21.12.19

Marcheurs écrivains # 7

Franck Michel dans « La marche du monde » :

« Avant tout, marcher c’est accepter l’idée de vivre debout. « Nous ne sommes pas de ceux qui ne pensent qu’au milieu des livres et dont l’idée attend pour naître les stimuli des pages ; notre ethos est de penser à l’air libre, marchant, sautant, montant, dansant, de préférence sur les montagnes solitaires ou sur le bord de mer, là où même les chemins se font méditatifs » écrit Nietzsche dans Le gai savoir. »

« La marche est (également) liée au plaisir… L’effort du trekeur est souvent plus une bénédiction qu’une douleur… la quête du plaisir est la raison qui justifie la mise en route. D’ailleurs, métaphore de notre existence, la marche nous accompagne tout au long de la vie : l’aventure débute vers l’âge d’un an même si le bébé-marcheur trébuche encore un peu comme l’adulte - poivrot zigzague comme il peut. Car la marche est aussi une démarche ; voyez le rouleur de mécaniques ou la fille aguicheuse, tout est dans la démarche… Une démarche à entreprendre pour que ça marche. »

« Le vrai marcheur se détache de l’exploit physique (et qui plus est, médiatique) et de toute prétention ostentatoire. L’invisibilité et le retrait sont les conditions de cette modestie. C’est ainsi qu’on est jamais seul lorsqu’on marche puisque celle-ci est intrinsèquement vouée à la rencontre avec autrui. Si la solitude peut se révéler éprouvante elle devient aussi par le biais de l’expérience pédestre une libération, une renaissance, une manière de rallier l’essentiel et de se relier à l’altérité véritable. Dans nos sociétés nouvellement figées dans des formes d’immobilisme désormais entretenues par l’industrie de la peur, marcher relève de la subversion, voyager à pied c’est aller de l’avant. A contre-courant. Et à petite vitesse, car la lenteur aussi est subversive. »

« Marcher est aussi un appel à l’unité dans la multitude. Marcher main dans la main n’est pas marcher bras levé ou poing fermé et pointé vers le ciel. La promenade romantique n’a rien à voir avec le romantisme révolutionnaire. La marche renvoie au mouvement, à la mobilité. Donc à l’action. Dans le mouvement, c’est la société toute entière qui bouge et non le sujet seul. D’où le mouvement social. La marche comme démarche politique. L’homme en action qui marche est un être debout, il refuse de se plier et de se mettre à genoux. Le sculpteur Giacometti, donnant vie à des personnages filiformes et tourmentés, considérait avant tout l’homme en marche avec dignité et sensibilité. Le marcheur est le manifestant par excellence, celui qui proteste contre l’injustice, s’élève contre ou se bat pour, bref celui qui progresse et avance, pas à pas, pour refuser de se taire comme de se terrer. »


« La mère des marches contestataires porte une date : le 1er mai. C’est la date mythique de la marche sociale, celle qui permet d’avancer pour le peuple et de faire reculer le patronat. Au salon de 1880, le tableau La grève des mineurs d’Alfred Roll, puis en 1889, la toile La grève de Jules Adler, et bien sûr le roman social Germinal de Zola en 1885, sont autant de messages de révoltes et de prise de conscience de la misère du monde ouvrier. La marche devient alors une solution pour se faire entendre… la voie est désormais tracée pour marcher dès que le monde va mal, dès que les intérêts des uns sont fragilisés ou les acquis des autres menacés. La marche devient un rituel ouvrier et un acte militant irréfutable. »

« Il y a des marches qui s’apparentent à des exils, des populations chassées qui forment d’impossibles diasporas. Voilà près d’un millénaire que les Tsiganes – ou leurs ancêtres – auraient fui le nord-est de l’Inde pour échapper à l’esclavage… Les Tsiganes ne connaissent que trop bien le prix de leur liberté si chèrement payée à travers l’histoire et la géographie du Vieux continent. Comme le chantait Brassens, « les braves gens n’aiment pas qu’on prenne une autre route qu’eux ».

« Les marches forcées prennent diverses apparences : celles des esclaves noirs d’antan ou des enfants-esclaves d’aujourd’hui, toujours africains et noirs, qui par colonnes humaines avancent enchaînés les uns aux autres… »

« Jamais les voyageurs et les aventuriers n’ont été aussi catalogués, étiquetés, classés. Le spectre des privilèges aristocratiques offerts autrefois aux voyageurs hante encore nos consciences et notre volonté de distinction. Un tourisme qui entend et affirme s’éloigner du tourisme classique, même si dans les faits il n’y parvient que très peu. Ne nous méprenons pas, tourisme ne rime pas avec hédonisme mais avec capitalisme. C’est un constat avéré. »

« A chaque aventurier sa propre aventure, le monopole de celle-ci n’appartient à personne ; et surtout pas à ceux – des producteurs télé aux fabricants de voyage, mais aussi des ethnologues aux écrivains-voyageurs – qui font commerce de ce secteur sous prétexte de professionnalisme. »

« Le voyage humanitaire renvoie trop souvent à la bonne conscience occidentale et s’apparente à une forme – pacifiée – de recolonisation des Suds par les Nords. Devant les spectres de la pensée dominante / unique qui plus que jamais nous accable, ici comme là-bas, le militantisme sans risques est à l’engagement politique ce que l’aventure sans risques est à l’Aventure. »

" Signe de vie, le fait de marcher va plus loin : il indique un chemin. Une autre voie, un autre monde, bref un monde qui marcherait bien sinon droit et non plus sur la tête. Marcher est un préalable pour que l’impossible devienne possible. On dit « marche ou crève » car c’est l’un ou l’autre, mais on dit également « marche et rêve » car là, c’est forcément l’un et l’autre. Une vie sans rêves ça ne marche tout simplement pas. L’imagination au pouvoir est une option vaine si aucun marcheur ne prend la route. »

« … Retrouver le plaisir de vagabonder en toute liberté. Hors de toute dépendance et des sentiers battus. L’indépendance du voyage est indissociable de l’autonomie du voyageur, et il n’y aura jamais de voyage véritablement libre sans voyageurs un brin libertaires. Le voyage met le monde à portée de main, il est surtout l’occasion rêvée de démontrer que « tenter l’impossible » est toujours du domaine du possible… »

27.11.19

Marcheurs écrivains # 6

Jacques Lanzmann :


" Au retour de nos marches lointaines, tout nous paraît injuste parce que tout coule à flots, tout s’étale et tout s’expose, tout est à vendre et tout est à acheter. Parce que là, où les uns mettent des heures à remplir les cruches, les jarres, à les charrier de la rivière à la case, les autres n’ont qu’un robinet à tourner.
Injuste, parce que l’existence des uns ne dépend que d’une mauvaise récolte, d’un méchant coup de vent, tandis que l’aisance des autres ne dépendra jamais que d’un mauvais coup de la Bourse. 
Injuste, parce que nous, voyageurs, trekeurs,  ne savons plus, au retour, à quelle sauce dévorer notre mauvaise conscience, dans quelle sorte de répertoire nous classer.
Injuste, parce que nous sommes le symbole même de cette injustice. Parce que nous sommes allés voir chez les autres alors que ceux-ci ne viendront certainement jamais voir chez nous. "



David Le Breton :


" La marche est ouverture au monde. Elle rétablit l’homme dans le sentiment heureux de son existence... 
On en revient parfois changé, plus enclin à jouir du temps qu’à se soumettre à l’urgence prévalant dans nos existences contemporaines. Le recours aux forêts, chemins, sentiers, ne nous exempte pas de nos responsabilités croissantes envers les désordres du monde, mais il permet de reprendre son souffle, d’affûter ses sens, de renouveler sa curiosité. 
La marche est souvent un détour pour se rassembler soi. 

Le marcheur est un homme de l’interstice, de l’entre-deux, son emprunt des chemins de traverse le situe dans l’ambivalence d’être à la fois dehors et dedans, ici et là. Il entre un moment à l’improviste dans les histoires individuelles de ceux qui sont en marge des lieux publics car ils vivent trop retirés, ou sont trop méfiants."


24.10.19

Lanzarote

Une île des Canaries, au nord-est de l’archipel, un coin du monde à explorer : Lanzarote.





Des paysages coincés entre l’océan et les volcans. Des champs de laves arides et lunaires, des terres et scories sombres d’où émergent des cônes et des caldeiras. 


Gravir l’un d’eux et l’île vous appartient, avec toutes ses formes et ses couleurs, ses villages blancs entourés de champs noirs. Ici, les paysans recouvrent les terres rares d’une couche de lapillis noirs qui retient l’humidité déposée par la condensation nocturne. 

Un travail incroyable consiste à planter vignes et légumes au fond de trous, eux-mêmes protégés du vent dominant par des murets semi-circulaires. Sur la côte les vagues déferlent sur les roches sombres ; quelques plages s’animent du va-et-vient de surfeurs avertis.
Lanzarote est une île ouverte. Ouverte à la mer, aux vents, au soleil. Ouverte aux gens d’où qu’ils viennent. D’ailleurs il n’existe quasiment aucune clôture d’un bout à l’autre de l’île. La mer est vive, le vent puissant, le soleil brûlant. Les habitants sont dynamiques, souriants, chaleureux. Les visiteurs de passage, heureux de se trouver là, apprécient l’accueil d’un gîte tout blanc posé au bord d’une piste au pied d’un volcan désertique.

Katia nous présente sa maison rénovée au milieu des terres agricoles; ici comme partout sur l’île, il faut consommer l’eau avec parcimonie, éviter de la polluer avec des déchets inutiles, aérer les pièces dont les murs construits en pierres de lave poreuse ont le seul défaut d’absorber les rares averses mais fréquentes condensations nocturnes. Un défaut qui devient qualité sur les terres cultivables. Ici les nuages formés par les évaporations marines filent à toute vitesse au ras du sol, déposant la nuit les gouttes de vie qu’insectes, plantes et paysans utilisent de leur mieux. Un défaut que la Nature et le travail des campesinos nous rendent sous forme de bons verres de malvoisie ou de muscat provenant des ceps plantés un par un au fond des trous creusés à leur intention.

A l’ouest de l’île, une crique minuscule bordée de quelques maisons de pêcheurs ; l’on s’y baigne entre les rochers qui vous protègent de l’assaut de vagues furieuses qui éclatent quelques mètres plus loin. Au pire y croisons-nous trois ou quatre promeneurs venus se ressourcer le temps d’une partie de cartes sur le gravier de lave.

Un peu plus au nord s’étend la grande plage de Famara. 


Elle s’allonge jusqu’au pied de la plus grande falaise de Lanzarote. Sur l’estran sablonneux patientent des surfeurs dans l’attente du retour des plus belles vagues; échauffement musculaire et jeux acrobatiques pour quelques-uns, méditation poétique pour d’autres plongés dans une lumière irréelle filtrée par les embruns. Certains somnolent dans les vans alignés sur la piste le long des dunes. Un rai lumineux éclaire un container aux peintures rouillées qui sert d’abri aux sauveteurs. Un drapeau rouge s’effiloche au vent ; le retour de marée se fait désirer. Alors, on met à profit ce farniente obligé pour déambuler dans les rues du proche village de Caleta de Famara. La nuit arrive, de chaudes lumières éclairent les fenêtres ouvertes des maisons blanches. Il s’en échappent des cris enfantins, la musique d’un club de danse, des conversations liées au repas du soir…

Réveil à 7 heures. Objectif Caldera Blanca. Ne pas trop traîner pour se mettre en marche. Programme minimaliste : des pierres, des vents, du soleil ; deux cônes volcaniques et un cratère. C’est tout. 


Ni arbres, ni herbe, ni plantes. Ni eau ni faune visible. Alors on n’attend pas l’heure du zénith pour cuire sur la roche gorgée de chaleur. Pas de vêtements superflus short  et tee-shirt suffiront ; une économie de place comblée par plusieurs litres d’eau que l’on boira à une température de 35 degrés. Les petites maisons blanches de Tinajao diminuent à vue d’œil à mesure que nous avançons. On pénètre d’un coup dans le noir désert. Une mer en furie statufiée par magie. Des glaciers fracassés transformés en séracs de roches noires. Des mélanges de pierres et bulles d’air, d’éponges terrestres, de coulées sinueuses et dégoulinades durcies. Pas d’eau, et pourtant ici toutes les matières ont fondu, bouilli, cloqué, explosé et se sont écoulées. Un orgasme terrestre venu du corps de la planète que le souffle marin a figé au dehors du méat. On avance lentement au milieu de ce capharnaüm. Les quelques tentatives de sortir du vague sentier tracé au fil des années se soldent par un retour rapide suite aux protestations de vos pieds, coincés dans les anfractuosités et de vos gambettes, frottées sur des aspérités abrasives. Deux cônes tronqués émergent au-dessus de la marée noire. Lorsqu’on les atteint, la nature du sol change ; il devient clair, friable, parfois sablonneux et lorsque la pente s’élève il arrive que vos pieds dérapent si vous n’y prenez garde. Au pied du mastodonte quelques rares buissons et aloès tentent de s’installer, coincés entre le volcan et la mer de lave ; la plupart meurent desséchés, leurs branches et leurs hampes rabattues sur le sol. Nous arrivons au sommet de la caldeira : un cercle parfait de mille mètres de diamètre surplombe la dépression intérieure que des pluies violentes ont striée en étoile jusqu'à son centre. Au loin, le regard porte jusqu’à l’océan. La lumière s’accroche sur les reliefs, les teintant de couleurs pastels détachées de l’horizontalité terrestre. 

Des émotions nous submergent, avivées par la fatigue d’une lumière trop crue, d’une chaleur trop forte, d’un assèchement trop important de notre corps. Alors on redescend, on cherche un abri ombragé improbable pour vider le sac de l’eau et des quelques victuailles emportées.

Timanfaya est la plus grande réserve naturelle de Lanzarote. Plus de 200 kilomètres carré de monts volcaniques, cratères et bulles de roches éclatées, vomissures et coulures magmatiques. 


Des rivières de lave ont coulé entre les volcans, s’étalant en chaos surréalistes du centre de l’île jusqu’à la mer. Six ans d’éruptions continues de 1730 à 1736 ont englouti une vingtaine de villages. Une réserve sans faune et sans flore, sans terre et sans eau. Le minéral tout neuf à l’état brut. Une gigantesque sculpture de terre molle tout juste sortie d’un grand four. L’extrusion des gaz et des laves de natures différentes a émaillé les reliefs ici où là. Le jeu des lumières et nuages bousculés par les vents anime le paysage comme le ferait une lanterne magique. Il faudrait être biologiste cherchant à quatre pattes insectes et lichens pour comprendre que nous n’avons pas quitté Terre. Nous n’avons pas aluni, mais nous sommes ahuris. 

Un aménagement touristique pour une fois intelligent a réservé quelques kilomètres carrés de cette immensité à la vue et l’esprit des quidams de passage. On dépose son véhicule deux kilomètres après avoir pénétré dans l’espace lunaire par une petite route initiatique serpentant entre les reliefs. On accepte la présence de polyglottes inconnus pour poursuivre le voyage dans un bus. Une dizaine de kilomètres à la vitesse d’un hérisson sur un étroit ruban asphalté qui se confond avec le paysage. Le reste de l’immensité reste ainsi préservé de toute présence mécanique et humaine. Une frustration utile et compréhensible que l’on décide de compenser rapidement par une randonnée pédestre sur des espaces autorisés.
El Gofo s’y prête magnifiquement : un ancien cratère égueulé sur la mer cache une lagune vert fluo sur un fond de graviers d’un noir profond. On quitte le belvédère destiné aux vrais touristes faux-tographes pour marcher sur les roches volcaniques le long du littoral. La sélection naturelle due à la nature du sol et l’obligation de porter des chaussures de randonnée dans un pays ou tout le monde vit en sandales fait que vous vous retrouvez très vite assez seuls. La lune vous appartient, ici et maintenant.

César Manrique.

Un nom d’artiste qui sonne avec celui de Lanzarote où il est né. Ecrit en lettres géantes sur le fronton de l’aéroport. Car ici on arrive sur une île dont il a repris les lignes courbes et droites qui façonnent les villages et les paysages. Un art exprimé en tous lieux par dessins, peintures, sculptures, constructions et architectures, objets décoratifs, aménagements de sites naturels et plantations de végétaux exotiques, conseils environnementaux… un art puisé dans la blancheur des villages, les couleurs de la mer, la noirceur de la roche, les courbes des volcans, les angles des maisons, la chaleur des pierres, la fraîcheur de l’eau. Amoureux de son île natale, des villages de pêcheurs aux rues sablonneuses, du travail des paysans sculptant les paysages, il entreprit de mettre en valeur ce qui existait et d’accorder son art avec celui de la nature. Il ne refusait pas la modernité, il l’adaptait, décorant voitures et ronds-points, restaurant des maisons, des musées, et aménageant des sites touristiques. On lui doit l’absence de publicités sur toute l’île, ainsi que de bâtiments de plus de deux étages. Les promoteurs ont été priés de revoir leurs copies et de limiter à deux ou trois sites leurs volontés expansionnistes.
Qu’en sera-t-il dans les années futures ? Alors de grâce, évitez ces quelques zones d’hébergements standardisés, fuyez les clubs de vacanciers et préférez l’accueil chaleureux d’une casa rurale d’un village intérieur…






13.9.19

Marcheurs écrivains # 5

Olivier Delord dans « Traversée à 4 voix »

« Le petit d’homme apprend à marcher. La verticalité a réveillé nos muscles phonatoires, paraît-il. Langage et pensée peuvent éclore. Trois étapes motrices et mentales qui se rejouent pour chacun d’entre nous en écho au lent processus évolutif des hominidés. C’est dire si mouvement à pied et psyché sont, à l’origine, deux faces d’une même pièce… 



Nos sociétés accumulent, jusqu'à la verticalité. Les civilisations nomades vivent frugalement et ont le culte de l’horizon. Même si elles sont viscéralement attachées à la géographie sacrée qu’elles parcourent en boucle, elles obéissent à une nécessité vitale : faire paître le troupeau, trouver les points d’eau. Nous expérimentons l’ivresse d’un nomadisme d’emprunt qui peut paraître futile. Pourtant, chaque matin, regarder vers l’Est et lever le camp suffisent à remplir le cœur d’un homme. On est pauvre de besoins, sus au superflu. Ce qui reste est déjà trop lourd. Une scansion ponctue l’imprévu des jours sous forme de rituels. Plier son duvet et ranger son sac comme un automate à l’aube… Ouvrir la carte, lire le topo, vérifier sa route. Avaler un bol de semoule en milieu de journée. Le soir, faire un peu de lessive, se laver. Consigner la journée dans le journal. Étirer ses membres et ses pensées… Le nomade bricole pour compenser l’inconfort : un ordre discret se rétablit dans le quotidien.
Parfois, oui, nous sommes comme une caravane, avec des électrons libres qui s’y agrègent, les amis qui vous accompagnent un temps, et l’oasis des ravitaillements. Des sentiers s’exhalent fraternité et goût de l’inutile.
Les couloirs de nomadisme sont des traces millénaires. Toute l’humilité de la marche est là. Dans ce vivant miracle de suivre un chemin immémorial avec la fraîcheur d’une première fois. On s’est dénudé. Du coup, ce que l’on n’a pas cessé de transporter avec soi apparaît dans une lumière crue. 

En caressant de l’index notre parcours sur la mappemonde, ma poitrine se serre. Mille sensations remontent, une foule d’images. La carte est un outil de repérage à la précision scientifique. Le géomètre se satisfait de cette représentation astucieuse à deux dimensions du relief. Pour le passionné, un point côté, une courbe de niveau, une légende possèdent une charge poétique. Un nom de sommet convoque les strates d’une vie. Une clairière est une après-midi d’été, des lignes resserrées une bavante mémorable. Déplier une carte, c’est ouvrir des fenêtres de mémoires et d’ailleurs. Ouvrir la carte, c’est déplier du temps. »



6.9.19

Marcheurs écrivains # 4


Roger Pol-Droit : « Comment marchent les philosophes »


« La marche est primordiale pour définir l’humain dans l’évolution des espèces… Marcher debout sur deux jambes, c’est ce qui nous caractérise parmi toutes les espèces…. Cette déambulation bipède a libéré les mains et développé le cerveau. Mais cette marche se caractérise par un déséquilibre permanent !… 
Pour marcher, il faut s’incliner vers l’avant, et cette inclinaison devrait nous faire chuter, mais nous la rattrapons et la répétons pour avancer…
L’interrogation philosophique fonctionne selon le même processus. En effet il faut commencer par ébranler nos propres convictions, remettre en question nos évidences. Il faut se déstabiliser, faire un croche-pied aux certitudes, se rattraper avec des hypothèses. La marche et la pensée, c’est aussi un déséquilibre permanent et contrôlé. 

 Rousseau disait pour sa part : « la marche a quelque chose qui anime et active mon esprit ; je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. »

Lorsqu'on affirme qu’un enfant marche, qu’on demande si un patient récemment opéré peut marcher, qu’on espère qu’une personne âgée soit encore en mesure de marcher, personne n’envisage de randonnée ni de promenade. Chacun parle de ce simple déplacement debout, d’un point à un autre. Il faut y insister : il nous définit. 
Humains, nous sommes des « êtres marchants ». 
La marche peut définir l’humain tout autant que la parole et la pensée. Il est le seul, de tous les vivants, à se déplacer ainsi… il est curieux qu’on ait si peu repéré l’étroite parenté de la marche, la parole et la pensée. »



2.9.19

L'étoile




C’était un soir d’été
Un soir sous les étoiles
Elle avait presque 10 ans
Dix ans d’enfance pleine d’étoiles

Sous l’ébène diamanté
Sa patience s’agite
Ce soir sous les étoiles
Elle a presque 10 ans
Une étoile a filé
Sous l’ébène diamanté
Sa patience s’agite
Et l’étoile disparaît

Elle profite des lenteurs d’un soir en été
Pour voir cette lueur
Un instant dans la nuit
Une étoile a filé ce soir vivement
La patience s’agite de l’enfant 
pleine de rires

Une étoile a filé
Elle a vu son chemin
Un instant dans la nuit
Elle a vu son destin
Dans le ciel de sa vie

C’était un soir d’été
Un soir sous les étoiles
Elle avait presque 10 ans
Dix ans d’enfance pleine d’étoiles

Une étoile a filé
Une autre brille encore.

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21.8.19

Marcheurs écrivains # 3

Sébastien Jallade dans « L’Appel de la route » (Petite mystique du voyageur en partance)

«  Partir (est) une pédagogie permettant à des adeptes de toucher au sacré de l’existence par l’exercice d’une liberté, d’une autonomie.
Les mythes ont fondé le nomadisme occidental sur la quête de soi. Ils nous ont transmis l’errance dans laquelle nous pourrions nous dissoudre, subir des épreuves et revenir dans un état singulier. Derrière chacune de nos épopées personnelles, nous rechercherions l’accès à un savoir caché, ancestral, puisé dans le bain mystérieux de la vie et de l’action loin de notre patrie, qui serait le propos des initiés. Bien des départs sont guidés par la soif des prodiges… Nous rêverions de transgresser les lois de la nature par une confrontation au merveilleux. Les chemins tracés par chacun de nous sont, à des degrés divers, des fragments inconscients de notre quête du miracle de la transformation de soi… 

Quel est donc l’idéal qui nous anime désormais ?… S’il me fallait en choisir un seul, ce serait celui de la quête d’identité. Il est à la source de nos départs et abreuve le nomadisme de ce nouveau siècle par un seul axiome : « je suis libre de devenir ce que je veux être »… (c’est le) slogan d’un nouveau monde qui émerge et qui donne une latitude effrayante et fascinante à chacun de nous… tout nous pousse aux exils passagers ou durables : engagements humanitaires, études à l’étranger, défis lointains, expatriation, relations amoureuses… Nouveau dogme contemporain : une vie sans départ ne pourrait se concevoir comme réussite. En quarante ans, la planète a entamé une mutation sans précédent. Un million de Français vivent d’ores et déjà à l’étranger. Six millions d ‘entre eux ont désormais au moins un parent, si ce n’est eux-mêmes, né à l’étranger et partagé entre plusieurs cultures. Le grand va-et-vient des identités a commencé ! 

Partir est un manifeste… c’est un face à face avec le monde. « Dans chaque acte que nous entreprenons, il y a un message » dit Claude Lévi-Strauss. Bien des voyages naissent dans le défi, exprimé ouvertement ou non, à l’égard de notre système. Partir est une façon d’exprimer sa défiance vis à vis de sa communauté d’appartenance. A travers cette prise de conscience du caractère contingent de nos croyances et de nos valeurs, les voyageurs emportent le secret espoir de pouvoir les changer en retour. Les motivations contestataires paraissent infinies… 

Faut-il une légitimité pour s’émouvoir du monde ?  Pour beaucoup de nos contemporains, le voyage aujourd’hui ne trouve une justification sociale qu’une fois légitimé par un projet scientifique ou humanitaire. Par l’envoûtement gratuit du départ, les voyageurs s’attachent chaque jour à prouver le contraire.

L’obsession du territoire dont on voudrait s’emparer se traduit désormais par la forme de l’engagement. La quête du lieu est progressivement remplacée par celle de la démarche. Le départ devient une conquête… le voyageur s’échappe… il s’engage dans une vision du monde : le savoir-faire d’un médecin ou d’un paléontologue, le langage codé d’un marin, la force d’autonomie d’un marcheur au long cours, sont autant de façons de faire que de dire le monde. Chacun part muni de son propre mode d’emploi du nomadisme… Le chemin appartient alors au pèlerin, et le désert à son ermite ; le montagnard convoite la cime, le marin la haute mer et l’anthropologue une communauté…

A chacun de leurs actes, ils dessinent avec effronterie et poésie les contours d’un rapport franc avec la vie. Une éthique fondée sur l’engagement et la liberté. l’exclusion de la tribu du bien-être transforme le grand départ, sinon en rupture, du moins en chemin de croix… Chacun de leurs gestes, par l’intransigeance et le caractère hasardeux qu’il revêt, est de fait une forme de rébellion contre le jeu social d'aujourd'hui.

Mystérieuse recherche du bonheur à laquelle tant de nous aspirent… Nous faisons l’éloge, non pas d’un territoire, mais d’une part d’humanité commune à chacun de nous. C’est un acte d’amour où l’individu prête enfin une attention au monde et aux autres… Aujourd'hui, le départ devient une réponse à la tendance déshumanisante des sociétés modernes.

Les voyageurs rêvent tous, sinon d’espaces vierges, du moins de territoires isolés… ils se rendent dès lors là où les cartes ne parlent pas encore, ou si peu, car c’est en ces confins que l’imagination se libère véritablement : destinations lointaines, cordillères inaccessibles, îles, déserts, métropoles irrationnelles… Or ces territoires se font rares. En participant à l’inévitable discours une fois de retour chez eux, les voyageurs contribuent à cette frénésie sans fin du spectacle du monde, corollaire symétrique de l’épuisement de nos enchantements…

Le monde est abreuvé par un trop-plein d’images d’ailleurs. L’embrouillamini est tel que certains voyageurs se perdent finalement en chemin, rattrapés par les mirages de leur société d’origine. Afin de justifier leurs projets, ils se muent parfois en artefacts sponsorisés de l’émotion, amalgamant statistiques, beaux projets et images d’eux-mêmes en temps réel, sans retenue…

Exploiter à outrance l’exotisme des aventures personnelles au nom de la mise en scène du vécu me semble aussi fascinant qu’ambigu. Comment broder le fil d’exploits supposés dans les pays lointains alors que tant de femmes et d’hommes vivent quotidiennement dans ces régions ?…

Le récit de voyage est un langage avec ses carcans et sa liberté. C’est une mise en scène romanesque prônant une vérité puisée dans le vécu, mais entravée par les dogmes d’un genre éditorial précis : le rituel par étapes, la peur, la fatigue, la soif, la solitude, les nuits sous la tente, l’imagerie de la rencontre … Mais cette forme de voyage est aussi érigée par certains en un art de vivre, magnifié par le choix du bon bivouac, guidé par l’orientation du soleil à l’aube et la beauté des paysages…
Aux mille façons de décrire la réalité que nous voyons, au travers de films, de récits ou de romans, répond l’infinie variété des langages que l’on s’impose pour décrire le monde ; l’anthropologie, la géographie, l’art, la poésie… les voyageurs aiment picorer leur vocabulaire dans chacune de ces disciplines, avec l’assurance qu’elles offrent toutes des points de vue précieux et originaux autant que des certitudes cloisonnées imparfaites… »


18.8.19

Marcheurs écrivains # 2

Emeric Fisset dans « L’ivresse de la marche » (extraits)

« … Le voyageur ne va nulle part, il déambule, c’est tout. Il n’est qu’un passant… le temps passant, on finit par s’habituer à ne pas avoir de direction, à n’avoir rien d’autre à faire qu’à regarder, à être simplement là. Alors le regard change, les heures du jour s’écoulent avec plus de plénitude et l’on entre dans le temps du voyage, dilaté, épaissi, discontinu. On aime le soir remonter, comme la brume avec la nuit remonte un étang, les quelques images de la journée… Elles posent des passerelles sur lesquelles on marchera le lendemain.


Voyager à pied signifie s’abandonner à l’espace et au temps. A l’espace, car une fois tracée la ligne entre son point de départ et le but qu’il s’est assigné… le marcheur ne sait jamais exactement où ses pas l’entraîneront le jour suivant.. Il sait juste que ce jour là et le jour d’après encore ses jambes le porteront… L’homme qui marche au long cours n’a pas la maîtrise de l’étape. 

Le marcheur, obsédé par l’espace qu’il s’est donné à arpenter, la distance à franchir, engoncé parfois dans ses pensées comme dans son vêtement de pluie, ne devient pas forcément le meilleur des naturalistes ; en revanche, il développe comme nul autre sa faculté de perception et d’émotion.

…(il) est comme un poisson dans l’eau. Son corps s’est endurci, est devenu indifférent aux intempéries, et son esprit, tout à la joie de la vie vagabonde, ne fait plus qu’un avec le milieu qui l’entoure et comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes.

Le voyageur n’est jamais si mal reçu que par quelqu’un en qui il a placé trop d’espoirs, qu’ils soient de repos, de conversation ou d’amitié. C’est l’imprévu qui fait l’excitation du voyage à pied, et c’est s’abandonner à lui qui transforme parfois un aléa en douceur, une avanie en félicité, au point qu’il est alors possible de goûter à la sérendipité, ce bonheur qu’on ne cherchait pas mais qui est donné à l’improviste et de surcroît.

 Vouloir à tout prix rendre compte de ses étapes et de ses rencontres, inscrire ses pas dans ceux d’augustes prédécesseurs, prétendre donner une connotation humanitaire, écologique, culturelle ou scientifique à son entreprise (sont) des options discutables…
Pour moi, le vrai sens du voyage, et notamment du voyage à pied, est dans l’effort personnel, égoïste, qui consiste à se mettre en harmonie avec le monde – la nature et les hommes. Cet effort inutile ne contribue pas de manière spectaculaire à sauver la planète, mais il représente au moins l’immense mérite de ne pas lui nuire ni de mentir aux hommes qui la peuplent. Car la marche est d’abord, par le dépouillement qu’elle implique, par sa simplicité, une démarche de sincérité… le marcheur à pied, porteur de rêves et d’aventure, reçoit bien plus qu’il ne donne.
                       
Le voyageur à pied immergé dans la nature a-t-il lieu de la craindre ? Lui qui n’a plus ni toit ni porte ni lit pourrait se sentir désemparé… dépassé par la taille des franchissements de rivière à réaliser, par l’épaisseur des forêts… menacé par la faune qui circule et, moins visibles mais plus dangereux, par tous les animalcules qui, loin de pouvoir vous faire mourir d’un coup de griffes ou de patte, vous font dépérir à petit feu… les bestioles qui prolifèrent transforment parfois le voyage en combat incessant contre leurs agressions…
(cependant) la nature n’est pas pour lui un obstacle mais la condition du retour à l’humanité.
Jour après jour, l’homme en marche surmonte les épreuves… 

 Si elle ouvre des portes, la marche ne donne aucun droit, quel que soit l’état de fatigue ou de précarité dans lequel celui qui s’y livre s’est placé de plein gré. Elle oblige au contraire le marcheur à conserver, en la renouvelant sans cesse, une faculté inestimable : l’émerveillement.

Endosse ton sac et trace ton propre chemin, fut-il d’un jour, d’une semaine ou d’un mois ou d’une vie. Tu feras de l’amitié de fortune ta provende et de la nature ton amante…
Ainsi, quand la pluie du ciel de deviendra aussi douce que l’eau de source…le bruit de l’orage précieux comme le grondement des cascades… quand le chaud et le froid te seront indifférents…tu connaîtras l’ivresse de la marche, une ivresse qui ne nuit jamais, une ivresse qui ne passe pas. »



24.7.19

Marcheurs écrivains # 1

Sylvain Tesson dans « Petit traité sur l’immensité du monde » :

« L'Etat étend son réseau de routes : la pieuvre de goudron gagne. Le ciel devient petit : il y a des collisions d’avions. Pendant que les TGV fusent, les paysans disparaissent. « Tout fout le camp » disent les vieux qui ne comprennent rien. En fait, rien ne fout le camp, ce sont les gens qui ne tiennent plus en place. Mais ce nomadisme là n’est qu’une danse de Saint-Guy. »

« Il est (cependant) une autre catégorie de nomades : ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins du monde. Ils vont seuls avec lenteur, sans autre but que celui d’avancer…
eux, ils se tissent un destin, pas à pas. Le défilement des kilomètres suffit à donner un sens à leur voyage. Ils n’ont pas de signes de reconnaissance, pas de rites. Impossible de les assimiler à une confrérie : ils n’appartiennent qu’au chemin qu’ils foulent… leur unique signe distinctif : ne pas supporter  que le soleil, à son lever, parte sans eux. »

« Depuis que j’observe les éleveurs de yacks du Tibet, les cavaliers de Mongolie, les bergers afghans ou les sherpas du Kumbu… j’en suis venu à la conclusion que le nomadisme est la meilleure échappée du temps. Mon but n’est pas de le rattraper mais de parvenir à lui être indifférent. »

" En réglant son compte à l'espace, le nomade freine la course les heures. Peu lui importe que passent les instants puisque, obstinément, il les remplit des kilomètres qu’il moissonne. Opération d’alchimiste : il change le sable du sablier en poudre d’escampette… Au tic-tac de l’horloge, le voyageur répond par le martèlement de sa semelle. Un kilomètre abattu, c’est dix minutes gagnées. La marche à pied oppose au rouleau du temps la mesure de l’espace. De cette lutte, le voyageur sort vainqueur. Qui aura arpenté le monde à l’aide de sa seule énergie explorera une autre dimension du temps : plus épaisse, plus dense… »

« Pour échapper à la course déclinante que nos âmes sur la Terre mènent contre la montre, rien ne vaut de se déplacer lentement, pas à pas. Baissons l’allure et le temps lui-même, par un étrange effet d’imitation, ralentira son débit. »

1.7.19

La tête dans les nuages




Des nuances de bleu détourées de masses noirâtres, des nuées roses et grises qui animent le ciel à la tombée du jour… des nuages se ressemblent, d’autres diffèrent en tous points.

Je me demande si un statisticien pourrait un jour calculer la probabilité que l’un d’eux puisse réapparaître au moins une fois avec toutes ses caractéristiques de forme, de masse, de couleurs, de vitesse, ne serait-ce que le temps d’une seconde. Peut-on envisager qu’en plusieurs millions d’années, un jour, un soir, un seul de ces nuages qui passent devant moi ait déjà existé ?
En est-il des êtres comme des nuages ? L’exacte réplique des êtres vivants et des phénomènes naturels est-elle possible ?

Imaginons que ce le soit. Nos itinéraires terrestres ont-ils pu aussi être similaires, depuis notre naissance jusqu’à la disparition finale ? Ceci supposerait que les heures et le temps qui passe puisse également se répéter. « Retour vers le futur » : a-t-on pu réellement prouver cette impossibilité ?  Le destin des hommes et de leur Terre est-il vraiment unique ?

La réponse est peut-être dans ce vol d’hirondelles qui animent le ciel au coucher du soleil : impossible de les distinguer les unes des autres, ni de les dénombrer, ni de comprendre précisément les mécanismes de leur vol, les raisons de leur placement les unes par rapport aux autres… Pourtant chacune vole à son propre rythme ; il me semble que le seul battement de leurs ailes diffère de chacune de leurs voisines. Elles qu’on pourrait croire clonées divergent dans leurs façons de se mouvoir ; elles divergent toutes, elles divergent en permanence.
Pour elles, l’identité ne tient qu’à une plume, un souffle d’air ; pour nous à un cheveu, un grain de beauté, la longueur d’un pas.


Sans doute suis-je vraiment unique, finalement !… 

1.5.19

Rayonnements




C'était un soir de lune
De belle lune blanche
Ils fêtaient leur ami
L’ami de cinquante ans
Sous les rayons de lune
Ils fêtaient leur ami

Tous avaient dévalé
Les beaux sentiers du Lubéron
Avec l’ami de cinquante ans
Ce soir de pleine lune
Ils ont dégusté
Des vins de Provence
Ils fêtaient l’amitié
Sur les terres colorées
Et sentiers bien fleuris
Ce soir de lune blanche
Avec l’ami de cinquante ans
Sur les sentiers du Lubéron
Et l’ocre des sables
Ils ont dégusté
Quelques vins de Provence
Ils ont ri ils ont joué
Sur les terres colorées
Dévalé à vélo
Les sentiers bien fleuris
Fait tourner les rayons
Les rayons braséro
A l’heure chaude du midi
Ils ont ri ils ont joué
Lancé des hourras
Sur l’ocre des sables

A minuit ce soir là
L’ami de cinquante ans
Demanda à la lune
De rire et de jouer
De midi à minuit
Tous les jours de sa vie
Toutes les nuits de sa vie.

8.3.19

Des puys et des Dômes


Sur le plat de la terre quelques cônes posés, espacés un à un ;
Une ligne de puys, surgis de nulle part ;
Des chemins les relient, les contournent en virages arrondis ;
D’autres les gravissent, en spirales ascendantes au milieu des forêts ;
Des sommets :     
Un cratère en cuvette parfaite ;
Un simple dôme, belvédère idéal sous la course solaire ;
Un lac minuscule à l’eau mystérieuse ;
Un pierrier de scories qui roulent sous nos pieds ;
Une brèche égueulée d’où la lave s’est enfuie ;
C’est la chaîne des Puys, unis par leur faille ;
Le famille Limagne aux noms atypiques et divers caractères ;
Certains se veulent princes, régissant les contrées : le Pariou et Grand Sarcoui ;
Au Puy de Dôme, Mercure en son temple surveille leurs débats ;
Parfois ils se cachent, en poètes reclus ; Mercœur les inspire ;
Certains revendiquent leurs rurales origines : puy de la Vache, Laschamp et Suc de la Louve ;
Des vulgaires s’invectivent entre Montchier et le puy des Goules ;
Quelques-uns agonisent, de blessures infligées : Lemptégy, Gravenoire et puy de la Toupe ;
Mais tous se réclament d’une même lignée, d’une jeunesse agitée et fébriles existences ;
Ils sommeillent maintenant, en retraite méritée et attendent le grand jour du Réveil explosif ;
Ils espèrent le Grand Soir d’une subite Renaissance.

18.2.19

Plagiat pour un voyage


Aimer là-bas ensemble
Vivre au pays-douceur
Des enfants et des sœurs,
Au soleil sans mourir.

Aimer l’ordre à loisir,
Le luxe des beautés
La brillance et les charmes,
Les calmes voluptés.

L’esprit traître brouillé
Et mes songes mouillés
Par tes larmes
Ressemblent
Au travers de nos yeux
A des ciels mystérieux.

2.2.19

Week-end paripluisien


C’est un long week-end d’hiver.

Le soleil embrumé est si faible qu’il part vite se coucher.
Une pluie tombe et incline nos corps enrhumés, des gouttes explosent sur l’asphalte brillant et les pavés glissants.
Des ombres s’agitent sur les murs de l’humaine Comédie et passent en vitesse sous le triomphe d’un arc.
L’art des musées décore la Ville, des corps s’abritent aux trésors amusés.
Arrêt.
Flic-floc de l’eau cumulée sur les ardoises enchâssées dans les zincs.
Des perles glissent sur l’oculus vitré des mansardes aériennes.


Regards.
Regards sur Paris à l’heure d’une soirée.
Les parapluies filent et courent vers les bas-niveaux, l’eau file des trottoirs aux caniveaux vers le cours de la Seine.
Un rai de lumière écarte le voile d’un dôme invalide, une grise crinoline déforme la silhouette d’une dame de fer.
Sur la vitre dégoulinent les larmes du ciel ; elles fuitent jusqu'aux verres d’un grand palais et ses Miro posés.
Des flots sombres des toitures émerge la blanche Montmartre. Le sang rouge des briques suinte des murs de la grande Commune.
Crépuscule.
Le vent souffle au-dessous des arcades. Une flaque fébrile s’illumine sous des phares tournoyants.
Quelques pas en courant vers l’haleine d’une bouche ; Paris nous avale tout entiers dans la chaleur de son ventre.

Une parisienne referme son parapluie ; une dernière goutte s’écoule au long de mon cou.