dans « La marche du
monde » :
« Avant tout, marcher c’est accepter l’idée de
vivre debout. « Nous ne sommes pas de ceux qui ne pensent qu’au milieu
des livres et dont l’idée attend pour naître les stimuli des pages ; notre
ethos est de penser à l’air libre, marchant, sautant, montant, dansant, de
préférence sur les montagnes solitaires ou sur le bord de mer, là où même les chemins
se font méditatifs » écrit Nietzsche dans Le gai savoir. »
« La marche est (également) liée au plaisir…
L’effort du trekeur est souvent plus une bénédiction qu’une douleur… la
quête du plaisir est la raison qui justifie la mise en route. D’ailleurs,
métaphore de notre existence, la marche nous accompagne tout au long de la
vie : l’aventure débute vers l’âge d’un an même si le bébé-marcheur
trébuche encore un peu comme l’adulte - poivrot zigzague comme il peut. Car la
marche est aussi une démarche ; voyez le rouleur de mécaniques ou la fille
aguicheuse, tout est dans la démarche… Une démarche à entreprendre pour que ça
marche. »
« Le vrai marcheur se détache de l’exploit
physique (et qui plus est, médiatique) et de toute prétention ostentatoire. L’invisibilité
et le retrait sont les conditions de cette modestie. C’est ainsi qu’on est
jamais seul lorsqu’on marche puisque celle-ci est intrinsèquement vouée à la
rencontre avec autrui. Si la solitude peut se révéler éprouvante elle devient
aussi par le biais de l’expérience pédestre une libération, une renaissance,
une manière de rallier l’essentiel et de se relier à l’altérité véritable. Dans
nos sociétés nouvellement figées dans des formes d’immobilisme désormais
entretenues par l’industrie de la peur, marcher relève de la subversion,
voyager à pied c’est aller de l’avant. A contre-courant. Et à petite vitesse,
car la lenteur aussi est subversive. »
« Marcher est aussi un appel à l’unité dans la
multitude. Marcher main dans la main n’est pas marcher bras levé ou poing fermé
et pointé vers le ciel. La promenade romantique n’a rien à voir avec le
romantisme révolutionnaire. La marche renvoie au mouvement, à la mobilité. Donc
à l’action. Dans le mouvement, c’est la société toute entière qui bouge et non
le sujet seul. D’où le mouvement social. La marche comme démarche politique.
L’homme en action qui marche est un être debout, il refuse de se plier et de se
mettre à genoux. Le sculpteur Giacometti, donnant vie à des personnages
filiformes et tourmentés, considérait avant tout l’homme en marche avec
dignité et sensibilité. Le marcheur est le manifestant par excellence,
celui qui proteste contre l’injustice, s’élève contre ou se bat pour,
bref celui qui progresse et avance, pas à pas, pour refuser de se taire comme
de se terrer. »
« La mère des marches contestataires porte une
date : le 1er mai. C’est la date mythique de la marche sociale,
celle qui permet d’avancer pour le peuple et de faire reculer le patronat. Au
salon de 1880, le tableau La grève des mineurs d’Alfred Roll, puis en
1889, la toile La grève de Jules Adler, et bien sûr le roman social Germinal
de Zola en 1885, sont autant de messages de révoltes et de prise de
conscience de la misère du monde ouvrier. La marche devient alors une solution
pour se faire entendre… la voie est désormais tracée pour marcher dès que le
monde va mal, dès que les intérêts des uns sont fragilisés ou les acquis des
autres menacés. La marche devient un rituel ouvrier et un acte militant
irréfutable. »
« Il y a des marches qui s’apparentent à des
exils, des populations chassées qui forment d’impossibles diasporas. Voilà près
d’un millénaire que les Tsiganes – ou leurs ancêtres – auraient fui le nord-est
de l’Inde pour échapper à l’esclavage… Les Tsiganes ne connaissent que trop
bien le prix de leur liberté si chèrement payée à travers l’histoire et la
géographie du Vieux continent. Comme le chantait Brassens, « les braves
gens n’aiment pas qu’on prenne une autre route qu’eux ».
« Les marches forcées prennent diverses
apparences : celles des esclaves noirs d’antan ou des enfants-esclaves
d’aujourd’hui, toujours africains et noirs, qui par colonnes humaines avancent
enchaînés les uns aux autres… »
« Jamais les voyageurs et les aventuriers n’ont
été aussi catalogués, étiquetés, classés. Le spectre des privilèges
aristocratiques offerts autrefois aux voyageurs hante encore nos consciences et
notre volonté de distinction. Un tourisme qui entend et affirme s’éloigner du
tourisme classique, même si dans les faits il n’y parvient que très peu. Ne
nous méprenons pas, tourisme ne rime pas avec hédonisme mais avec
capitalisme. C’est un constat avéré. »
« A chaque aventurier sa propre aventure, le
monopole de celle-ci n’appartient à personne ; et surtout pas à ceux – des
producteurs télé aux fabricants de voyage, mais aussi des ethnologues aux
écrivains-voyageurs – qui font commerce de ce secteur sous prétexte de
professionnalisme. »
« Le voyage humanitaire renvoie trop souvent à
la bonne conscience occidentale et s’apparente à une forme – pacifiée – de
recolonisation des Suds par les Nords. Devant les spectres de la pensée
dominante / unique qui plus que jamais nous accable, ici comme là-bas, le
militantisme sans risques est à l’engagement politique ce que l’aventure sans
risques est à l’Aventure. »
" Signe de vie, le fait de marcher va plus loin :
il indique un chemin. Une autre voie, un autre monde, bref un monde qui
marcherait bien sinon droit et non plus sur la tête. Marcher est un préalable
pour que l’impossible devienne possible. On dit « marche ou crève »
car c’est l’un ou l’autre, mais on dit également « marche et rêve »
car là, c’est forcément l’un et l’autre. Une vie sans rêves ça ne marche tout
simplement pas. L’imagination au pouvoir est une option vaine si aucun marcheur
ne prend la route. »
« … Retrouver le plaisir de vagabonder en
toute liberté. Hors de toute dépendance et des sentiers battus. L’indépendance
du voyage est indissociable de l’autonomie du voyageur, et il n’y aura jamais
de voyage véritablement libre sans voyageurs un brin libertaires. Le voyage met
le monde à portée de main, il est surtout l’occasion rêvée de démontrer que
« tenter l’impossible » est toujours du domaine du possible… »