastent avec les eaux sombres et bleues du lac, la végétation apporte la vie aux roches stratifiées qui recouvrent les pentes.

Savoir profiter de ces lieux, du beau temps retrouvé, de l’immensité du lac et du ciel ; une nuit nouvelle se prépare, belle et froide, gelant l’herbe et l’eau dans les gourdes… admirer à nouveau les lueurs nocturnes et les étoiles filantes… qu’il est doux le réveil au moment où le corps ressent les premiers rayons de soleil !
Etre si loin, et pourtant le monde est bien là : sa présence physique s’imprime en nos corps.

Une piste passe au milieu des ruines d’une ancienne cité inca. Le jour se lève, éclairant les restes de cette glorieuse civilisation qui avait tant bâti avant de disparaître, avalée par la puissance du «nouveau monde».
La pointe de l’île se découvre face à nous, plongeant vers les eaux en extrémité terrestre et culturelle.

Le chemin se détourne et revient vers le village de Challapampa ; voici les premières maisons, le sentier descend vers la plage sur laquelle errent quelques bovins. Le village se réveille, les fourneaux s’agitent ; des enfants approchent, curieux de rencontres et nouveautés ; assise contre un mur, une jeune fille coiffe lentement sa longue chevelure noire… la rigueur et la beauté de cette l’île de reflètent dans les yeux de cette fille.





Etoiles

L’eau sombre du lac
Et la blanche cordillère
Au soir étoilé.


Lune

Lune, en ton île,
Belle, où reposes-tu
Toi, L’inaccessible ?

 

Soleil 

Sur la voie de l’Inca
Qui descend du Soleil
Je marche et je ris

Sur la voie de Soleil
Qui descend vers l’Inca
Je marche et je vis

Je marche et je ris
Je vis et je marche
Je ris et je vis.