27.11.19

Marcheurs écrivains # 6

Jacques Lanzmann :


" Au retour de nos marches lointaines, tout nous paraît injuste parce que tout coule à flots, tout s’étale et tout s’expose, tout est à vendre et tout est à acheter. Parce que là, où les uns mettent des heures à remplir les cruches, les jarres, à les charrier de la rivière à la case, les autres n’ont qu’un robinet à tourner.
Injuste, parce que l’existence des uns ne dépend que d’une mauvaise récolte, d’un méchant coup de vent, tandis que l’aisance des autres ne dépendra jamais que d’un mauvais coup de la Bourse. 
Injuste, parce que nous, voyageurs, trekeurs,  ne savons plus, au retour, à quelle sauce dévorer notre mauvaise conscience, dans quelle sorte de répertoire nous classer.
Injuste, parce que nous sommes le symbole même de cette injustice. Parce que nous sommes allés voir chez les autres alors que ceux-ci ne viendront certainement jamais voir chez nous. "



David Le Breton :


" La marche est ouverture au monde. Elle rétablit l’homme dans le sentiment heureux de son existence... 
On en revient parfois changé, plus enclin à jouir du temps qu’à se soumettre à l’urgence prévalant dans nos existences contemporaines. Le recours aux forêts, chemins, sentiers, ne nous exempte pas de nos responsabilités croissantes envers les désordres du monde, mais il permet de reprendre son souffle, d’affûter ses sens, de renouveler sa curiosité. 
La marche est souvent un détour pour se rassembler soi. 

Le marcheur est un homme de l’interstice, de l’entre-deux, son emprunt des chemins de traverse le situe dans l’ambivalence d’être à la fois dehors et dedans, ici et là. Il entre un moment à l’improviste dans les histoires individuelles de ceux qui sont en marge des lieux publics car ils vivent trop retirés, ou sont trop méfiants."