19.2.17

Les flamants de Frontignan


C’était un jour où l’été indien tenait ses promesses. Une lumière crue frappait l’eau des étangs de Vic et d’Ingril, les vestes et gilets reposaient au fond des placards, les casquettes et lunettes de soleil nous redonnaient des allures de joyeux estivants.
Le journaliste local du « Midi libre » promettait lui aussi, à défaut de monts, des merveilles à découvrir sur les chemins qui parcourent les étangs et lagunes. Comment résister, par une si belle journée, à l’appel des hérons et des grèbes, des échasses et flamants roses qui peuplent ces vastes étendues ? la description de paysages alternant chemins ombragés sous les pinèdes sauvages et sentiers lumineux équipés de platelages qui nous permettraient de profiter des riches vasières finirent par nous persuader d’avoir trouver LA destination qui marquerait cet automne radieux.

Nous voici donc confiants, après avoir quitté les rives de l’étang de Thau où nous avions passé la nuit dans notre fourgon, dans la petite commune de Bouzigues. Adieu huîtres, moules et bulots, adieu les crépuscules orangés illuminant les eaux et les barques des pêcheurs rentrant au port.
Direction « le bois des Aresquiers », à la limite de Frontignan et de Vic-la-Gardiole, pour stationner au parking où débute notre randonnée. Au milieu d’un petit capharnaüm de voitures garées pour les unes en stationnement payant, pour les autres n’importe où ailleurs, un énorme panneau interdit l’accès aux fourgons et autres camping-cars. Soit. Allons donc un peu plus loin nous garer dans le bois sombre le long de la route, entre deux poubelles et quelques buissons épais ; nous ne sommes pas à quelques centaines de mètres près pour partir randonner…

Nous trouvons le début du sentier, bien indiqué sur le petit plan édité par le « Midi libre ».
Dommage que soit organisé aujourd’hui un concours de décibels entre pelleteuses, bulldozers, et machines à enfoncer des pieux : il faut bien entretenir le canal de Sète au Rhône  qui passe à proximité. C’est tant mieux.
            Le chemin passe en sous-bois ; c’est agréable un sous-bois ombragé quand le jour est trop vif ; il y a aussi le silence des pierres qui bordent le sentier, rien d’autre ; c’est tant mieux.
            Nous sortons du bois. Le soleil déclinant nous saute aux yeux, par en haut, par en bas aussi, le vicieux se reflète sur les salins, ne nous laissant distinguer que les reliefs des tamaris cramoisis épuisés par les fournaises de l’été. Pas une ride sur les étangs, pas le moindre petit battement d’aile dans le ciel, pas de vent non plus… c’est tant mieux.
            Le chemin serpente le long des buttes qui séparent les marais ; il s’approche maintenant peu à peu d’une ligne sonore; nous distinguons bientôt les camions, trains et autres véhicules qui grossissent au fur et à mesure de notre approche ; le bruit enfle encore… puis le sentier oblique vers la gauche pour nous renvoyer par où nous étions venus… c’est tant mieux !
            A défaut d’oiseaux nous cherchons les couleurs qu’une belle soirée d’automne pourrait produire sur les salins et les nuages ; une photo, puis deux, trois… le sujet est épuisé. Notre cadence s’accélère sur le secteur équipé de passerelles qui dominent les eaux, puis ralentit subitement au sortir de celles-ci : trous, flaques, boue, cailloux… glissades ; nous évitons de peu la chute; c’est tant mieux.
            Il est temps maintenant de retrouver notre fourgon, qui nous attend sagement au creux d’un bosquet ; il devait s’ennuyer le pauvre ; Mais non ! car quelqu’un est venu lui rendre visite, s’est occupé de lui, l’a inspecté, opéré, réorganisé et finalement allégé de quelques objets jugés superficiels à nos besoins. C’est tant pis.

            Soit. Allons partager nos dernières impressions avec des gens supposés s’intéresser à la vie de certains autochtones. Les policiers de Frontignan nous semblent être de bons interlocuteurs. Il est 17h40 lorsque nous sonnons à leur porte, 17h45 lorsqu’elle s’ouvre, 17h55 lorsqu’on nous explique qu’il faudra 45 minutes pour rédiger notre récit ; 18h00… heure de fermeture ; on nous dit « regardez notre charte… il y est écrit que vous pouvez faire une déclaration n’importe où en France, ici c’est top tard… mais si vous y tenez, vous pouvez aussi faire une déclaration chez nos collègues de Sète, mais pas ce soir, demain si vous voulez »… C’est tant pis.

Il fait nuit, nous retournons à Bouzigues où nous avions campé la veille sur une place « sûre ». Je craque sur un plateau de coquillages pêchés dans l’étang de Thau… Réconfort… C’est bien mieux !


Ah ! j’oubliais… les flamants roses dans tout ça ?
Ils étaient bien là : nous les avons aperçus en passant près d’eux à 70 km/heure  près de la digue qui relie la plage de Frontignan au centre-ville. Ils avaient tous la tête enfouie au fond de la lagune.

Je ne sais pas pourquoi mais nous avions nous aussi ce soir là l’impression d’avoir la tête un peu…vaseuse.

Frontignan, novembre 2015.