23.12.17

La voie des yacks


Il a gelé. Le jour se lève sur un paysage morainique. La glace qu’il faut transformer en eau, les pierres d’où les corps s’extraient pour se relever : il est temps de descendre et quitter l’univers minéral. Les pieds en équilibre sur les blocs rocheux de toutes tailles transportent les corps et les charges sur les pentes qui mènent aux vallées. Les amas de rocailles diminuent peu à peu. De vagues sentiers commencent à se dessiner, bientôt balisés par quelques pierres. L’eau gronde au fond des à-pic dans lesquels s’écroulent par moments des amas de rocs et de glaces. Prenons garde à ne pas les suivre ! Au loin derrière nous diminue l’horizon des cimes et des neiges foulées les jours précédents. Nous descendons du ciel vers la terre et de nos rêves vers nos itinéraires.

Ils sont là, face à nous : trois yacks perchés sur une butte que nous devons emprunter ; un blond, un fauve, un noir. Nous comprenons qu’ils gardent ce passage, une limite qu’ils ont eux-même atteinte entre le monde végétal qui leur est nécessaire et l’univers minéral d’où nous surgissons. Ils nous observent sévèrement, jaugent nos intentions, avant d’accepter finalement notre retour dans leur monde et celui des hommes. Un sentier s’ouvre maintenant devant nous, menant au premier haut-village de la vallée, Phugaon.


Phugaon
Les torrents qui descendent de la Damodar Himal ont creusé de profonds sillons dans la montagne de blocs et de terres instables.
Sur un promontoire épargné de la violence des flots s’élève la petite cité de Phugaon, cernée par des cimes gigantesques des deux côtés de la vallée. Imaginez la vie dans une cité médiévale du XII ème  siècle ; des drapeaux ornent les portes et fenêtres peintes de vives couleurs. Les maisons s’enchevêtrent les unes par-dessus les autres, formant une communauté soudée par les pierres ; des foyers allumés ça et là s’élèvent des fumées qui s’unissent au-dessus du village pour animer les parois arides qui surplombent les lieux.

De l’autre côté de la rivière, perché sur une autre butte, s’élève un monastère richement décoré ; deux nonnes veillent sur les lieux, pas encore remises de la disparition du dernier rimpoche local, quatre ans auparavant.

Vous êtes à Phu. Votre regard saisit tour à tour la profondeur de la vallée, les détours des chemins poussiéreux où brûlent quelques débris et végétaux, la face striée d’un haut sommet enneigé, le dos courbé des paysannes qui retournent la terre à coups de houx.  C’est jour de corvée : la moitié du village s’occupe de bonne heure à déblayer un chemin encombré de cailloux descendus des pentes surplombantes. L’autre moitié accomplit les tâches quotidiennes, les uns lavant du linge à l’une des rares fontaines, les autres barattant du lait de yack fraîchement tiré.

Nous séjournons pour deux nuits de repos bien mérité après dix jours passés sous la tente ; pas d’eau ni de salle de bain bien sûr ; un simple seau fait l’affaire. Notre « chambre » est séparée des deux autres par une fine cloison de bois ; le plafond est constitué de branches recouvertes de lauzes, la fenêtre obstruée par un morceau de plastique laisse passer la fraîcheur. Mais comme nous l’apprécions cette auberge d’un autre temps, son « Mustang coffee » coupé d’alcool de millet qui réchauffe jusqu’au fond de l’estomac, son Dahl Bath version locale servi en notre honneur, enrichi de morceaux de yacks grillés à la poêle… une bien belle pause dans ce trek au long cours ; une journée villageoise où nous profitons de la vie matinale et des cris joyeux lancés du toit d’une maison à une terrasse en contrebas. Mais le vent et la fraîcheur s’installent en début d’après-midi. Chacun rentre à l’abri d’un foyer et profite des échanges et paroles du jour.


La forêt 


Cèdres de l’Himalaya et asparagus ; sapins et bambous ; odeurs de résines et de miels.
Nous plongeons dans la forêt en suivant la Nar Khola et le vacarme de ses flots. Un diadème de ciel bleu envoie quelques éclats lumineux tout au fond de la sombre vallée. Les eaux et les vents, les hommes et les bêtes défilent en ces lieux mystérieux. Des elfes semblent y vivre qui nous poussent gentiment à rejoindre lentement nos terres tout en bas.

La ville

Au ministère des touristes
Des fonctionnaires
Protocolaires
Récompensent les himalayistes
Opportunisme
Et formalisme
Des échanges de bonnes paroles
Pour une belle farandole
Pittoresque
Et burlesque
Mais de notre grand plaisir
Nous ne saurons nous départir !