dans « Une
histoire de la marche » :
« La
marche est une expérience des sens, de celui qui explore avec ses pieds tous
ces sens, jusqu’aux limites possibles, même au-delà des limites : aller
au-delà de la douleur et du plaisir, décupler infiniment le pouvoir de la vue,
de l’odorat, déployer une tactilité surpuissante. La marche laisse son
empreinte sur l’étoffe sensible de l’homme. Ces retrouvailles avec soi-même
sont le produit d’une errance au plus loin en compagnie de ses propres
jambes. »
« Comme tout marcheur qui réfléchit, puis
écrit, en marchant je m’inspire de fait de Rousseau : « Jamais je
n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi si j’ose dire, que dans
les voyages que j’ai faits seul et à pied ». La marche est une
incitation au voyage et au partage de ce même voyage, mais également un
prolégomènes à l’écriture, telle une sensation du corps indispensable au rythme
de la narration. J’écris ainsi en imitant la marche ; je lance la phrase
en avant, puis elle retombe et se relève, plus légère, et se repose à nouveau.
Elle finira par me conduire quelque part, peut-être pas exactement là où je
pensais… »
dans Libération (édition du 27/12/2016) :
" Ce qui me surprend, c'est la résistance, l'endurance qu'on peut déployer pour arpenter pendant des heures, des jours, des mois, un terrain difficile. Je marche seul dans la montagne ou dans la ville, pour atteindre par le corps quelque chose qui m'est interdit ailleurs, la sauvagerie. Je pense qu'on ne peut atteindre autrement que par la marche le noyau le plus préservé de sa propre sauvagerie, ce qui est au plus profond de soi."
" Le marcheur s'ouvre à tout ce qu'il croise : une pierre, un animal, un bruit, un paysage, une rencontre... Et cela déclenche une introspection par association et remémoration de conscience mêlant des pensées intellectuelles, des images érotiques, des notations très concrètes et quotidiennes, des flashs géographiques ou anciens. C'est l'inventivité mentale de la marche qui permet de creuser profond en soi tout en se déployant longtemps dans l'espace. "
" La marche est profondément démocratique et égalitaire : tous ensemble et tous égaux sur le chemin. J'oserais dire qu'elle est de gauche. Alors que l'alpinisme a longtemps été un modèle aristocratique produisant une pensée très hiérarchisée de la société. "
" La marche figure ce qui résiste par et dans le dénuement. Le marcheur est pacifique, dépouillé, fragile, exposé, et c'est cela même qui résiste au monde et aux puissants. Voici, contre la puissance des forts, la puissance de la vie nue. La marche est de ce fait un moyen de protestation et de revendication dans l'histoire, qui est redouté par le pouvoir car il pose la question de la répression du faible, donc de la brutalité injuste. Beaucoup de minorités brimées en ont fait leur arme pacifique..."