1.3.22

Ligne 37

Ligne 37 :

En passant par la Touraine

Préambule.


    Il existe des idées qui ne voient jamais le jour. Sans doute la mienne fut-elle imaginée par d’autres tourangeaux car le principe en est simple : rester en permanence le plus loin possible de son domicile sans jamais quitter le département d’Indre et Loire.

    Il n’y avait qu’une seule façon de réaliser ce pari : suivre exactement la limite administrative départementale en se fiant exclusivement à la carte géographique. Personne n’avait jusqu’à présent suivi ce tracé de façon exacte sans jamais le quitter des yeux. Sur le terrain celui-ci suit rarement des routes, parfois des chemins, souvent des cours d’eau, la plupart du temps des lisières de bois et de champs, des fossés ou des crêtes. Il arrive aussi que certains aménagements et travaux, comme ceux liés au remembrement des années soixante aient totalement fait disparaître toutes traces antérieures. La ligne devient alors virtuelle : le parcours se poursuit néanmoins en se fiant aux géographes de la première ère républicaine qui avaient leurs raisons que nos informaticiens actuels ont retranscrites sur nos cartes informatisées. Ils ont ainsi dessiné le département d’Indre et Loire, institué en 1790 parmi les 82 qui constituaient la France issue de la Révolution.
Sa limite géographique reprend presque exactement les limites de l'ancienne province de Touraine, à laquelle fut ajoutée la partie orientale de l'ancienne province d’Anjou (de Bourgueil jusqu'à Château-la-Vallière). La ville de Richelieu fut aussi intégrée au département d'Indre-et-Loire. En revanche la partie orientale de l'ancienne province de Touraine fut rattachée aux départements de Loir-et-Cher (région de Montrichard) et de l'Indre, aux environs de Mézières-en-Brenne et Écueillé.

    C’est un privilège de notre époque que de pouvoir réaliser certaines lubies avec des moyens technologiques modernes. Aussi n’ai-je eu aucune hésitation à partir de chez moi sans aucun moyen de déplacement motorisé mais avec une précision d’orientation garantie par l’usage de mes GPS et téléphone mobile. D’ailleurs, les voyageurs des temps passés n’emmenaient-ils pas avec eux cartes et boussoles, sextants et longue-vues ?

    Une idée ne vient jamais seule, ni de nulle part. Celle-ci n’aurait pas pu voir le jour sans une motivation certaine. Réaliser à l’échelle de mes possibilités physiques ce que d’autres ont pu faire ailleurs avec des compétences supérieures aux miennes en fut une.
J’en connais qui le font de façon anonyme ; la réussite suffit à combler leur existence. D’autres sont mieux connus du grand public : Robert-Louis Stenvenson, Alexandra David-Néel, Théodore Monod, Jacques Lanzmann, Nicolas Bouvier, qui ont tous marqué leur époque ; leurs empreintes pédestres demeurent dans leurs écrits. Certains de nos contemporains aussi : Nicolas Vanier, Sylvain Tesson ou Reinhold Messner qui a pour sa part privilégié des lignes bien plus verticales… Ils partent d’une maison à pied ou à vélo pour traverser une région, un pays ou un continent ; ou font le tour d’une montagne qu’ils gravissent parfois. Ils voguent d’une mer à l’autre ; les ports deviennent alors les étapes de leurs voyages. L’histoire regorge de personnages célèbres partis conquérir les territoires et leurs gloires, la littérature de récits fantastiques depuis la mythologie grecque jusqu’aux récits de Jules Verne. Chacun n’a qu’à puiser dans son propre catalogue mental les raisons qui le pousseront à l’action. L’alpiniste qui suit une frontière sait qu’il passera par des sommets prestigieux. Le pèlerin isolé en chemin gagnera un réconfort moral au terme de sa marche. Le chemineau recherchera la chaleur d’un foyer accueillant. Le trekkeur appréciera l’exotisme des paysages et de peuples.
Les marcheurs ont tous en commun d’attendre des hommes et des paysages un mieux-être permanent.

 Un voyage pédestre se conçoit mentalement bien avant que les pieds ne foulent le sentier. C’est un acte d’amour dont le désir ne peut s’assouvir qu’une fois réalisé. La porte de la maison refermée derrière soi en est sa déclaration; le voyage est le temps des fusions; le retour celui de l’apaisement du corps et de l’esprit.

    J’ai suivi mon tracé au plus près, le plus exactement possible, dans l’esprit qui anima l’alpiniste Lionel Daudet lorsqu’il entreprit en 2012 le tour de France en longeant la frontière, pas à pas, sans aucun moyen motorisé. La comparaison s’arrête là, son défi étant infiniment plus ardu, de par la longueur du trajet et la complexité des sommets à gravir ; en Indre et Loire, nous n’en avons aucun !
Le point culminant de la Touraine se situe à Céré La Ronde, à 186 mètres d’altitude. Par le plus grand des hasards, il se trouve exactement sur la ligne qui sépare l’Indre et Loire du Loir et Cher. Un véritable clin d’œil pour nous, membres du Club Alpin Français de Touraine, qui avons gravi un certain nombres de vrais sommets : en suivant les contours tourangeaux, nous passons aussi par le point le plus haut du département !

    Les contours départementaux sont définis par les parties limitrophes des communes à celles des autres départements ; communes et départements sont intimement liés. Les premières sont l’unité de base de nos vies, en tant que citoyen ; les seconds renforcent les moyens financiers et structuraux de chaque commune. S’il est un lieu où la démocratie s’exerce encore à peu près correctement, c’est bien celui de la commune : chacun d’entre nous connaît de près ou de loin son maire ou l’un de ses conseillers. Chacun peut se rendre à la mairie de son village, se renseigner ou intervenir ; plus simplement, chacun peut en quelques heures se promener autour du village, rencontrer les voisins et amis. Ce lien direct, ces rencontres possibles, réalisables en une seule journée, deviennent beaucoup plus compliqués lorsqu’on passe à l’échelle du canton, du département, de la France…
                                                                     On nous parle aujourd’hui «d’intercommunalités», de territoires indéfinis, de «mégapoles» gigantesques, de régions sans identité. Le citoyen que je suis s’inquiète de sa place dans ce nouvel environnement et de la réalité de sa liberté d’expression. Il s’inquiète de la diminution des compétences dévolues aux conseils municipaux, de la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques uns, de la diminution programmée du nombre de communes. Aujourd’hui, des « responsables » politiques d’origines très diverses entreprennent d’effacer le modèle républicain de l’organisation territoriale issue de la révolution française ; ce faisant, ils effacent aussi la démocratie de proximité, ils effacent les possibilités de peser sur les choix et décisions, ils effacent les nombreux personnels qui font vivre les services publics. Ils font croire que la nécessité d’adapter les communes et leurs équipements à notre siècle doit s’accompagner de la destruction du passé et du travail accompli au sein d’un maillage géographique et politique qui avait pourtant fait ses preuves.

    Les communes et leur démocratie locale sont en danger : leurs compétences ainsi que celles des départements sont remises en cause par le développement des métropoles. La représentation politique des communes ne pèsera bientôt plus grand chose au sein de ces buracropoles. La République se dilue jour après jour au profit de pouvoirs politiques et financiers concentrés entre les mains de quelques barons, lobbies et groupements d’actionnaires. Tout cela au nom de supposées «réformes» nécessaires… à quelques uns.

   Trouver le chemin qui délimite les communes d’Indre et Loire, c’est une façon de s’opposer à cela, une manière de marquer notre présence pour empêcher l’effacement des 277 communes qui constituent l’identité départementale.
« Tracer  la ligne » ce n’est pas délimiter une frontière, ainsi que le firent certains qui érigèrent de honteuses murailles, à Berlin, Jérusalem et maintenant ailleurs. Et puisque nous sommes en Touraine, j’ai pensé aussi aux années funestes de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle une autre ligne fut tracée sur le sol tourangeau : la « ligne de démarcation » qui coupa en deux notre département et la France entière. Certaines lignes enferment mortellement.
A l’inverse les voies de communication rallient les habitants d’un même territoire, permettent les échanges entre voisins et laissent la possibilité d’aller encore plus loin.
« Tracer la ligne » c’est faire vivre l’espoir que tout citoyen du monde peut un jour circuler selon ses besoins ou par nécessité de fuir sa terre ravagée par les barbaries qui sévissent ici où là. C’est combattre l’idée que les murs et barbelés sont utiles aux humains.

   Les empreintes laissées sur le sol marquent une volonté d’agir, parler, marcher, circuler, « vivre et travailler au pays », mais aussi voyager. Il faut expliquer aux personnes rencontrées les raisons de la voie, demander parfois la direction à prendre ou chercher les personnes compétentes à autoriser un passage, lever un obstacle, traverser un cours d’eau…

    J’ai trouvé les lieux de bivouacs et dans quelques rares cas d’hébergements au fur et à mesure de ma progression. J’avais prévu que lorsque je serais obligé de quitter la ligne pour me ravitailler, je la reprendrais exactement là où je l’avais laissée. En fait mes proches et amis, informés de ma progression par les messages que je leur envoyais, sont régulièrement venus me rencontrer pour une heure ou plus, m’apportant vivres et encouragements. Qu’ils en soient ici remerciés !

Ainsi, durant ces trois semaines, je n’ai jamais quitté ma ligne.

La Nouvelle  République, 
21 mai 2016




« …Ces trois dernières semaines les badauds ont pu croiser sur les routes de Touraine un randonneur qui ressemble à tous les autres mais qui a la particularité de suivre un chemin bien singulier: parcourir les limites du département sans s'en éloigner de plus de 300 m.

  François Remodeau est parti de Candes la dernière semaine d'avril en direction du nord-est, dans le sens des aiguilles d'une montre, en suivant grâce à son GPS et à ses cartes la frontière de l'Indre-et-Loire. Bivouaquant de ci de là sous la tente, étant parfois hébergé par l'habitant, il s'est efforcé de marquer de son pas le pourtour de la Touraine. Quand un cours d'eau lui faisait obstacle un ami venait l'aider avec son canoë. Quand une autoroute lui barrait le chemin il la contournait pour revenir à moins de 300 m de son point de départ.

  Mercredi 11 mai il se trouvait au sud-ouest de notre région, aux confins de la Touraine et du Poitou, en limite d'Antogny-le-Tillac et de Dangé-Saint-Romain. Il partait pour Marigny-Marmande, sac sur le dos, un peu trempé, il avait bon espoir de revenir à son point de départ pour la Pentecôte. »


   Les étapes journalières :




la ligne en images :


 












  







 Notes  de  bivouac




Prologue :

Tours à Candes-Saint-Martin

Vendredi 22 avril 2016 ;10h30 : une petite remorque est attelée à mon vélo près de ma maison. J’y dépose mon sac à dos.
Bisous à Manick :
- «Tout va bien, ça ira » - Bisou – « … oui on se téléphone, OK… » - Bisou – « A bientôt ! ». Bisous.
10h35 : « - Bonjour Catherine, je viens pour la clé de ta maison à Candes… Super merci, on se retrouve là-bas… Le départ ? Oui, c’est demain matin, à Candes, sur la rive gauche de la Loire… »
11H : à Tours, devant le siège du Conseil Départemental.
« - Bonjour Fabrice, non non, pas de retard, juste le quart d’heure tourangeau… Une photo ? D’accord, avec la façade du bâtiment en arrière, oui c’est pour le symbole : l’Indre & Loire, le département, les communes  etc. … C’est bon, c’est dans la boîte, à bientôt, tu me rejoins quand tu veux ! »


11H15 : Je roule à vélo, ma remorque tractée derrière moi pour rejoindre Candes-Saint-Martin depuis Tours : 63 kilomètres en suivant la piste de « La Loire à vélo ». Je dépasse l’Hôtel de Ville, l’avenue de Grammont, célèbre pour son arrivée au sprint  du Paris -Tours… moi je la prends dans l’autre sens au ralenti, en écoutant les bruits de la ville pour mieux apprécier le silence qui m’attend.
La voie passe par Savonnières au bord du Cher… Oui, vous avez bien lu, c’est normal : le Cher et la Loire sont dans le même lit, et même parfois ils en sortent un peu tous les deux, mais pas souvent les coquins, heureusement.
Un champ de colza tout jaune se détache sous un ciel noir. Photo. Vélo.
La Chapelle-aux-Naux : un souvenir me revient d’une certaine fesse meurtrie lors d’une chute à vélo, deux ans auparavant…
Bréhémont : des bateaux sont sagement accostés sur la Loire. Je croise un geai, un héron, et une voyageuse avec une mule qui porte ses bagages. Une buse taquine un mulot entre deux touffes d’herbe ; pas sûr qu’il apprécie le traitement…
Langeais : un sandwich pris sous la pluie ; un café… la pluie s’arrête ; ça repart !
Rigny-Ussé : un coup d’œil au château de la Belle au Bois Dormant ; un autre à la chouette perchée sur un piquet qui somnole elle aussi.
Savigny en Véron : le gosier sec, c’est un comble au pays de Grandgousier. Je n’ose demander un verre de rouge.
« - …de l’eau SVP ? ».
Une dame m’ouvre un robinet : ça coule, et ça roule …
Candes-Saint-Martin : les bateliers de Loire travaillent sur le quai. J’approche du bateau l’Amarante :
«- …Non, non, on ne pourra pas vous faire traverser, nous sommes en travaux, pas prêts, manque de temps… ».
Je file un peu plus loin vers une jolie petite toue cabanée, La Fauvette.
« -…Une traversée pour demain ? D’accord pour 10h30 ? C’est parfait ! »
Pour l’instant, tout se présente bien.
17H30 : j’arrive à la maison de l’amie Catherine & Co… Je sors les clés, relis ses consignes, ouvre l’eau, l’électricité… Le vélo est rangé, la remorque pliée, le sac préparé, le GPS testé. Je suis fin prêt pour le vrai départ, demain.
Il me reste assez de temps pour une petite promenade en soirée au bord du fleuve.
Manger ; coucher ; duvet…
Rêver !


Première étape : Candes-Saint-Martin à Saint-Nicolas-de-Bourgueil


L’amie Catherine arrive à l’heure du petit déjeuner. Nous discutons de l’histoire de sa maison et de celles des habitants du village, tournées vers le fleuve…
Nous interrompons la discussion : c’est l’heure de rejoindre la correspondante locale du « Courrier de l’Ouest », avertie de ma présence par la mairie de Candes. Elle veut rédiger un bel article dédié à la défense des communes ; mon périple à venir en sera le prétexte.
10H30 : La Fauvette arrive et accoste sur la rive gauche de La Loire. Juste en face de la borne départementale qui sépare les communes de Candes et de Montsoreau. Le capitaine J.P. Delmas prend son rôle très au sérieux, naviguant avec attention sur le fleuve aux eaux fortes. Sa toue progresse lentement. Il navigue au mètre près, suivant scrupuleusement la trace dessinée par mon GPS. Le temps est maussade l’eau est grise, mais les cœurs joyeux !


11H : Borne 0 à Chouzé sur Loire sur la rive droite. Elle semble avoir été gravée à mon intention, je n’en reviens pas ! Je mets beaucoup de temps avant de faire mes premiers pas : vérifier le réglage de mon sac, le positionnement de ma pipette d’eau, le serrage de mes lacets, le choix de l’échelle sur la carte du GPS… En fait, j’évacue le stress et mes doutes concernant la réussite de mon pari ! Au loin, La Fauvette a déjà regagné l’autre rive.
11H30 : Une demi-heure ! C’est le temps qu’il a fallu pour franchir mes 500 premiers mètres avec l’aide d’un jeune ouvrier qui restaurait un mur. Il m’indique la voie : une barrière à franchir près d’une maison ruinée et d’un terrain en jachère rempli de broussailles. Je passe. En marche ! Des chemins et petites routes se succèdent. Je marche ! je découvre aussi mes premières orties. Aïe !
14H : Coincé. Je n’arrive pas à trouver la façon de passer l’autoroute A 85. Deux troupeaux de bovins gardent les lieux. L’un me charge frontalement : 25 vaches et taureaux bien alignés me foncent dessus en meuglant et sautillant. Je repasse les barbelés à l’envers bien plus vite que voulu… Un premier fourré attend depuis des lustres qu’on vienne le tailler. Je sors ma serpette fétiche, rapportée du village d’un ami népalais. Son tranchant me permet de pratiquer le passage désiré. De l’autre côté, des prairies spongieuses : je progresse dans les varennes du fleuve qui s’étendent jusqu’au bord de l’autoroute. Des canaux et ruisseaux s’entremêlent. Les rivières de l’Authion et du Changeon se donnent aussi rendez-vous en ces lieux. De la vase épaisse garnit leurs fonds : les difficultés s’accumulent en même temps que les matières charriées par la nature. Il s’avère impossible de passer sous l’autoroute au même endroit que la rivière. J’entreprends un très long détournement par le pont « le plus proche » avant de revenir juste en face du point délaissé de l’autre côté de l’autoroute…
17H : Ouf ! J’ai mis trois heures pour avancer d’un kilomètre sur la carte mais bien plus sur mes jambes…
Je remonte les coteaux de Saint-Nicolas de Bourgueil au travers des vignes orientées vers les crêtes. Tout en haut m’attend un joli petit passage très étroit, caché dans la verdure, qu’il faut traverser en équilibre entre deux carrières taillées dans le tuffeau, en contrebas.
Un joli bois m’attend, clair et silencieux. Une biche m’y accueille et repart tranquillement. Le soir arrive, la lumière décline dans les sous-bois. Le propriétaire d’une maison isolée, récemment  cambriolée, me conseille de ne pas utiliser ses dépendances, surveillées la nuit par la gendarmerie… il m’indique la direction du camping des « Loges ». Un lieu glauque, en travaux, délabré. J’y découvre néanmoins, par une chance légèrement provoquée, une cabane au confort relatif : de l’eau, de l’électricité… gratuité ! Stop !
Pieds fatigués, trempés, soignés ; fesses mouillées et irritées ; doigts gelés…
Repos, réchaud, dodo !

Une famille ragondin – des canards – deux lièvres – des grenouilles – une grande biche – des taureaux… Ah ! les vaches !…


Seconde étape : Saint-Nicolas-de-Bourgueil (les Loges) à Lublé


Le soleil brille ce matin. Je teste mon petit déjeuner - type : lait déshydraté, café soluble, graines… Miam ! Mes pieds ont déjà besoin de soins, je leur consacre le temps nécessaire.
D’emblée la forêt de Bourgueil. Le GPS m’envoie directement dans la maison des petits cochons : au milieu des taillis de ronces et ajoncs… Argh ! Premier contournement. Ouf ! Un chemin ; ça trace sur ma trace, les sentiers sont superbes.
Après la sortie de forêt j’évolue au milieu de parcelles agricoles avant d’approcher de l’étang de Saint- Philibert, qui ne m’aime pas : il m’impose un tour pour rien et me fait rencontrer un pêcheur qui me dit de repartir à l’opposé… « Merci Monsieur, au revoir… ». Têtu, je reviens discrètement cinq minutes plus tard afin de contourner l’étang  par les roseaux, marais, fougères, ronces… Aïe ! ça passe, et un chemin plus loin… Bingo ! J’active le turbo…
Une pluie fine s’installe qui s’insinue partout entre les vêtements. Mes pieds sont déjà trempés… Quelques orteils s’échauffent sur les chaussettes mouillées. Je pénètre dans un bois exploité par des bûcherons. Une cabane providentielle m’offre un abri pour me nourrir et réparer le moteur gauche. Une heure après, le soleil veut bien reparaître. je  repars illico.
Etang de Rillé : deux pêcheurs sont installés au meilleur endroit, avec un bateau SVP, juste au passage de ma ligne. C’est trop beau ! Effectivement… leurs lignes sont bien plus importantes que la mienne ! J’aurais dû me déguiser en brochet, ma personne vaut pas le coup de mettre le bateau à l’eau, de monter le moteur, même si je n’en veux pas du moteur, les rames me suffisent…
« - Ah ! mais non, vous pourriez dériver, que sais-je ? couler, hein ! et qui irait le ramener le bateau, hein ? Et puis le tour à pied, c’est pas si loin ! »
Bon, tchao ! Je ne dis pas merci, et ne leur souhaite pas une bonne pêche...
Après une bonne heure de détours passée à longer une clôture de 2,50m qui ne voulait pas se laisser grimper puis à crapahuter au milieu de taillis bien serrés, me voici à quatre pattes sous un fourré où je me suis faufilé pour ressortir sur une petite route… en compagnie d’un renard, bien surpris de voir un compagnon quadrupède qui ne lui ressemble pas. Il m’a semblé qu’il me souriait ! Etait-ce pour se moquer ?
Je reviens sur la rive opposée du lac, à moins de 300 mètres en face des compères qui avalent leurs bières à défaut de friture. Cette bataille est gagnée, mais j’y ai laissé quelques forces.
Un menhir planté au milieu d’un champ semble délimiter les deux départements. Sur les chemins qui se succèdent ma démarche se fait lancinante. J’ai soif, mes bouteilles sont vides depuis un bon moment. La fatigue s’installe. Enfin, au croisement d’une petite route, un bruit de moteur m’attire vers le garage d’un passionné de mécanique qui restaure une voiture de collection. Il m’offre le liquide convoité ; nous repartons chacun vers nos activités préférées.
Je traverse un désert tout vert en suivant des champs de céréales. Ma journée de marche s’allonge. Enfin un bosquet…
Ce soir c’est bivouac, hamac ; dans le sac.
Clac !

Une biche, trois chevreuils, des geais, des coucous en l’air, des coucous par terre, des poissons pas sympas, un renard très souriant.


Troisième étape : Lublé à Villiers-au-Bouin

Brrr… c’est la nuit ; malgré ce bivouac idyllique sous les étoiles je tremble, je grelotte, je regrette mon duvet d’hiver laissé à la maison. Le temps passe sans sommeil, je l’occupe à dresser un inventaire céleste  : lever de lune, satellites filant dans le ciel, avions qui clignotent, hululements des chouettes... J’imite mon chat qui dort en boule, j’utilise mon haleine pour réchauffer les parties de mon corps que ma bouche peut atteindre.
Le jour pointe. Je me lève dès que possible : il fait moins froid debout que couché. Je retire les gants pour préparer le petit déjeuner ; l’onglée saisit mes doigts aussitôt. L’eau qui bouillonne sur le réchaud permet de me réchauffer. Il me faut encore prendre une bonne demi-heure pour nettoyer mes orteils, les soigner, les emballer, les chouchouter. Départ.
Du bon chemin, le moral est en hausse. Du moins bon, on continue. Des lisières de bois et de champs, des doubles rangées de barbelés , des fils électrifiés, des culs de sac… ça coince. Je vire à gauche : des taillis, fourrés, ajoncs, des bauges de sangliers, des arbres tombés au sol. La retraite s’impose, le moral est en baisse. Une heure pour revenir en arrière, contourner par une petite route, reprendre mes repères avec le GPS pour respecter mon écart maximum de 300 mètres. Ça repart.

« - …Monsieur ! de l’eau SVP ? » 
Ma consommation de 1,5 litres en 12 heures (réhydratation des aliments comprise) va pouvoir augmenter… Le bonheur tient à peu de chose.

« - Madame, je peux passer chez vous ? 
-         Pour aller où !?
-         Suivre la limite départementale…
-         Ah ! mais vous n’y êtes pas !
-         … ? ( je regarde mon GPS )
-         C’est le fossé là-bas ! (10 mètres en arrière…) Vous le suivez…
-         Et après ?
-         Après ? Ben dame, j’sais pas où il va vous mener !…
-         … Merci… Je verrai bien. »
Deux prunelles sont encore plantées entre mes omoplates lorsque je pénètre dans les hautes herbes qui bordent le fossé. Puis un coteau boisé, bien raide à gravir. Tout en haut, le paysage s’ouvre sur des champs, un tracteur, et un fermier étonné de me voir sortir là. Il m’accueille avec bienveillance, mais pour m’orienter… mais dans l’autre sens.
- « Ah ! mais non, je vais vers le nord, moi !… 
- Vers le nord ? mais il n’y a rien par là… »
Je poursuis (vers le nord) : des champs, des champs, des champs. Enfin une route, celle de Baugé. Ici, je connais. Mon pas s’accélère le long des chemins en sous-bois avant d’arriver à un point symbolique : un panneau indique la limite de l’Anjou et de la Touraine, le point de rencontre de trois départements  d’Indre & Loire, du Maine et Loir et de la Sarthe. J’opère un virement de bord pour mettre le cap à l’Est. C’est un événement !
Le bonheur continue par de grandes pistes bien balisées. C’est super ! Mais pas très longtemps… La nature reprend ses droits ; tant pis ! Des ampoules reviennent me titiller. Stop ! Soins des pieds.
Un forestier rapplique, méfiant…
- « N’ayez crainte !… » (il voit mes pieds et semble rassuré : je ne dois pas présenter grand danger…)
- Z’allez où ? »
- …
- Oh ! Mais c’est pas possible ! Z’allez tourner en rond, vous perdre, c’est clos partout…
- Ah ! D’accord monsieur… Oui le bourg c’est par là… C’est mieux par la route… Je risque moins de me perdre, c’est sûr…
- C’est ça , c’est par là.
- Ah! Au fait, j’arrive de Candes, jusqu’à présent je ne me suis pas trop mal débrouillé…
- Oh ! Put… !
- … NON mais ! » ( en mon for intérieur… ).
Il s’en va. Je poursuis par les bois, bien sûr. Les chemins sont faciles. Je dois tout de même rechercher un passage pour franchir une clôture. Dès la sortie des bois je retrouve des champs, des champs, des champs partout. Peu de fermes. D’ailleurs, en est-ce vraiment ? Dans l’une d’elle, j’appelle… Personne. J’arrive près d’une autre. En ruine.
19 heures… Il faut s’arrêter.
Je trouve une vieille étable à moitié écroulée. Ce sera mon bivouac. Je suspends mon hamac aux deux poutres encore en place. Le vent du soir forcit et s’engouffre par les ouvertures dépourvues d’huisseries. La nuit s’annonce bien froide.

Deux lièvres, un lapin, un faisan, 9 chevreuils ! Un renard, deux buses, des jacinthes, des orchidées et ma première hirondelle porte-bonheur.


Quatrième étape : Villiers-au-Bouin à Saint-Aubin-le-Dépeint

Pourtant elle était bien, cette étable ruinée. Mais  ce matin, le gel me réveille. Une fois de plus. J’ai l’impression d’avoir dormi par tranches d’un quart d’heure. Une fois levé, mon corps se réchauffe. Mais pas les doigts dont j’ai besoin pour installer le réchaud. Je pisse en grelottant, c’est pas facile ! Je me dis que la nuit prochaine, forcément, ça ira mieux. Pas besoin d’un autre duvet... C’est parfois mon côté un peu têtu qui me permet d’avancer !
Je retourne sur le chemin. Quelques centaines de mètres plus loin apparaît une ferme d’où émanent les bruits du travail matinal. Pour moi c’est un espoir de ravitaillement en eau possible.
- « J’ai pas l’habitude de faire entrer quelqu’un chez moi… » me dit l’exploitante. Ce qui ne l’empêche pas de me préparer un café…Je l’apprécie d’autant plus! Dehors, son mari et son fils réparent le moteur d’un tracteur.

Cette étape sera-t-elle facile ? Je l’espère, en pensant à l’énergie déjà dépensée au cours des deux nuits précédentes. En fait, ce sera l’une des plus difficiles de mon périple : dix heures de détours et recherches diverses m’attendent.
Je commence par livrer une véritable bataille dans la carrière de Villiers-aux-Bouins pour franchir les pistes entre les camions, me frayer un passage dans les buissons, contourner les fossés et le cours d’eau, éviter les enclos…La gigantesque cimenterie me fait maintenant face. Je la contourne par la gauche, retourne en arrière, repart sur la droite, reviens par derrière… Enfin je retrouve ma ligne, mais au beau milieu de champs de blé. Le  Verdésert  me submerge à nouveau. Je navigue au milieu des ondulations végétales en essayant de suivre les sillons tracés dans cet océan de verdure. Les couleurs changent, la mer devient jaune, de suaves odeurs imprègnent mon corps, une poudre jaunâtre recouvre mes chaussures, mon pantalon, ma veste et ma casquette. On ressort des étendues fleuries de colza sans aucun rire (même jaune) avec une indigestion qui vous fait promettre de ne plus jamais acheter d’huile de colza.
Brèches : une commune déserte, elle aussi. Une boulangerie ? Nada. Un bistrot ? Nada. Je me contente d’un grignotage à l’abri du vieux lavoir.
Puis c’est la forêt, sauvage. Je livre ma troisième bataille du jour, au milieu de fourrés que je dois éclaircir à l’aide de ma serpette.
Enfin des vergers, dont je devine qu’il vaut mieux faire le tour. Je m’en écarte régulièrement, veillant aux ruches installées au bout des rangs. Gare aux abeilles, gardiennes des lieux qui profitent des premiers rayons printaniers pour polléniser les pommiers.
Des nuages gigantesques me rattrapent par derrière et m’envoient quelques saucées bien gelées.
Au loin se profilent Les maisons de Saint-Aubin-Le-Dépeint. Je débouche sur une petite route. Mais il est bien trop tard pour chercher un lieu de bivouac convenable. Une voiture me dépasse, le chauffeur m’interroge des yeux par sa vitre entrouverte ; j’opine de la tête. Il s’arrête. Certaines situations n’ont pas besoin d’être longuement expliquées. Il décide de m’emmener chez sa sœur Liliane qui m’accueille dans son garage tout confort : électricité, eau, soupe et dessert ! Cette nuit, mon corps et mon cœur se réchauffent tandis qu’au dehors les braseros allumés au pied des arbres tentent inutilement de sauver la fructification des vergers victimes du gel.
Je consulte mon téléphone et ses messages : Yeah ! Demain j’aurai de la visite.


Cinquième étape : Saint-Aubin-le-Dépeint à Epeigné

Un réveil sous le signe de la convivialité. Liliane me fait monter à l’étage où elle a préparé un petit déjeuner. Son sens de l’accueil est remarquable et je ne sais comment la remercier.

Le chemin est sage ce matin. Il ne m’oppose qu’un bref combat avec un jeune roncier. Je déboule sur la D72, pressé : aujourd’hui Manick vient me retrouver à mi-chemin avec les amis Pierre, Béa et Jacques. Je devine de très loin une voiture encadrée par deux silhouettes… Ohé ! Manick et Béa sont là. Bisous et ravito, café et gâteaux, fruits et coca, rires et blablas !
Je repars tout joyeux. Jacques et Pierre me retrouvent un peu plus tard : ils m’attendent de pied ferme à l’heure du pique-nique. Aujourd’hui c’est bombance et assistance : aide téléphonique pour m’aider à franchir l’autoroute A28, essai de nouvelles chaussures, ( je finirai d’en user trois paires au bout du compte ), dépannage du cordon de téléphone, remplacement d’une carte GPS…
Nous repartons tous les trois en direction de Villebourg. Un bon chemin, puis un passage rock&roll pour traverser le Long, que nous franchissons juchés sur des branches préalablement taillées avec ma serpette… ça leur donne un aperçu de mes tâches quotidiennes !
Un grand « au revoir » à Villebourg où ils reprennent leur voiture. Epeigné s’annonce sur ma carte. Est-ce le fait de me retrouver seul qui me rendent les petites routes si monotones ? Un chien décide de m’accompagner en aboyant pendant plus de dix minutes. Ça énerve… je prends sur moi pour ne pas hurler à mon tour !
Des gouttes, des gouttes, j’accélère. Il pleut. Ça  mouille et ça chauffe dans les chaussures… je n’aurais pas du forcer l’allure : deux nouvelles ampoules titillent mes orteils. Et encore une heure sans voir la moindre bicoque…

Enfin un petit chemin m’éloigne du Verdésert  et descend en direction d’une ferme. Son vaste hangar me permettrait de passer la nuit au sec. Je frappe à la porte . Monsieur Chollet, 78 ans, ancien restaurateur devenu éleveur de bovins à l’heure de sa retraite (si !) me refuse d’une façon espiègle l’usage de ses dépendances pour mieux m’accueillir à sa table et coucher dans sa maison ! Une discussion animée s’engage autour de l’apéro, puis d’une soupe thaï, d’une blanquette de veau, d’un fromage blanc et d’une bouteille de Bordeaux. En quelques heures le monde change, nos familles et amis se croisent virtuellement. Nous évoquons la géographie, l’histoire, l’éducation, nous révolutionnons ou restaurons tour à tour la politique, les codes sociaux, l’agriculture, l’élevage et le patrimoine rural ! La soirée s’avance, mais il faut penser au lendemain et profiter du repos de la nuit. Monsieur Chollet ouvre la porte d’une chambre, que j’occupe aussitôt sans avoir bien compris si c’était la sienne, ou celle de sa fille, ou d’une amie, ou finalement celle de son chat et de son chien venus dormir avec moi.
« - Bonne nuit et à demain. Sept heures, ça va ? »


Sixième étape : Epeigné à Les Hermites

7 heures : je me contorsionne au bord du lit pour soigner mes orteils et les remballer le plus proprement possible. Je sens mon hôte s’agiter de l’autre côté de la porte et comprends qu’il ne faut pas traîner. Un petit déjeuner vite fait bien fait dans la bonne humeur et hop ! A 8 heures tout le monde dehors. A 78 ans, Monsieur Chollet tient une jolie forme. Au revoir et « Bonne continuation » !
Ce matin le paysage a totalement changé. Finies les longues successions de champs de blés, colzas, blés et colzas. Le joli vallon de La Forge réjouit mon esprit. Je ne serais pas surpris d’y croiser Jean-Jacques Rousseau écrivant ses impressions matinales sur un petit carnet. Le chemin mène au point de jonction des trois départements de l’Indre et Loire, de la Sarthe et du Loir et Cher. Nous sommes entre les communes d’Epeigné et Villedieu, la nature est riante, peuplée de biches et chevreuils. J’avance au creux d’une magnifique succession de vallons au milieu des prairies et petits bois de feuillus où l’on peut circuler aisément. Les pieds foulent maintenant les terres de la commune des Hermites. Les bois y prennent un air de petit paradis. Il me semble que cette étape est dédiée à la solitude et la quiétude. Seul dans les champs, seul dans les bois, mon corps bercé par mes pas profite pleinement des odeurs de l’humus et des lueurs fugitives des sous-bois. Les fermes se font rares. Alors, je prends tout mon temps lorsque j’en aperçois une. A l’entrée d’une petite exploitation un jeune couple discute. Ils acceptent de me ravitailler en eau et de prendre le temps de converser. Ils élèvent des volailles, en essayant de maîtriser tous les aspects de leur métier : ils cultivent eux-mêmes les céréales nécessaires à leurs volailles, qu’ils élèvent en plein air. Ils ont créé leur propre réseau de distribution pour vendre leurs poulets, chapons et gelines. Ils se déplacent sur les marchés deux fois par semaine. Ils espèrent avoir fait le bon choix, mais n’ont pas encore assez de recul pour en être déjà certains car le temps n’est pas extensible et ils ne pourront pas agrandir davantage leur élevage. Je leur souhaite le meilleur avenir.
L’après-midi s’allonge, le soleil brille, ma petite réserve d’eau s’épuise rapidement.
Mes petons s’abîment un peu plus. Deux nouvelles ampoules, apparaissent sans prévenir. Mais pourquoi ne les ressent-on que trop tard ?! Les soins nécessaires me stoppent une fois de plus. Et ma vitesse réduit encore. Par chance, aucune broussaille ne vient s’opposer à ma progression. Dans ces bois magnifiques le cheminement est évident. Le bivouac s’y impose naturellement. J’installe mon hamac entre deux arbres, le protège par une bâche tendue au-dessus. Je retourne vers l’étang le plus proche, repéré un peu plus tôt, y remplis mes bouteilles dans lesquelles j’insère des pastilles destinées à purifier l’eau. Ma fois, la soupe du soir n’aura pas si mauvais goût !
La soirée passe vite à soigner mon corps, écouter les bruits, annoter mon carnet… Les étoiles s’allument une à une.
Un hibou s’approche et s’installe pour me bercer dans la forêt des chevreuils. Dodo.

Des ragondins qui batifolent, un castor qui se retourne bruyamment, des chevreuils trop pressés, un hibou pour m’endormir.


Septième étape : Les Hermites à Le Boulay

Quelques petits cris, brefs et rauques, me réveillent. Je me redresse dans mon hamac, le temps de voir passer un chevreuil à quelques mètres de moi. Il ne m’a pas vu et je me dis qu’un humain est bien plus discret allongé dans la nature que sur ses deux jambes. Du coup, je prends un quart d’heure pour passer de la position horizontale à la verticale. Puis encore une heure de bonheur à vaquer aux préparatifs du matin près du réchaud qui ronronne. Le sous-bois est transpercé de rais lumineux qui apportent la douceur d’une belle matinée printanière.
Je repars sur mes petons flambant-neufs.
Sortie de bois et fin de rêves : le Verdésert réapparaît à perte de vue : blé, colza, blé, colza, colza, blé, blé, colza, blé, colza. Chemin. Blé, route, colza, blé. Chemin…
Le blé, ça mouille ; surtout le matin.
Le colza, ça jaunit ; surtout l’après-midi.
J’ai soif. Une australienne me ravitaille dans sa petite maison perdue au milieu des champs. Suis-je encore en Touraine ? De l’eau fraîche, accompagnée de petits sablés ; j’apprécie. La matinée est belle, les champs se succèdent : route, chemin, blés, colzas. Inversement.
Un chapiteau de cirque rouge et jaune émerge au-dessus des colzas. Mon GPS confirme mon impression : c’est le cirque pile-poil sur ma ligne! Un cirque qui n’attendait plus que le passage d’un clown… Non loin, une petite maison : celle de la famille Moralès. Une voisine m’explique qu’ils habitent là, et s’entraînent régulièrement sous leur chapiteau. Mes pieds sèchent le temps de la discussion… pour mouiller encore davantage quelques minutes plus tard au milieu des blés. Averse. Un mignon petit hangar se présente à moi pour m’abriter quelques temps. Soleil. Ça repart sur les chemins.
Route. Elle mène au village du Boulay, une des seules communes situées sur la ligne. Exactement. Mais la trace s’écarte vicieusement peu avant l’arrivée au village. Elle opère un détour stupide au milieu de pentes couvertes de cailloux dépotés des champs en surplomb : une bonne demi-heure de supplices imposés à des pieds tordus et surchauffés pour un fakir amateur ! Je ne serai pas à l’heure pour la sortie des classes : j’espérais assister à l’envolée des enfants quittant la cour de l’école sous l’œil des maîtres et maîtresses. Je voulais discuter avec eux de ce qu’était devenue cette école qui avait été mon premier poste fixe… 40 ans déjà ! Une assistante maternelle range les salles avec ses deux collègues ; elle était élève de l’école lorsque j’y enseignais… A l’époque, il y avait une quarantaine d’enfants dans deux classes. Trois fois plus maintenant. Un petit sentiment de fierté m’étreint d’avoir contribué à empêcher la disparition de cette école à une période où la population s’expatriait vers la ville. Il avait fallu faire parler du Boulay jusqu’à Paris où nous étions allés en car, puis dans quelques journaux nationaux et locaux afin d’obtenir l’assurance d’un sursis salvateur. Quelques habitants de la commune s’en souviennent encore. Le jeune syndicaliste que j’étais aussi.
On m’indique un hangar où passer la nuit, derrière l’église. Je m’y installe pour éviter la pluie qui tombe maintenant sans discontinuer. Ce soir j’irai manger à ma faim dans le petit restaurant communal.
La nuit me paraît moins froide lorsque je pense aux joies du lendemain. Ce sera jour de visite : Manick viendra avec ma cousine Michèle pour me ravitailler.

4 perdrix, 1 faisan, 1 paon en liberté, 2 personnes aux regards suspicieux : ma barbe naissante ? ma serpette dépassant du sac ? mon aspect cheminot ?




Pluie printanière
Ruisselle sur les blés verts
Et mes pieds trempés



J’en sors tout jauni
Des colzas aux champs fleuris
Mais je n’en ris guère



Huitième étape : Le Boulay à Morand

Pluie ce matin. Trois quarts d’heure de perdus pour emballer les orteils. Un autre pour refaire le sac. Arrêt au bistrot du village : puisque ma ligne passe par là et qu’il pleut. Profitons-en ! Un  client, addict aux jeux à gratter s’éternise au comptoir. En aparté le patron me confie :
«-… En 20 ans on a gagné une belle somme qu’une seule fois ici… 1500 euros. C’est ma femme qui avait donné les numéros au client. Elle, elle en avait joué d’autres... Ça a bardé entre nous ! Pas parce qu’elle avait perdu, mais parce qu’elle avait joué ! Maintenant ça va, elle ne le fait plus !… ». No comment…
C’est la tournée du boulanger. Il klaxonne à tout va. Un attroupement de quatre citoyens se forme. Bien sûr, je les rejoins. On discute de la vie du village, de mon passé d’instit ici même. La mère de l’assistante maternelle rencontrée la veille était femme de ménage de l’école au moment où j’y enseignais. Un voisin se souvient de la virée que nous avions faite en car jusqu’aux portes de l’Assemblée Nationale à Paris : cinquante villageois et instituteurs mobilisés afin d’empêcher la fermeture d’une classe et à terme celle de l’école. Nous avions gagné notre combat. L’école est  maintenant rénovée et a triplé ses effectifs. Je me dis que le temps et les trajectoires présentent parfois bien des surprises.
La pluie ne semble pas vouloir s’arrêter. La mort dans l’âme je me force à démarrer pour de bon, sac et bonhomme bien empaquetés. Par bonheur le chemin est facile ce matin. Ça me facilitera les retrouvailles prévues ce matin avec Manick et ma cousine Michèle. Une heure et demie plus tard, j’aperçois le lieu de rendez-vous prévu : un pont SNCF près  d’une petite route. Joies et embrassades pour ce second rendez-vous. Je fais le plein de vitamines et de bonne humeur avant de repartir légèrement séché par un bon sentier estampillé « Saint Jacques ». Aujourd’hui il n’y aura que moi pour l’emprunter, qui plus est à l’envers…
Changement d’ambiance. Le chemin s’arrête, les repères disparaissent. Je poursuis ma navigation à l’aide de la boussole. La pluie cesse, mais le vent forcit. J’erre avec plaisir dans ces bois isolés, un souffle léger parvient jusqu’à moi, les branches crissent doucement au-dessus de ma tête. Un craquement sec, puis un autre plus violent. Je lève les yeux juste à temps pour assister stupéfait à la chute d’un magnifique chêne à moins de vingt mètres de moi. Le souffle et l’odeur des jeunes pousses écrasées parviennent à mes narines. Je m’approche, le mesure de mes pas : 25 mètres de longueur environ… Je me dis que deux fées ont veillé sur moi aujourd’hui : Manick et la fée du bois de Saunay, qui a bien voulu repousser ce chêne du bon côté ! Une brève enquête sur les causes de cette tentative de meurtre m’indique qu’un (mauvais) bûcheron avait fait une coupe horizontale à la base de cet arbre qui voulait rester debout. Le bûcheron qui voulait se coucher lui, était parti en le laissant à son triste sort. L’arbre avait préféré confier aux souffles de la nature la fin de sa belle existence, attendant sans doute le passage d’un témoin compréhensif ! Je repars lentement et finis par me demander si je ne divague pas un peu trop. C’est sans doute les effets des flagrances de l’humus, des bois et végétaux… Je dois me ressaisir : me voici au beau milieu de tertres plus hauts que moi. Des couinements sortent de terre. Je me baisse, envisage d’entrer ma tête dans une galerie située à la base d’un monticule afin de mieux cerner cette vie souterraine. Mais je préfère renoncer lorsque je réalise que des blaireaux sont parfois plus gros et plus agressifs que des chiens s’ils se sentent menacés. Méfiance et prudence. Eloignement et raison.
Mon errance se poursuit, guidée par mon seul GPS. Un fossé canalisé m’impose un passage rock & roll sur une planche douteuse. Ce fossé est bien profond, ses parois bien verticales et très humides. Je les escalade pour les franchir, saisissant les brindilles et enfonçant mes doigts dans la terre. Ce sont ces petites victoires sur votre  environnement qui vous redonnent tout l’entrain nécessaire. Plus loin, au milieu d’une clairière verdoyante, brillent les murs d’une petite maison éclairée par le soleil réapparu. Les contes de mon enfance me reviennent en mémoire…
Fin des rêveries. Je débouche sur un plateau recouvert de blés à perte de vue. Une errance beaucoup moins glamour m’impose une longue recherche des meilleures traces de tracteur, au plus près du tracé GPS. Je m’engage dans une parcelle de 3000 mètres de longueur sur autant de largeur. Je mets une demi-heure à la traverser !
De l’autre côté m’attend une autre ligne que je franchis par un pont. Celle de la LGV, beaucoup plus fréquentée que la mienne, parcourue à une vitesse beaucoup plus rapide ! Mais la mienne revient beaucoup moins cher, dans sa conception comme dans son utilisation… Les exagérations humaines sont parfois surprenantes : une telle débauche de moyens est-elle vraiment justifiée ? Au regard de quelles exigences ? A l’inverse, mon extrême lenteur est-elle pertinente ? Utile à qui ? Cette confrontation de deux lignes opposées me laisse perplexe.
Je poursuis mon chemin et mes réflexions jusqu’à ce que je puisse retrouver quelques arbres. Enfin un petit bois. Stop.
Bivouac, hamac, pose le sac, clac.
Bobos, eau, réchaud.
Dodo.


Neuvième étape : Morand à Fleuray

6 heures : déjà réveillé, ou pas encore endormi ? Le hamac, on y dort au sec, mais on y attrape froid par les fesses. Debout ! Il fait moins froid debout que couché !
Je prends beaucoup de temps à étudier l’état de mes pieds. Aujourd’hui  j’essaie une nouvelle formule : je remplace mes chaussures de trek usées et spongieuses par une paire de tennis de course « légèrement usagée ». Avantage : retrouver davantage de confort. Inconvénient : être en permanence attentif aux endroits où poser ses pieds.
L’eau chauffe sur le réchaud installé sur un lit de feuilles mortes… il se renverse ! Plus une goutte d’eau pour démarrer la journée. Du coup, ça précipite le départ. Je réalise avec plaisir que l’emplacement du bivouac était plutôt judicieux car ce matin ce n’est plus qu’une enfilade de champs. Une énième reprise des séries blés – colzas – blés – colzas, des kilomètres durant. Les chemins sont bons, j’avance. Les fermes sont dispersées. Je me rends compte de très loin qu’elles sont pour la plupart inhabitées, transformées en simples hangars. La vie a disparu à l’intérieur de ces murs, le silence s’est installé autour des bâtiments. De vastes secteurs  de la campagne tourangelle ne comportent plus aucun habitant. Le Verdésert gagne chaque mois un peu plus du terrain. Je dois marcher, attendre encore jusqu’à l’après-midi pour trouver l’eau qui me fait défaut. Le salut arrivera grâce à un ravitaillement en liquides bienvenus : Martial et Chantal me retrouvent pour un pique-nique improvisé au pied d’une borne limitrophe au Loir et Cher. Une restauration fort sympathique, avec révision complète des couleurs de nos bouteilles favorites. Je les quitte guilleret, claudiquant, mais cette fois ci pas à cause de mes pieds.
Un bois épais me fait face, sans aucune visibilité. Je navigue en pilotage automatique, suivant aveuglément le GPS. Ma boussole confirme la bonne orientation. Petit à petit l’environnement s’éclaircit, le paysage change. Je parcours les vallons, les bois et les prairies fleuries. Je retrouve le paysage ligérien typique de ma Touraine natale. Sur les terres de Fleuray et de Mosnes apparaissent les vignes qui produisent le «Touraine Mesland ». Un œil averti devine aux lointains la légère dépression qui annonce la vallée de La Loire bordée de tous ces précieux vignobles qui s’étalent d’Est en Ouest. Ils produisent les vins de Sancerre jusqu’à Nantes en passant par Vouvray et Montlouis, Bourgueil et Chinon, Saumur et Bonnezeaux… 
La soirée sera conviviale : Henri et Marie me retrouvent à Fleuray, au coin de la coopérative viticole. Je m’installe au milieu d’un minuscule verger, hamac suspendu entre deux pommiers. Le partage des fraises et breuvages apportés par leur soin scellent de beaux moments d’amitiés. Le ciel s’allume d’étoiles à l’heure de notre séparation.
La fatigue aidant, je m’endors très facilement malgré la fraîcheur qui s’installe.


Dixième étape :  Fleuray à Souvigny-de-Touraine

C’est le grand jour de ma seconde traversée de Loire. Rendez-vous est pris à midi avec l’ami Pierre et son canoë à la limite de Veuves et de Cangey. Béa et Jacques l’accompagnent pour venir me rendre une petite visite autour d’un pique-nique ensoleillé.

11 heures : il ne me reste plus qu’à descendre le coteau pour retrouver les amis 800 mètres plus loin, sur la digue. Oups ! Deux ronciers gigantesques de 80 mètres de profondeurs m’imposent des tailles inutiles puisqu’il faudra en fin de compte battre en retraite. Des tours, détours et retours avant de prendre pied, enfin sur la petite route qui m’attend sagement au bas de la pente. Ayant pris pied dans le lit majeur de La Loire plus aucune déclivité ne s’opposera à ma progression; mon retard à mon rendez-vous ne devrait pas être trop important… Mais une nouvelle bataille m’attend dans les varennes qui s’étendent du coteau aux berges de la Loire. Avec en prime la rivière Cisse qui s’écoule parallèlement au fleuve. Celle-là, je l’avais totalement oubliée… Je tente ma chance au milieu des roseaux, patauge dans les marais, reviens, repars 150 mètres plus loin, puis 300 mètres plus loin. Rien à faire, l’eau suinte et s’écoule partout, je ne trouve aucune passerelle, aucun arbre incliné qui me permettrait de traverser la rivière. J’accepte ma défaite à regret, m’éloignant de 600 mètres pour rejoindre un peu trop loin à mon goût un petit pont qui franchit le cours d’eau.

13 heures : j’approche des deux petites silhouettes perchées sur le haut de la digue et de la forme allongée qui somnole dans le véhicule pour des retrouvailles heureuses et solidaires.
Amitié, canoë, pagaies, gilet, essais, clichés…
Traversée !
Le courant de La Loire est régulier mais puissant. La limite départementale remonte le fleuve sur près de 2000 mètres, mais nous avons conscience qu’il faudra traverser en diagonale et que la force des flots fatiguera nos muscles un peu trop rapidement… Après une traversée de 500 mètres face au courant, une première pause sur la rive opposée, puis un nouvel effort sur quelques centaines de mètres, nous estimons en avoir assez fait. D’autant que l’ami Pierre doit retourner d’où il vient. Un bon sentier longe la rive convoitée, j’y prends pied, non sans avoir pataugé dans les limons déposés sur la berge. Mon honneur est sauf puisque la limite départementale est à moins de 300 mètres au milieu du fleuve et que je la remonte en parallèle. Au Port de Mosnes existe un camping bien tentant, situé dans un cadre ligérien reposant… Mais la course du soleil n’a pas achevé sa trajectoire journalière. C’est elle qui me guide et détermine le temps nécessaire à ma progression quotidienne. Je me force à repartir en adressant de grands gestes de remerciements à Pierre, maître es-canoë ainsi qu’à Jacques et Béa pour leur aide logistique. Je file vers Souvigny par de bons chemins et me rappelle d’un mail reçu avant mon départ, qui me signalait l’existence d’un gîte d’étape dans cette commune située sur la ligne. Ce soir je dormirai dans le confort d’une maison douillette : douche et électricité, table et micro-onde, lit et édredon : une bonne nuit de réparation bienvenue. Une délicate pause nocturne. 
Vivement demain !


Onzième étape :  Souvigny à Francueil

Reposé, rasé et tout propre, je discute des vertus et défauts de l’alimentation bio avec le propriétaire du gîte. Il en fait un principe de vie, un credo. Si je partage son avis sur les méfaits de l’alimentation industrielle qui ne respecte pas la santé des gens, je ne rejette pas pour autant les producteurs qui travaillent au mieux de leurs possibilités sans avoir de « label ». Label qui répond lui aussi à des intérêts économiques pas toujours évidents. Sans compter que le « prix » de ce label et des normes qui y sont liées est reporté sur le prix de vente, empêchant l’accès de ces produits aux couches populaires les plus pauvres. Celles qui ont déjà le plus de mal à se soigner…
Pour l’heure il me faut être pragmatique. Je reviens à mon problème du jour, à la complexité du trajet pour quelqu’un qui désire traverser la rivière locale du nord au sud quand les chemins mènent d’est en ouest. Mon hôte me renseigne sur un gué de la rivière Masse, situé près d’un moulin privé ; il me donne son numéro de téléphone. Mon souhait est de repartir du nord du village, traverser le gué du moulin pour me retrouver au sud exactement dans l’axe de la ligne départementale. C’est ce que je tente d’expliquer par téléphone à la propriétaire, qui me répond par un « pas le temps – pas possible » sans me laisser aller au bout de ma phrase et clac… raccroche en cours de conversation. Je rappelle pour avoir le plaisir de finir mes explications et pouvoir raccrocher à mon tour. Il ne me reste plus qu’à remonter vers la rive nord (une demi-heure) pour simuler une traversée fictive, chercher d’improbables options, repasser par le pont de Souvigny et rejoindre la rive sud afin de rester à moins de 300 mètres de la rive opposée (une heure).
Mon humeur maussade s’estompe à la vue d’un fada qui me ressemble un peu. Il marche d’une façon différente de la mienne : ses bâtons de marche lui servent à donner l’impulsion nécessaire pour tracter derrière lui une pulka sur laquelle sont posés ses effets personnels. Nos chemins se croisent vraiment : il se dirige vers La source de La Loire au Mont Gerbier de Joncs et compte revenir à pied aussi, six semaines plus tard.
Je repars plein sud, et pénètre bientôt dans la forêt d’Amboise. Je sais ce qui m’y attend pour y avoir testé ce passage l’an passé. Plusieurs heures à louvoyer entre les arbres et les buissons, le nez collé au GPS afin de garder la meilleure orientation possible. La trace que j’enregistre ressemble quelque peu à une pelote de ficelle emmêlée !
Enfin des allées, avec une sortie sur la campagne ensoleillée. Des vignes plantées qui descendent en pentes douces. Deux vignerons discutent entre leurs parcelles. Je m’arrête pour passer un moment avec eux et partager nos sentiments. Les leurs ne sont guère joyeux après la série de nuits froides qui vient de faire geler les bourgeons éclos sur les ceps. Nous parlons de nos métiers respectifs, comparons nos avantages et nos difficultés. Ils travaillent en ce moment à planter une nouvelle parcelle qui produira du vin d’appellation « Touraine ». Pas « Amboise » me précisent-ils car la proximité de cette commune pourrait le laisser penser. La nuit du 26 avril où la température est descendue à – 4° a brûlé tous les bourgeons ; perte envisagée : 80% de la production… Une récolte à venir si désastreuse qu’ils se demandent déjà comment ils pourront jongler avec leurs comptes de l’année suivante. Le plus jeune s’emporte :
« …Si c’est pareil l’an prochain, je coule et j’arrête tout, je vends mes vignes »
La mort dans l’âme.
En direction du Cher la descente est débonnaire. Depuis le coteau, j’aperçois un canoë qui descend la rivière. Il me passe sous le nez… Etant donné que la saison touristique n’est pas commencée, je me doute qu’une telle occasion ne se représentera pas une autre fois aujourd’hui. « Allô Pierrot ?!… » Il arrive une heure plus tard avec son canoë. Ah ! les copains… Philippe l’accompagne et participe à la mise à l’eau de l’embarcation. On essaie même de remonter le courant ; ça marche. On redescend sur 300 mètres pour  traverser la rivière. Photo. Un chemin communal suit l’autre rive, j’y prends pied pendant que les deux amis continuent à batifoler avec les eaux de la belle rivière. 
La remontée du coteau sud est facile. Des vignes s’allongent sur ses pentes. Plus haut quelques bois. Je m’installe au milieu d’un bosquet à l’écart du chemin. Les amis me retrouveront un peu plus tard pour un dîner champêtre entre vignes et bois avec Manick et « Framboise » venues nous retrouver. Une belle fin de journée, animée par des montgolfières qui passent juste au-dessus de nous. Ce soir je dors au chaud : Manick m’a apporté un duvet de haute montagne. Les nuits suivantes paraîtront beaucoup moins froides !

Douzième étape :  Francueil (Les Coudraies) à Orbigny (D89)

J’ai apprécié cette nuit mon nouveau duvet. Un peu tard, je l’avoue ! Avantage : la chaleur permet de dormir. Inconvénient : le froid ne me fait plus lever d’aussi bonne heure. Résultat : une heure de retard sur le soleil, donc une heure de marche perdue !
Les godasses foulent l’asphalte. Des heures. A la longue c’est pénible, mais ça avance.
Enfin un joli bout de forêt. Avec des ronciers, bien sûr. L’un d’eux me stoppe vingt minutes pour faire un trou de trois mètres de profondeur. Je traverse… pour me rendre compte que 300 mètres avant j’aurais pu contourner ledit roncier : un chemin passait de l’autre côté ! Dans la campagne retentit un furieux juron !
Des petites routes contournent la commune de Céré La Ronde, bien nommée avec sa grosse bosse qui domine toute la Touraine. Je longe une magnifique propriété dans laquelle je n’ose pénétrer. Un peu plus loin sur la route du Préau une petite Clio blanche me rattrape lentement . L’ami Jean-Luc est venu me consacrer quelques heures de ses précieuses RTT ; ça a du bon les RTT, faudrait pas les supprimer : ça me fait un café, des retrouvailles et surtout du bla-bla-bla à revendre ! Il a du flair Jean-Luc : il m’a retrouvé juste avant LE « sommet » tourangeau. Trois cents mètres avant précisément. Pour un peu on sortait une corde pour finir l’ascension du point culminant d’Indre et Loire : 188 mètres SVP !
J’annonce cette grande nouvelle en consacrant une séance Email et Facebook aux amis tourangeaux du Club Alpin Français. Tant pis pour la batterie du portable :
« Avis aux Cafistes tourangeaux : sommet de la Touraine atteint ce jour en partant du point le plus bas du département (confluence de la Vienne et de la Loire) par la voie nord la plus longue possible.
Cotation technique = R  (Ridicule).
Cotation physique = FV (Faut en Vouloir).
Originalité = VJ  (à Vous d’en Juger).
PS : Ceci est une joyeuse plaisanterie. Néanmoins, ne serait-ce pas là une « Première » dans la série des « Treks Tourangeaux ? ».

Nous arrivons près de la forêt de Brouard. Jean-Luc me laisse y pénétrer seul. Sans doute par peur du loup. D’ailleurs il est tout chose : je le vois repartir par le mauvais chemin !
Je m’enfonce sous la futaie avec délectation. J’envisage maintenant la suite du trek comme le début d’un retour. Réellement ! Parfois un peu de subjectivité permet aussi d’avancer… J’admire les magnifiques allées forestières qui mettent en valeur des chênes centenaires. Ce soir je m’arrêterai un peu plus tôt afin de profiter pleinement de l’ambiance de cette forêt, de son calme et du confort de mon bivouac amoureusement préparé à l’abri d’un tas de bûches.
La nuit sera belle : les étoiles clignotent déjà au travers des branches balancées par un souffle léger…

Un mulot et un chat en promenade, deux fourmilières, une buse qui s’envole d’un fossé avec une couleuvre entre ses serres… méfiance mes petons, les vipères sont peut-être de sortie elles aussi !


Treizième étape : Orbigny à Nouans-les-Fontaines (D8C)

J’aime cette forêt, ce bivouac si tranquille, ces chênes magnifiques, ce ciel printanier et le confort rustique de mon installation. Je repars sereinement, le soleil déjà accroché aux plus hautes branches. Les heures passent  en contemplation du jeu des lumières et du balancement des rameaux. Marcher droit devant sans douter du chemin, éviter les fondrières, choisir les passages les meilleurs, rechercher le rythme où mon corps exprimera son efficacité optimale. Aujourd’hui, je stocke l’énergie nécessaire au chemin qu’il me reste à parcourir.
Les chevreuils m’accompagnent. Lorsque je ne les vois pas je sens leur présence en permanence. Il ne se passe pas un jour sans qu’ils ne me rendent visite, à moins que ce ne soit l’inverse… Aujourd’hui l’un d’eux m’a offert l’un de ses bois qu’il a laissé au milieu d’une sente. Je le ramasse et le dispose cérémonieusement au sommet de mon sac. Ce sera mon totem, mon symbole, ma mascotte, mon remerciement aux mammifères qui m’ouvrent si souvent la voie recherchée au milieu des ombres et des broussailles. Une alliance est scellée au gré des traces de nos pas qui se mêlent au cœur de la forêt. Je me surprends à chantonner cet air ancien :

« Voici le joli mois de mai
qu’il est joli
qu’il est donc gai
les oiseaux des champs fêtent le printemps
Ah ! qu’il fait bon passer ici !… »

Mais il faut ressortir, retrouver les lieux habités et l’eau qui commence à manquer après plus de vingt heures passées dans les bois.
J’approche d’une belle propriété entourée de clôtures et portails. Un chien hurle ; j’attends. Deux chiens hurlent ; j’attends. Elle arrive ; j’explique. Silence. Je ne demande « que de l’eau »… Silence. Il arrive et m’observe. Silence. Il l’interroge du regard, elle, mais pas moi. Silence. Elle prend ma bouteille tendue au bout de mon bras. Silence. Il  fait oui de la tête. Elle s’en va et revient ; en silence.
Ma bouteille est remplie. J’offre l’un de mes plus beaux sourires et je repars. En silence.
Je n’irai pas très loin : un grillage de 2,50 mètres rehaussé de barbelés barre le chemin, protégeant étangs, élevages de cervidés et autres secrets. Un domaine de plusieurs centaines d’hectares dénommé La Tuilerie me fait face. Pour moi c’est la tuile, en plein sur ma ligne !je cherche et recherche pour m’éloigner finalement de plusieurs centaines de mètres de mon axe. Une heure et demie après je n’ai pas encore retrouvé la trace. Je reprends quelques forces, assis sur un talus lorsqu’il arrive à cheval, avec elle . Remis de leurs craintes et finalement un peu plus curieux :
« …Faites quoi là ? »
J’explique à nouveau, sans doute mal car je n’arrive pas à me faire comprendre. J’essaie d’obtenir des renseignements sur des chemins qui me ramèneraient sur la ligne départementale. Ils m’indiquent la direction d’Ecueillé (où je ne vais pas) par la route (que je ne prends pas) . Je me retiens de leur demander s’ils vont aussi prendre la route avec leurs chevaux… J’affiche un nouveau sourire avant de repartir par quelques sentes herbeuses qui me ramènent finalement au sud de La Tuilerie. Mon écart sur la carte sera finalement de 600 mètres à vol d’oiseau. Je ne pouvais pas faire mieux sans autres autorisations préalables.

Je poursuis par une heure de marche tranquille avant la véritable bataille du jour : une énorme déclivité garnie d’épines sur une profondeur de cent mètres. Protégé par ma veste goretex je me laisse tomber dans les ronces pour forcer le passage, une fois, deux fois… à la quatrième ça passe, j’arrive à progresser vers le bas. Un gros ruisseau bien profond m’y attend. Je l’entends plus que je ne le vois avant de découvrir ses berges verticales, humides, flanquées de barbelés, d’orties et de garances bien accrocheuses… Cette fois ci, ce n’est pas un chevreuil qui  m’aidera mais un sanglier qui a forcé les barbelés auxquels ses poils sont accrochés. je m’allonge sur le dos pour glisser sur le toboggan qu’il a creusé, enlève mes chaussures et chaussettes pour mieux traverser nus pieds. Ça glisse pour remonter : ce n’est pas facile d’escalader deux mètres verticaux dans la glaise avec un sac à dos. Je retombe par deux fois, parviens à sortir à la troisième après avoir accepté de m’accrocher aux orties. Ça pique encore… c’est avec un énorme plaisir que je retrouve un champ d’avoine dans lequel je m’étends, au beau milieu d’une trace de tracteur. Je me sèche et me nettoie, me repose en buvant toute l’eau qui me reste. Il se fait tard  et cette journée fut bien occupée ; il ne me reste plus qu’à marcher jusqu’à la prochaine ferme pour y remplir mes bouteilles. Je longe encore quelques lisières jusqu’à une haie où je suspends mon hamac, à la limite d’une prairie et d’un champ.
Les rayons du soleil couchant qui rasent le colza fleuri éclairent la campagne d’un jaune électrique qui me fait croire à l’illumination d’une salle de spectacle. Hallucinations ?
Cette journée fut bien riche en efforts et émotions ; je ne pense plus qu’à manger, et dormir.

Des grenouilles… un héron ; un lapin… des rapaces ; deux chevaux et leurs cavaliers.


Quatorzième étape : Nouans-les-Fontaines à Fléré-la-Rivière

Je me doutais que ce serait compliqué ce matin. D’emblée je m’engage dans des champs qui finissent en cul de sac, encerclés de fourrés. Un dédale de parcelles. Au fond de l’une d’elles je ne devine aucune alternative, aucun détour possible. Je sors ma serpette fétiche du sac pour passer en force. Trois mètres de taillis  à creuser. Le fer de mon outil se détache, je le replace tant bien que mal. Les odeurs mêlées de céréales et de bovins m’encouragent à insister. Après vingt minutes de coupes et griffures, la clarté s’accentue au milieu des feuilles et épines. L’autre côté est enfin dégagé : des lignes de tracteurs sur des champs de blés ; puis de colza bien sûr. Et là ça se gâte : ils deviennent totalement infranchissables à l’intérieur des champs ; trop haut, trop serrés, avec leurs gousses maintenant développées qui font barrière au passage d’un corps. Sur les lisières, ils débordent tellement que je dois marcher dans la ligne de débours  tracée par les tracteurs, obligeant les pieds à se tordre douloureusement . Un pas à l’extérieur et je me retrouve alors dans les ronces et orties. En fin de matinée je n’ai pas fait plus de cinq kilomètres.
C’est au moment où je commence à désespérer que je débouche sur un beau sentier ; puis un autre. Une petite route s’ensuit ; je mets le turbo. Trois heures à fond pour récupérer le retard du matin. Stoppé net. Je me retrouve à nouveau face à un énorme taillis. Encouragé par mon succès de la veille sur un passage de sanglier je renouvelle l’aventure, au ras du sol, élargissant à la serpette le tunnel sur une profondeur de huit mètres. Je reviens en arrière pour récupérer mon sac et refaire un second passage en le traînant derrière moi. J’en sors avec quelques égratignures supplémentaires mais victorieux. Il ne me reste plus qu’à franchir, couché sur le dos, un arbre que la derrière tempête a abattu. La voie est libre maintenant.

Au château de Chaillou le propriétaire tond sa pelouse. Je l’interpelle pour lui demander l’autorisation de traverser son parc. La discussion se poursuit sur l’état de son château :
«- … Ne m’en parlez pas !… ». Effectivement il est dans un triste état avec ses murs décrépis, ses peintures défraîchies et ses dépendances aux toitures crevées. Pour un peu, je lui proposerais bien quelques heures de travail bénévole.
Je repars de plus belle pour atteindre la rive droite de l’Indre en fin de journée. J’arrête l’enregistrement de ma trace GPS sur le point où la ligne butte sur la rivière. Je ne peux la franchir à cet endroit… ou alors à la nage, mais ce serait sans mon sac ! Je me résigne donc à parcourir les trois kilomètres supplémentaires me séparant du pont de la rivière Indre qui passe à Fléré. Ma foi, camper dans un village n’est pas si mal ce soir… Le camping est fermé en raison des coupes budgétaires dans les finances communales mais je m’y installe tout de même, encouragé par les sympathiques footballeurs du stade voisin qui m’offrent l’usage de leurs douches pendant leur entraînement de fin de semaine. Ce soir je me rase : ceci évitera peut-être certaines méprises… J’installe mon tarp, fixé sur mes bâtons de marche pour profiter cette nuit du confort de l’herbe épaisse.
Le clocher de l’église compte les heures. Je m’étonne de l’arrivée précoce de la nuit avant de me rendre compte que ma montre retarde d’une heure… depuis combien de temps ?
J’ai faim, vraiment. Je dévore ma ration du soir ; j’ai encore faim… Demain je mangerai mieux !

Des poules d’eau, des grenouilles, des libellules, des hannetons, un lièvre, un papillon machaon.
Un retraité qui répare son portail ; sa femme qui garde les petits enfants ; trois pêcheurs au bord d’un étang ; un châtelain qui entretient son parc.


Quinzième étape : Fléré-la-Rivière à Obterre

Matinée farniente sous le soleil au camping. La fringale m’incite à lever le camp pour rendre visite aux commerçants locaux : le charcutier et la boulangère qui me prépare aussi un café et me conseille d’aller m’installer sur le banc proche de l’église. Je m’y précipite pour engouffrer mon festin de tartines aux rillettes, petit pain au chocolat, flanc et café. Trois chevaux et leurs cavaliers passent par là et me proposent gentiment de venir passer un moment chez eux. Mais ce sont les heures et le chemin qui commandent les étapes… Ils essaient de m’aider à retrouver la limite départementale, croquis à l’appui. Malgré leur connaissance des lieux, celle de la limite départementale leur est approximative ; son point de départ exact sur la rive de l’Indre leur est inconnue. Tant pis. Il est plus de midi lorsque je commence réellement l’étape du jour. C’est jour de chance : je parcours quinze kilomètres d’une traite par des voies faciles, après lesquels je décide de prendre un bain de soleil allongé contre un tas de bois en finissant mon pot de rillettes.
Un paysage séduisant s’étale devant moi : une succession de collinettes et cultures variées, de champs aux proportions raisonnables entrecoupés de bosquets. Les nuages moutonnent dans le ciel bleu, le soleil assèche et réchauffe ma peau. Un appel téléphonique des amis Laurent et Cathy me sort des rêveries. J’avais presque oublié l’heure où Laurent marcherait dans ma direction après avoir déjeuné chez sa belle-maman, madame Barnier, à Obterre. J’ai beau accélérer la marche, un peu tard avouons-le, je n’arriverai à le rejoindre que deux à trois heures plus tard. Les retrouvailles au coin d’un champ n’en sont que plus heureuses et nous poursuivons un bout de chemin ensemble. Cathy nous retrouve un peu plus loin et partage avec moi une superbe tarte aux abricots qu’elle a apportée. Ils reprennent la route de Tours, non sans m’avoir invité à coucher chez Mme Barnier qui m’attend à Obterre.
J’y passerai une soirée agréable, autour d’un repas passé à discuter de nos probables cousinages avec la famille Cron qui habitait la commune, et qu’elle avait connue.

Des 4X4 évoluant dans un paysage argentin ; un joli trou dans une haie pour sortir sur une petite route ; une sieste contre un tas de bois ; un détour de 400 mètres pour éviter une orgie de barbelés.


Seizième étape : Obterre à Bossay-sur-Claise (Thouaré)

Après une bonne nuit sous un vrai toit, un vrai petit déjeuner et une promesse de repasser un jour futur (en voiture…) me voici reparti par le chemin de l’Aigronne, puis au travers de champs dont il faut remonter la pente.
Premières complications et traversées de haies. L’une d’elles m’occasionne de belles zébrures sur les bras ; c’est le prix à payer du plaisir de voyager en tee-shirt sous un ciel clément.

Un agriculteur est en train de semer le maïs dans un champ ; je m’agite et le hèle. Son application à tracer la rectitude des sillons et le bruit du tracteur l’empêchent de m’entendre et me voir. Il m’est arrivé de lire des critiques de « l’esprit des paysans » qui, courbés vers leurs terres en oublieraient tout ce qui lui est étrangère. Malgré les apparences trompeuses ce que j’observe serait plutôt l’inverse : sa projection physique et mentale qui l’empêche de me voir est entièrement tournée vers l’avenir des graines semées qu’il espère voir prospérer pour les besoins de l’alimentation animale et humaine. Ma petite personne n’a que peu d’intérêt dans cette histoire là !
Pour l’heure, je n’arrive pas à communiquer avec lui pour lui demander l’autorisation de passer. Chacun suit sa voie. Je fonce dans son dos avant que le tracteur n’atteigne la fin du sillon et disparais au plus vite dans le bois contigu ! Une petite dérogation à mon éthique initiale…

Je traverse maintenant la forêt de Preuilly célèbre pour son parc animalier national de La Haute Touche qui contribue au sauvetage des espèces animales en voie de disparition. Mais les allées que j’emprunte sont défoncées et humides, infestées de moustiques tout juste envolés et affamés ; eux ne me semblent pas trop menacés… Je navigue entre les ornières, les arbres abattus et leurs enchevêtrements de branches abandonnées, traverse des pinèdes encombrées de fougères et d’épines, m’écarte pour suivre l’enclos du château de Vineuil mal situé à mon goût, à moins que ce ne soit la limite départementale, que je modifie légèrement pour la circonstance…
Je passe à proximité de la ferme-château de l’Effougeard naguère fréquentée par mon père qui connaissait la famille Navers, propriétaire des lieux. De belles allées s’offrent maintenant à moi en direction de la campagne dont les terres se situent aux limites de la Touraine et de la Brenne. Le relief s’incline jusqu’à la vallée de l’Anglin.

Je pense à mes cousins agriculteurs qui habitent à proximité ; je les appelle. Ils m’indiquent le meilleur passage possible pour traverser la rivière, par le moulin de Berland. C’est en le rejoignant que je me retrouve face à une magnifique martre, aussi surprise que moi de cette rencontre et qui repart d’où elle venait. La traversée du cours d’eau se passe sans encombre, après avoir amadoué le chien qui en garde le passage.
Hubert arrive avec son VTT ; je le reconnais de loin lorsqu’il descend le chemin dans ma direction. Nous arrivons bientôt dans la ferme de Thouaré où nous attendent sa femme Aline, ainsi que Geneviève et mon autre cousin Gérard. A l’occasion de ces retrouvailles inhabituelles nous affinons nos connaissances sur la complexité des limites de champs et parcelles alentours !

Ce soir il y a foule autour de mon bivouac dans la cour de la ferme : mon ami Henri vient aussi de m’y rejoindre pour venir faire l’étape suivante avec moi. Il dormira dans son fourgon. Je m’installe à proximité pour passer la nuit dans l’herbe sous ma bâche après avoir profité de son ravitaillement…

Un chevreuil, des geais, des buses, des corbeaux, des grenouilles, des moustiques, des moustiques, des moustiques… une martre !


Dix-septième étape : Bossay-sur-Claise (Thouaré) à Néons (Thais)

Le petit déjeuner est partagé dans le van de l’ami Henri. Nous repartons de la ferme de Thouaré après avoir promis à mes cousins de prochaines retrouvailles.
Le chemin serpente au milieu de beaux paysages vallonnés, ponctués par les tâches mouvantes des troupeaux épars et les tapis bleutés des cultures de lin. Est-ce la compagnie d’un ami qui nous fait encore trouver plus beau notre environnement ? Si j’aime la solitude et son avantage à pouvoir gérer plus facilement les efforts et l’organisation du temps écoulé, j’apprécie aussi l’intérêt de pouvoir être interpellé sur un détail que je n’aurais pu voir autrement : une fleur, un oiseau, une particularité géographique présidant au choix d’une culture. Nous aurions pu partager davantage encore nos observations avec d’autres voyageurs : le sentier emprunte pour un temps le chemin de Saint-Martin, « El Camino » , dans une de ses portions reliant Candes - Saint-Martin à Poitiers. Mais ce jour là, point de pèlerins malgré les apparences liées à notre présence. Nous nous contentons de héler les chiens à l’aspect sournois qu’il nous faut amadouer, discuter d’un changement de direction ou pester pour avoir choisi de franchir des barbelés un peu trop relevés. Le paysage change encore à l’approche des premiers étangs de la Brenne qui nous occasionnent d’emblée un trempage intégral des pieds et mollets. Une pause sur la bonde de l’un d’eux nous permet d’admirer le reflet des nuages sur les eaux lumineuses, la palette des nuances vertes de la végétation, la progression tranquille des cygnes et de leurs oisons. Nous repartons, l’estomac apaisé, à travers des bosquets qui nous font parfois louvoyer.
Nous voici maintenant en vue des deux communes de Tournon, l’une et l’autre situées de chaque côté du pont qui enjambe la Creuse ; l’une et l’autre dépendent du département voisin. Nous passons par la mairie située en Indre et Loire pour expliquer à Madame la Maire qui nous ouvre sa porte les raisons de mon périple et  ma volonté de rallier les citoyens de tous les territoires. Une discussion s’ensuit sur les difficultés que rencontrent les élus à préserver les intérêts et particularités des communes ainsi que celles de leurs habitants.
Tout cela creuse l’appétit, et les gouttes qui commencent à nous mouiller nous incitent à rendre une longue visite aux deux meilleures adresses de ce village : la pâtisserie et le bar. Mais le temps des gourmandises a une fin, il faut repartir même si la pluie décide de redoubler. Dans la campagne les herbes mouillées sont encore plus mouillées, les fils électriques encore plus électriques, les vaches encore plus vaches !
A l’approche de la commune de Néons et de son clocher, qu’il nous faut éviter afin de rester sur notre tracé, nous suivons la rivière jusqu’au hameau de Thais. Je sais que cette nuit ma bâche ne suffira pas à me protéger. Je commence la quête d’un abri un peu plus sûr. Comme je le pressentais, c’est un agriculteur prévenant qui me propose la paille de ses ballots entreposés dans son hangar. Il me demande seulement de ne pas y fumer, d’allumer mon réchaud à l’écart, et s’excuse presque de devoir faire du bruit à 5 heures du matin pour commencer la traite de son troupeau ! Il reviendra même me proposer de prendre le petit déjeuner chez lui le lendemain matin en compagnie de son fils qui travaille avec lui.
En attendant, les rencontres se suivent et s’enchaînent : mon amie Marie vient chercher Henri en cette fin de journée, alors que mon cousin Roland accompagné de Karine déboulent de Poitiers pour passer une soirée atypique sous mon hangar dans l’ambiance sonore du meuglement des vaches, de la pluie tombant sur les tôles et des bouchons extraits de leurs goulots. Rires et sourires, paroles et conscience de vivre un sacré bon moment !
Bonne nuit à tous, le jour est tombé, la ferme endormie. Il faut maintenant me laisser seul couché sur ma paille ; demain, je me lève dès le point du jour.


Dix-huitième étape : Néons (Thais) à Descartes (Buxeuil)

Je me réveille aux sons des meuglements, du bruit métallique des barrières manœuvrées et de l’aspiration rythmée des trayeuses reliées aux pis. Je me lève sur mon étage de paille et prend le temps nécessaire au tri des vêtements encore humides. La pluie se remet à tomber. Je n’hésite pas à accepter l’invitation du fermier à partager le café du matin une fois la traite terminée. L’occasion de discuter de la vie du village, composé de 17 maisons mais seulement une seule ferme. Le village possède une singularité : deux facteurs passent y déposer le courrier car trois maisons dépendent de l’Indre et Loire et les autres de la Vienne. Je me dis que la Poste qui ferme ses agences communales sur tout le territoire a du oublier cette particularité locale… Mais ce qui inquiète le plus notre éleveur c’est l’avenir de son fils qui aimerait poursuivre le travail, l’effondrement organisé du prix du lait et de la viande, la disparition des fermes voisines, leur transformation en résidences secondaires occasionnellement occupées.
Dehors la pluie redouble d’intensité. Je m’équipe du mieux possible afin de garder au sec le haut du corps et l’intérieur de mon sac à dos. Les chemins et les champs plongés dans la grisaille sont parcourus par un fantôme noir dont la cape virevolte au gré des bourrasques. Il force le pas et saccade ses gestes pour s’extraire de la boue qui s’agglutine autour de ses pieds. L’eau s’insinue de bas en haut remontant des pieds jusqu’aux hanches au passage des herbes détrempées.
C’est ainsi harnaché et dégoulinant que je prends enfin pied sur la petite route de Vicq : « Champagne » ! J’en boirai volontiers mais ce n’est que le nom du hameau voisin… Néanmoins la joie s’installe à la vue des amis Philippe, Pierre et Béa qui arrivent en voiture au moment où je sors du dernier champ. Le café partagé et la mise au sec de mes effets personnels me réchauffent le corps et l’esprit. D’autant que leur arrivée est une aide précieuse à la poursuite de mon aventure : ils vont me faciliter pendant deux jours les cinquante kilomètres suivants. Ils apportent avec eux le canoë canadien avec lequel nous descendrons la Gartempe puis la Creuse jusqu’à la confluence de la Vienne. La limite départementale passe exactement au milieu des rivières. La précision de ma progression sera entièrement garantie sur cette portion !
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’eau du ciel s’arrête de tomber au moment où nous embarquons sur l’eau de la Gartempe. Avec Philippe qui a pris le premier relais en ma compagnie nous goûtons les paysages alentours avec tous les sens de notre corps. La Gartempe est une rivière magnifique où tous les tons  de verdures se déclinent du plus sombre au plus lumineux. L’onde reflète les couleurs végétales cernées par les nuages en mouvance. Le miroir s’illumine par endroits de fugitifs éclats de soleil puis se brouille subitement au passage de hauts fonds où le courant s’accélère. Lorsque de petites vagues se forment, accélérant la vitesse de notre embarcation, notre joie éclate et des cris retentissent bien au-delà des rives avant que le calme ne revienne. Nous admirons alors les traînées mouvantes des herbes aquatiques qui serpentent à la surface des eaux. Et lorsqu’un nouveau rapide se présente, l’attention est de mise pour rester dans l’axe de la rivière ; mais derrière moi Philippe assure les manœuvres avec précision ! Le calme revenu nous permet d’écouter les bruits de l’eau brassée par nos pelles, du murmure de la rivière, des branches crissant les unes sur les autres, des oiseaux sifflant au-dessus de nos têtes…
L’heure d’un joyeux pique-nique arrive, préparé par Pierre et Béa venus nous rejoindre dans un pré qui borde la rivière. Départ du second relais, en compagnie de Pierre cette fois. Nous sommes maintenant sur la Creuse, plus large mais moins mouvante. Des barrages et déversoirs se présentent, parfois équipés de passes à poissons qui ne nous posent pas de grands problèmes sinon celui d’observer avec attention les lieux d’approche avant d’effectuer les portages nécessaires. Le plus délicat sera le franchissement du barrage de la ville de Descartes en raison de sa hauteur et de l’inclinaison de son déversoir quelque peu glissant.
La soirée approche, nous décidons de nous arrêter à hauteur de Buxeuil où une petite église borde la rivière. Ce soir trois amis dorment avec moi, abrités sous le vestibule de l’église, non sans avoir oublié le principe du partage de l’eau et du vin, malheureusement contrarié par l’absence d’un tire-bouchons … L’apéritif n’en fut que plus apprécié !
Malgré la rudesse du carrelage, le sommeil fut très facile à trouver.

Des bergeronnettes, des martin-pêcheurs, des hérons, des cygnes, des canards, des hirondelles, des guêpiers…
Des poissons et des pêcheurs, une église avec ses pêcheurs.


Dix-neuvième étape : Descartes (Buxeuil) à Antogny-le-Tillac (La Cloerie)

Quelle journée !                                                                  
Tout débute par un petit déjeuner digne d’un palace (café au lait et croissants !) concocté par mes compagnons du jour. Nous rejoignons le canoë que nous avions caché dans les herbes et le mettons à l’eau… la pluie nous tombe dessus illico ! Le courant n’est pas très puissant ; c’est dommage car il nous faut maintenir la vitesse en utilisant davantage notre force musculaire. Ça  rame…mais ça avance. On relance dans les mini-rapides ; on se relaie dans l’effort ; on se hèle et interpelle avec ceux qui nous retrouvent par instants sur la berge. Des oiseaux qui piaillent, des poissons qui bullent, des pêcheurs qui les attendent, des martin-pêcheurs qui les surveillent… et nous qui filons devant eux, pressés d’avaler les kilomètres, de prendre ma revanche sur l’extrême lenteur des journées passées. Cet excès d’enthousiasme, je devrais m’en méfier.
Hop ! virage à bâbord toute : confluence de la Vienne en vue.
La théorie voudrait que je remonte ladite rivière sur cinq kilomètres. En pratique il y a le pont de Pussigny qui provoque de très gros courants et remous ; trente mètres à passer, ça ne doit pas être la mer à boire ! Mais les flots s’accélèrent contre nous. Nous testons un premier passage… et refluons sur plusieurs dizaines de mètres. Nous revenons à l’abri d’une pile pour mieux nous élancer à plein régime ; nouvel échec. Nous changeons de trajectoire pour passer sous l’arche suivante… cette fois, j’en suis sûr, avec de la hargne ça passera. Un coup de pagaie enfoncée jusqu’à la garde, un autre encore plus appuyé de l’autre côté… L’impulsion incontrôlée de mon corps secoue le canoë qui gîte soudainement vers une vague traîtresse ! Et hop ! Tout le monde par-dessus bord dans les flots tumultueux . Quelques longues secondes passent dans le noir d’une immersion totale avant de pouvoir ressortir en surface admirer le pont 80 mètres en aval. L’ami Pierre n’y est pour rien, mais il a tout de même partagé avec moi cette portion de ligne… aquatique. Le canoë est devenu sous-marin ; il a disparu de notre vue. Un bout de corde qui réapparaît entre nous permet de le reprendre et le traîner derrière nous. Non,ce n’était pas la mer à boire, mais une bonne tasse tout de même !
Fin de l’aventure sur la rive gauche que nous escaladons à travers les orties… même pas froid ! Pas de témoins, sinon vous cher lecteur, alors séchons nous après un strip-tease intégral.
C’est ainsi que s’achève la descente des trois, euh ! non… deux rivières qui délimitent le sud-ouest du département.
Le canoë fautif est retourné en punition sur le toit de la voiture venue mettre fin à ces facéties.

Mes amis repartent hilares, me laissant seul poursuivre mon périple. Un drôle de pénitent chemine en claudiquant le long de la rivière, vêtu d’une longue cape noire, avec une bosse sur le dos. Chaque pas devient désormais douloureux à cause d’un début de tendinite qui cisaille ma cheville droite. La souffrance s’accentue au fil des kilomètres, rendant les heures bien plus longues jusqu’à mon prochain rendez-vous : une nouvelle rencontre avec mes proches venus de Tours, un pique-nique improvisé à l’abri des averses qui tombent obstinément.
Le maire de la petite commune d’Antogny-le-Tillac vient à ma rencontre : il avait été contacté par l’intermédiaire d’amies communes, Marie et Maryse, elles aussi randonneuses. Nous discutons de la pluie et du beau temps au sens propre comme au figuré, mais aussi du partage de nos expériences auprès de collectivités et d’associations qui luttent pour le bien-être des citoyens, ici comme au Mali ou au Népal… Nous apprécions ensemble les parcours locaux qui rendent nos actions utiles jusqu’à l’autre bout du monde, dans un esprit universel : la volonté de cheminer ici et ailleurs, de faire les rencontres qui améliorent notre vie et celle des autres.

Nous nous quittons sur ces belles considérations et je repars sur ma ligne par un agréable chemin que j’apprécierais bien davantage si cette foutue cheville ne me faisait pas aussi mal. Je n’avance plus qu’avec la perspective des pauses à venir : l’une pour boire, l’autre pour prendre un anti-inflammatoire puis encore une pour téléphoner au journaliste local qui viendra réaliser un article sur mon parcours. Après quelques recherches dans la campagne tourangelle, il finit par me retrouver au croisement d’une petite route et d’un sentier envahi par les herbes. Questions et photos, je m’applique à lui répondre en essayant de ne pas me faire passer pour le champion des illuminés.

Je repars en passant d’un chemin à un autre à travers champs. Certains s’en étonnent :
« - Vous cherchez le chemin de Saint-Martin ?… d’habitude ils passent plus bas ! 
-         Et non ! c’est votre fossé qui m’intéresse !
-         Mon fossé ? il sépare la Vienne de l’Indre et Loire ; c’est aussi une limite de Région.
-         Et alors, c’est quel côté le meilleur ? »…
Une discussion s’engage sur la désertification rurale, le suicide des paysans, le prix des céréales actuellement au niveau de celui des années 80, la politique agricole européenne qui a trahi les populations locales, vidé les communes de ses familles ancestrales pour les remplacer au mieux par des populations ignorantes des usages passés…le réquisitoire est long et sans appel.
Le chemin traverse maintenant les bois silencieux, favorisant mon questionnement sur les dualités passé/modernité, modernité/progrès, progrès/bonheur ?… Une chose est sûre : le fermier qui vit en ces lieux n’est plus maître de son destin. Il s’adaptait auparavant ; il subit maintenant. Et lorsque son cri de souffrance retentit, il résonne dans les campagnes mais jamais ne franchit les murs des doctes assemblées.
Je butte (au sens propre) sur une nouvelle modernité : l’autoroute A10 me barre le chemin. Un simple individu se voit empêché de poursuivre son chemin pendant que des milliers d’autres défilent à toute allure face à lui. La rapidité des uns aggrave la lenteur des autres : le détour par le pont le plus proche pour revenir juste en face me prendra le temps d’une liaison motorisée entre deux villes.
Il est temps de penser au bivouac du soir. J’hésite à m’installer en compagnie des chevreuils qui gambadent dans le bois mais préfère en sortir car la pluie traverse la futaie jusqu’au sol.
Un élevage porcin de 170 truies sera ma prochaine étape. L’éleveur m’offre l’usage de son hangar tout en s’épanchant sur sa tristesse de voir tomber en ruines la superbe demeure voisine du XVIIIème siècle. Je me dis que la dualité passé/modernité aurait pu prendre ici un sens positif si le propriétaire de ladite demeure n’avait refusé à notre éleveur de l’acquérir. Il y avait pourtant vécu jadis, dès l’age de 5 ans. Mais le propriétaire est sans doute dans l’attente d’autres perspectives de vente plus juteuses ; à moins que vivant dans une grande « métropole » il n’ait oublié qu’ici quelqu’un pourrait vivre dignement sur cette terre et ce bâti…
« - …170 truies… pour moi ça va. Mais pour mes enfants ? Ils ne pourront pas investir pour tout moderniser et remettre aux normes… Ils veulent bien mais moi, je ne les pousse pas ! ».

Un nouveau coup de téléphone m’annonce la visite de Jean-Luc et Françoise. Ils arrivent sans la pluie mais avec un liquide rosé beaucoup plus sympathique dont nous profitons pleinement, installés face à cette demeure si romantique. Ce soir, nous combattons la fatigue et la tristesse  des lieux délabrés par nos rires et joyeux bavardages.
Quelle journée ! je retourne sous ma grange envahie de poutres effondrées et de ronces. Dodo.

Des chevreuils, des oiseaux, un hérisson aplati par une roue de tracteur…
Des amis, un journaliste, un maire, des amis, ma compagne, des fermiers, un éleveur, des amis…
Un canoë, un chavirage, des vêtements secs, deux pique-niques, une tendinite, des anti-inflammatoires avec de l’eau, une bouteille avec du rosé (oui je sais…).


Vingtième étape : Antogny-le-Tillac (La Cloerie) à Gençay      

Morne journée.
Lever au petit jour en pestant après les cabots qui aboyaient cette nuit. Je mélange mes poudres sur le réchaud afin d’obtenir un petit déjeuner potable ; avec un anti-inflammatoire en prime car je sais que j’en aurai besoin, ma cheville refuse de se plier. Je quitte la grange délabrée sous les hurlements d’une meute de chiens qui se déchaînent dès qu’ils me voient. Au loin l’éleveur de porcs a déjà commencé sa journée de travail ; il lève sa main d’un air de dire « bon vent, l’ami… » ; je lève mon pouce en guise de remerciements.

J’avance à travers les sous-bois par des chemins faciles jusqu’au chantier de la LGV en construction. Cette autre ligne s’oppose catégoriquement à la mienne ; elle semble affirmer tous ses contraires : rectiligne, inaccessible, conçue pour la vitesse, rentable dans son exploitation, coûteuse dans sa construction, dévoreuse d’espaces… Je m’interroge à nouveau sur les bénéfices de la vitesse, son utilité réelle, les avantages qu’elle apportera aux usagers ; le temps gagné dans leurs déplacements leur sera-t-il vraiment bénéfique ? Ou leur sera-t-il volé aussitôt leurs pieds posés sur le quai d’arrivée ? Le temps serait de l’argent dit-on, mais combien valent les heures, et qui en profite vraiment ? En attendant, je file jusqu’au pont suivant, perdant une demi-heure à longer la clôture dans un sens, puis dans l’autre. J’aurais bien tenté de me faufiler à l’intérieur d’une conduite qui passe sous les voies ; mais l’idée de ressortir en face du mauvais côté de la clôture, les vêtements râpés et salis, me dissuade de tenter l’expérience. En certains cas les petits mammifères sont plutôt avantagés par rapport aux grands bipèdes !
Il n’y a plus personne sur ma ligne pour enrichir mes pensées. Je suis seul. Seul dans les bois, seul dans les champs de blé, seul dans les champs de maïs tout juste semés, seul dans les champs de luzerne, de colza, d’avoine à peine germée… Il y a trop de céréales, trop de pluie, de la fine, de la petite, de la forte, trop de grisailles, trop de silence, trop de boue qui alourdit chaque pas ; des pas douloureux, des pas ralentis, des pas saccadés, cadencés. J’avance lentement, claudiquant, souffreteux, sans aucune autre raison que d’avancer comme un âne attendant sa ration. J’erre. J’erre dans les prés, dans les champs, j’erre sur les chemins, les routes ou le long des fossés, j’erre au travers des vignes et des bois.
Il en est ainsi toute la journée, seulement entrecoupée des courtes pauses que réclame mon corps pour continuer son labeur.
J’arrive au soir sous une pluie battante dans un hameau dépourvu d’âme et de fermes. Je me résous à interpeller quelques habitants par dessus leurs clôtures ; ce qui n’est pas vraiment la meilleure façon de procéder. Après trois refus secs de visages bien fermés, je désigne à un quidam méfiant une remise à bois ouverte à tous vents mais protégée de la pluie ; on m’y autorise finalement l’accès. Un chien errant viendra me consoler de cette triste journée solitaire ; je le remercierai chaleureusement en partageant un saucisson avec lui.
La pluie tombe sur la tôle ondulée au-dessus du hamac tendu entre deux poteaux ; au moins je peux m’endormir, bien bercé !

Des chiens, de la bruine, de la pluie, des averses, des chiens, des averses, un chien.


Vingt et unième étape : Gençay à Assay

Après le gros coup de mou de la veille, je m’octroie quelques heures de repos pour recharger les batteries. Le grand chien noir qui était venu partager mon repas du soir revient me voir, s’approchant en douceur, silencieux ; il ne réclame rien, juste ma présence, me renifle, se frotte contre mes jambes comme pour me remercier des instants partagés la veille. Il repart lentement, satisfait par la seule chaleur des contacts de nos corps. C’est ce petit rien apporté par ce chien qui suffit à me faire repartir l’esprit plus joyeux.

Je reprends mon périple par une succession permanente de bouts de sentiers aussitôt quittés pour suivre des lisières de forêts et de champs, suivre des traces de tracteurs, attendant les moments de bien-être procurés par la facilité d’un chemin ou d’une prairie. Je ne sais plus où je suis, réalisant seulement que trois semaines se sont écoulées depuis mon départ et que mon crédit de jours disponibles s’amenuise sacrément.
La pluie reprend, m’obligeant à incliner mon corps vers le sol ; je n’aime pas cette position qui vous oblige à courber l’échine dans l’adversité. Il faut alors trouver d’autres ressorts moraux pour suivre sa voie… Le coup de fil d’un journaliste me sort de ma torpeur ; il voudrait me rencontrer, me fixer un rendez-vous, me localiser… sauf que je suis bien incapable de lui dire où je serai ni à quel moment. Le plus simple serait de le rappeler  pour lui donner un lieu accessible à l’heure d’un pique-nique où d’un bivouac ; mais certains agendas ne supportent aucune attente ni improvisation. Je finirai par ne lui donner au téléphone que de simples impressions de voyage, malgré les coupures de communication dues à l’eau qui dégouline sur mon téléphone.

La tendinite se rappelle à moi. Le crachin s’installe durablement ; mes pieds trempés en permanence ne suivent plus la cadence souhaitée. La progression est lente, trop lente ; et une rivière peut encore la stopper totalement. C’est ce qui arrive lorsque je croise le cours du Mable, à l’aspect peu aimable. La rivière n’est pas très large, quatre mètres environ ; mais elle est engoncée dans un épais carcan végétal et bien déterminée à ne pas se laisser franchir ; aucun gué, aucun pont aux alentours, aucune possibilité de détour raisonnable. Je cherche. Quoi ? Les lieux, sauvages, n’ont visiblement pas été entretenus depuis des lustres donc… Mes espoirs finissent par devenir réalité : un arbre incliné depuis l’autre rive, presque déraciné, lance dans ma direction deux de ses branches maîtresses. Sauf que la liste des travaux à réaliser est un peu longue :
1/ pratiquer un passage entre les orties
2/ poser le sac
3/ affaisser la branche inférieure jusqu’au sol (le poids de tout mon corps suffit à peine…)
4/ casser les branches mortes
5/ couper les branches verticales partant de la branche horizontale (utilisation de ma serpette fétiche)
6/ grimper sur la branche inférieure
7/ tailler la branche supérieure
8/ avancer au-dessus de l’eau en équilibre en tenant la branche supérieure ; poursuivre la taille
9/ revenir sur la berge d’origine ; peaufiner le travail
10/ reprendre le sac et lancer les bâtons vers l’autre rive
11/ reprendre pied sur les branches (avec le poids du sac) ; avancer les bras en l’air, accrochés par le haut.
12/ prendre le tronc principal à bras le corps et se laisser glisser en dévers sur la rive opposée. Suée…
Un dernier effort pour poser les deux pieds sur la berge… Ouf ! c’est passé ! Fier et Heu - reux ! je m’offre une petite récompense en avalant des pâtes de fruits avec de l’eau…

La série reprend : prairies, champs, chemins, lisières…
« - Bonjour ! ».
Maître truffier est penché sous ses arbres. Il les soigne, les bichonne, les gratouille, les admire. La truffière c’est sa seconde vie, sa passion. Cet ancien ingénieur qui exploitait le sable de la forêt de Fontainebleau, utilisé en verrerie, transforme maintenant la terre en fine nourriture. A l’heure de la retraite il a acheté une vieille truffière mal entretenue pour en faire un modèle du genre.
« - …par passion uniquement, parce qu’on en vivrait pas. D’ailleurs, je n’ai pas encore de chien, ils valent une fortune, alors je partage ma récolte avec un collègue qui en possède un ».
Il m’identifie comme un trekkeur égaré. Je confirme le premier terme avec fierté, il est le premier à m’appeler ainsi. Les autres parlaient de « pèlerin », ce qui ne me convenait pas vraiment ! Pour ce qui est de l’égarement, il suffit de lui parler de « lignes » pour mieux comprendre : ses souvenirs d’alpinisme se bousculent dans sa tête ; il revoit et décrit les lignes blanches gravies à l’Aiguille du Midi, les lignes verticales escaladées dans les Drus et rêve à 72 ans de repartir faire un trek en Birmanie. Nous échangeons avec plaisir d’autres conseils et souvenirs. Une rencontre passionnante… Bon vent à nous deux ! Tchao l’artiste.

Le soir approche. La pluie revient au moment où j’envisage d’installer le bivouac mais les habitations se font rares. Il me faut encore prolonger la journée de marche pour atteindre un carrefour bordé par deux ou trois maisons. Un vieux monsieur tout gentil écoute ma demande d’un abri ; sa petite grange qui lui sert de remise me convient parfaitement ; il réfléchit en silence, m’entraîne chez sa voisine qui possède une chambre d’hôte, malheureusement occupée. Il réfléchit à nouveau, ennuyé de ne pouvoir m’accueillir dans son foyer et réticent à me voir coucher dans la poussière de sa grange. Je comprends que la grande fatigue de ce couple bienveillant l’empêche de m’offrir davantage et l’assure qu’une vieille porte renversée sur le sol de son appentis suffira à mon confort. Il m’ouvre un robinet d’eau et revient un quart d’heure plus tard avec une soupe…
Croyez-moi, un bol comme celui-ci, ça vaut toute une journée de marche !

L’ami Marc téléphone : je n’avais rien compris à ses SMS de la journée, ou peut être oublié de les lire lors ma « bataille » sur le Mable  ! Malgré mon choix de voyager avec un portable et un GPS, je réalise à quel point mon être est déconnecté : Marc me recherche depuis deux bonnes heures avec un dîner pour deux dans le coffre de sa voiture ! Il a poussé le détail jusqu’à prévoir un réchaud de camping pour cuisiner deux steaks bien tendres accompagnés de légumes et d’une bouteille de Bordeaux. C’est ici incongru, sympathique, inoubliable… surtout lorsqu’on ne s’y attend pas ! Nous profitons de cette soirée qui me redonne quelques forces en prévision des deux dernières étapes, en parlant de notre dernière virée hivernale au cours de laquelle nous avions bivouaqué dans la neige au cœur du Massif Central.

Je retourne rassasié et reconnaissant au fond de ma remise. Au cours de cette soirée, c’est la chaleur humaine qui m’aura le plus comblé.

Six chevreuils, des orchidées, des escargots de Bourgogne, des petits gris,, des jaunes, des rouges, des limaces noires et oranges, des chênes truffiers, deux belles rencontres et celle d’un ami…



Vingt-deuxième étape : Assay à Seuilly (La Guilbauderie)

Avant de partir, Monsieur « Gentil » est venu me proposer de prendre le petit déjeuner avec lui. J’en profite pour en savoir un peu plus sur lui ; cet éleveur de vaches laitières garde un œil sur le métier ; son fils a pris sa succession. Cent vaches qui produisent un lait vendu de moins en moins cher. Il pense lui aussi que leur métier est volontairement sacrifié, qu’à terme il n’y aura plus qu’une seule grande industrie agricole, sans paysans. Pendant que nous discutons, un joli camion citerne estampillé « Soignon » sort de la ferme voisine. Je me dis qu’il est venu faire la traite, lui aussi… Pendant ce temps il m’explique :
« -… Le lien social par le travail c’est important ; je ne comprends pas que certains aillent tout casser à Paris. Je suis inquiet ; les jeunes, ils devraient penser d’abord à travailler… ».
Je partage son inquiétude, mais en lui faisant remarquer que les choix politiques des dernières années n’ont pas été dans le sens de la préservation du travail…
Nous nous séparons sans avoir pu épuiser le sujet mais satisfaits de notre rencontre.

Dehors il ne pleut plus ; mais les champs sont gorgés d’eau, les fossés débordent de partout et comme par hasard ma ligne traverse de nombreux champs ce matin. Les blés sont trempés, courbés, ce qui fait que même en suivant les traces de tracteur je suis aussi mouillé que s’il pleuvait. Ils commencent à prendre une vilaine couleur jaunâtre et je remarque que depuis plusieurs jours ils n’ont quasiment pas grandi. Il faut marcher dans la boue et sauter par dessus les flaques et fossés. La réception sur ma cheville douloureuse est parfois difficile ; un saut un peu trop court me fait arriver sur la pente d’un fossé. Dérapage, glissade, chute face contre terre, la journée commence par un débarbouillage de circonstance ! Elle se poursuit par le passage de deux petits cours d’eau bien vifs qu’il faut passer par des gués ; l’eau m’arrive au-dessus des mollets… ça nettoie bien les chaussures. De toutes façons il était inutile de les ôter, les pieds et les chaussettes étant trempés depuis belle lurette !

L’après-midi se présente sous de bons auspices. De beaux et larges sentiers permettent d’avancer à la vitesse normale d’un randonneur, du moins lorsque c’est possible : des coups de poignards imprévisibles lancés sur ma cheville m’arrachent des cris à faire fuir les sangliers tapis dans leurs bauges. Je compte les minutes qui me restent avant la prise du prochain calmant ; les pauses durent parfois près d’une heure avant de pouvoir repartir pas à pas, puis accélérer doucement jusqu’à ma vitesse de croisière. Paradoxalement, je reste confiant : ma technique de gestion des efforts et de la douleur semble fonctionner. La perspective de l’arrivée prochaine ravigote tous les sens ! J’allume le GPS de plus en plus souvent, juste pour admirer la boucle dessinée depuis trois semaines, qui se ferme et se referme…
C’est au cours d’une de ces pauses au carrefour d’une petite route que je vois surgir une voiture qui revient vers moi à toute allure pendant je me prélasse, allongé contre le talus du fossé, massant obstinément ma cheville dans un va et vient lancinant. L’automobiliste me demande fermement ce que je suis en train de faire… avant de réaliser sa méprise. Il pensait que je sortais de la ferme voisine inoccupée à cette heure, en train de rassembler les objets qui m’auraient fait envie !
« - Vous savez, faites un peu attention où vous êtes » me dit-il, « on surveille tous un peu nos maisons par ici ». Dont acte… je n’avais jamais pensé qu’un homme couché pouvait faire plus peur qu’un homme debout.

Je reprends mon trajet et avale quelques kilomètres. C’est tant mieux parce qu’une jolie peupleraie très très vaste m’attend, très humide, très encombrée d’orties qui piquent, de garances qui collent (excuse moi Garance…), de ronces rampantes qui font trébucher, de bois morts cachés dans les herbes ; le tout dans une ambiance tropicale qui vous fait transpirer et avaler toute l’eau qui vous reste. Le peu de soleil apparu aujourd’hui commence à décliner lorsque j’en sors. Au hameau suivant quelques couples joyeux profitent du week-end sans pluie pour abreuver leurs corps de bières ambrées qui redonneraient bien quelques couleurs à mon teint diaphane… Déshydraté et la langue pendante, je pénètre dans la cour en quémandant un litre d’eau… j’en ressors satisfait de ma demande, mais bien marri !

Le ciel s’assombrit mais les nuages restent sages à la tombée du jour. J’opte pour ma formule de bivouac préférée : seul au milieu d’un bosquet en compagnie de mes amies les chouettes, le hamac suspendu entre deux arbres sans autre protection qu’une bâche de secours.
Profitons pleinement de cette dernière nuit, mesurons en pensée le chemin parcouru. Je vide mes derniers sachets de nourriture. Demain, c’est sûr, je gagnerai mon pari !

Des hérons en attente, des canards en couple, des pigeons roucoulant, des faisans froufroutant, un pic-vert très pressé, une biche effrayée, des pêcheurs sur le lac de Marçay… des poissons sous l’eau.


Vingt-troisième étape : Seuilly à Candes-Saint-Martin !

Mon pronostic était bon : il n’a pas plu lors de cette dernière nuit de bivouac. Je suis heureux d’avoir pu en profiter pleinement, de n’avoir eu aucun autre obstacle que mon duvet entre mon corps et la voûte céleste. Je me lève dès la fin des ténèbres, au moment ou les yeux commencent à distinguer les arbres et objets que j’y ai suspendus. Je ne perds aucun temps dans la préparation du petit déjeuner et du rangement de mon sac : je suis bien trop pressé à me mettre en marche, soucieux de parcourir la trentaine de kilomètres qui me séparent de l’arrivée avant la fin d’après-midi. Tous mes proches et amis ont compris que cette journée devait être celle de mon succès ; il serait trop bête de rater cette étape en arrivant le lendemain…
La sortie du bois s’effectue rapidement ; la traversée d’une petite route me permet d’admirer le splendide château de Montpensier éclairé par les premiers rayons lumineux. Cette journée au pays de Rabelais qui séjourna ici s’annonce fantastique. Une envie soudaine me prend d’achever ma bataille tourangelle à la manière d’un Gargantua arpentant les vallons et prairies !
Mais ce diable de Picrochole n’est pas loin : le perfide a inondé les champs dans lesquels les pieds s’enlisent jusqu’à se déchausser ; il a dressé des murailles d’épines obligeant à des reculs et détours ; il a brouillé les repères, effacé les paysages disparus derrière les haies et collines. C’est un vrai labyrinthe, qui m’empêche de suivre ma ligne aux endroits où celle-ci dessine des angles impossibles à atteindre. Cinq cents mètres de perdus ; une heure trente aussi. J’opère un repli stratégique, repars à travers champs au milieu des blés de plus en plus jaunes, victimes de je ne sais quelles diableries, de l’avoine tout juste semée où je m’enlise à nouveau.  Je descends un talus bien plus vite que prévu en glissade fessière…il est temps que cesse ce combat !

Enfin je retrouve la riante Rabelaisie, ses maisons de beiges tuffeaux entourées de jardins fleuris, ses petites routes et chemins clairs qui s’enchaînent les uns après les autres. La chance me sourit à nouveau, jusqu’à trouver un ravitaillement imprévu au carrefour d’un sentier : des villageois nourrissent et abreuvent d’une boisson bien locale les randonneurs et cyclistes qui arpentent le secteur en ce dimanche matin. J’en profite comme un bienheureux, écoutant avec curiosité les trois compères qui discutent de la meilleure façon de trucider Maître Goupil, accusé du carnage d’une centaine de volailles !
« - des poulets avec l’cou tranché comme ça, y’a qu’Renart pour s’y prendre de c’te façon ! »
La prochaine battue est annoncée, Renard est prévenu, gare à sa queue…
Je repars de l’avant rassasié de vitamines et l’esprit guilleret après moults remerciements.

Le sentier pénètre maintenant dans la forêt de Fontevrault. De belles allées à l’itinéraire évident. Des rais de lumière s’immiscent au travers des branches jusqu’au sol. La voie est libre, le ciel clément en ce beau dimanche de Pentecôte. La zone militarisée parfois occupée par des manœuvres de chars est déserte aujourd’hui. Je parcours en vainqueur mon dernier champ de bataille. J’allume le GPS pour suivre en direct l’avancée du curseur qui se dirige droit devant vers la ligne bleue de La Loire. Sur les chemins balisés qui traversent la forêt, je profite une dernière fois des odeurs de l’humus réchauffé par le soleil printanier. Une clairière apparaît ; elle s’ouvre vers l’ouest sur un joli vallon surplombé par l’abbaye de Fontevrault  : une vue inédite de ce lieu chargé d’histoire, réservée aux randonneurs qui acceptent les détours menant aux confins de l’Anjou et de la Touraine. C’est un autre voyage, dans le temps celui-ci, qui défile sous mes yeux. Je préfère achever le mien d’une façon plus géographique, transporté par mes pieds orientés vers ma destination finale.

J’atteins Candes par le sud après une sévère et ultime côte. Les premières maisons aux pierres blanches apparaissent. Je foule un dernier sentier recouvert d’herbe rase clairsemée de jolies pâquerettes. J’ai l’impression que quelqu’un vient de dérouler le plus beau des tapis naturels à l’occasion de mon arrivée.
Plus que 500 mètres, puis 300, 200… je redescends vers La Loire par une ruelle qui débouche sur le quai, à l’emplacement de la borne limitrophe.
Le point zéro de mon tour d’Indre et Loire, commencé trois semaines plus tôt.
HEUREUX.

Je traverse le village en être solitaire surpris par la foule qui envahit la rue principale en cette belle journée de Pentecôte. Direction LE café où m’attend un comité d’accueil bien sympathique : Manick et mes proches, et tous les amis qui ont pu faire le déplacement. Une pluie de messages inonde mon téléphone. Ils se sont tous donné le mot ! Une bonne bière suivie d’un apéritif servi sur la prairie du bord de Loire ; un pique-nique festif qui s’ensuit…

Nous sommes le 15 mai ; il fait beau. Je suis comblé.
Dans ma tête aussi.





 

Toujours...

J’ai marché, marché, marché
Tous les jours
Tout le jour
Et encore.

J’ai cherché, marché, cherché
Les chemins
Puis les prés
Et les bois.

J’ai suivi, marché, suivi
Les sentiers
Les ruisseaux
Et les routes.

J’ai parlé, marché, parlé
Aux oiseaux
Aux chevreuils
Au soleil.

J’ai peiné, marché, peiné
Des orteils
Aux genoux
Jusqu'aux reins.

J’ai souri, marché, souri
Aux étoiles
Aux nuages
A la lune.

J’ai mouillé, marché, mouillé
Dans les prés
Dans les blés
Et les champs.

J’ai taillé, marché, taillé
Les ronciers
Les orties
Et les haies.

J’ai appris, marché, appris
Des fermiers
Paysans
Vignerons.

J’ai tremblé, marché, tremblé
Aux gelées
Et froidures
Des nuits blanches.

J’ai marché, marché, marché
Tous les jours
Tout le jour 
Et toujours.


Communes

Les villages appauvris s’alanguissent,
Les métropoles informes grandissent,
Que vivent les communes !

Les hameaux en beauté
Et les villes fleuries
Fanent sous les ennuis
Des hommes désœuvrés.

Même reclus dans les banlieues - prisons
Hommes et femmes privés d’horizons,
Que vivent nos communes !

Les voisins, les amis,
Avec eux je construis
Ma ville et mon village
Où l’on marche à tout âge.
                                          
Ils détruisent nos mairies, nous les volent,
Bâtissent leurs chères mégalopoles,
Que vive ma commune !

C’est là que je veux vivre,
Travailler et puis rire,
Parler et croire enfin
Aux riches lendemains.



Echos de la presse ...


Le Courrier de l’Ouest ; 28 avril 2016 :


La Nouvelle République ; 15 juillet 2016 :