11.2.20

Marcheurs écrivains # 9

Antoine de Baecque  dans « Une histoire de la marche » :

 «  La marche est une expérience des sens, de celui qui explore avec ses pieds tous ces sens, jusqu’aux limites possibles, même au-delà des limites : aller au-delà de la douleur et du plaisir, décupler infiniment le pouvoir de la vue, de l’odorat, déployer une tactilité surpuissante. La marche laisse son empreinte sur l’étoffe sensible de l’homme. Ces retrouvailles avec soi-même sont le produit d’une errance au plus loin en compagnie de ses propres jambes. »

« Comme tout marcheur qui réfléchit, puis écrit, en marchant je m’inspire de fait de Rousseau : « Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi si j’ose dire, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied ». La marche est une incitation au voyage et au partage de ce même voyage, mais également un prolégomènes à l’écriture, telle une sensation du corps indispensable au rythme de la narration. J’écris ainsi en imitant la marche ; je lance la phrase en avant, puis elle retombe et se relève, plus légère, et se repose à nouveau. Elle finira par me conduire quelque part, peut-être pas exactement là où je pensais… »


J.M.G. Le Clézio dans « Désert » (p 56) :

«… C’était déjà le grand voyage vers l’autre côté du désert qui avait commencé, et l’ivresse de la marche le long du chemin de sable était déjà dans leur corps, elle les emplissait déjà du souffle brûlant, elle faisait briller les mirages devant leurs yeux. Personne n’avait oublié la souffrance, la soif, la brûlure terrible du soleil sur les pierres et le sable sans fin, ni l’horizon qui recule toujours. Personne n’avait oublié la faim qui ronge, non seulement la faim des aliments, mais toute la faim, la faim d’espoir et de libération, la faim de tout ce qui manque et creuse le vertige sur le sol, la faim qui pousse en avant dans le nuage de poussière au milieu des troupeaux hébétés, la faim qui fait gravir la pente des collines jusqu’au point où il faut redescendre avec, devant soi, des dizaines, des centaines d’autres collines identiques. »