6 heures, La Paz : déjà beaucoup
de monde autour des cars qui partent rallier les villages en toutes directions.
Dans la fraîcheur du matin, les chauffeurs lancent tour à tour les moteurs;
l’air est absolument irrespirable, des nuages de gaz carbonique nous
enveloppent ; et moi qui ai trop mangé hier soir… L’indigestion qui m’a
empêché de dormir ne fait qu’empirer !
7 heures : le départ. Nos
craintes sur l’état du car s’estompent une fois celui-ci mis en branle : nous
sommes relativement bien installés, le chauffeur conduit en douceur ;
appréciable, lorsqu’on sait que le voyage va durer plus de onze heures, dont
neuf sur des pistes plus ou moins chaotiques ; par chance, une pause peu de
temps après le départ me permet - avant de faire stopper moi-même le car !
- de soulager mes intestins malades…Petit à petit, la forme revient. Les heures
passent, la léthargie nous gagne, nous anticipons sur les efforts à venir.
14 heures : premières
visions du massif de l’Apolobamba, qui émerge des plaines et collines arides.
Le relief se creuse, donnant encore plus de majesté à cette cordillère
enneigée. Nous passons le col de Pélechuco, la piste s’élève lentement à 4900
mètres d’altitude, puis redescend brutalement en lacets vertigineux. Nous
passons quelques villages, le car s’arrête parfois afin de livrer quelques
vivres aux habitants et mineurs de la coopérative aurifère nationale.
18 heures : Pélechuco, le
terminus du voyage ; deux compagnons partent en reconnaissance dans le village
pendant que les trois autres déchargent les sacs. Nous nous retrouvons bientôt
à l’entrée de deux chambres, fort rustiques, à l’étage d’une maison ; Les
portes sont si basseset étroites que je dois me mettre à genoux pour entrer en
force avec mon sac. Vient ensuite l’heure du dîner, pris dans la maison d’une
famille qui sert des repas aux travailleurs et mineurs de passage : une soupe,
une tranche de lama avec du riz et des pommes de terre, sans fruits ni dessert.
20 heures : c’est soir de
fête à Pélechuco ; nous assistons à la tombée de la nuit à une retraite aux
flambeaux, avec les enfants du village encadrés par leurs maîtres et
maîtresses, accompagnés des parents. Discours, hymne, fanfare, pour fêter en
cette veille du 6 août la date où la Bolivie devint indépendante ; nous assistons
à l’expression d’une grande fierté, à la prise de conscience d’un pays qui
cherche encore sa souveraineté et les voies de sa réussite.
Au lever du jour, alors que le
village tarde à se réveiller, nous partons lentement, cherchant le meilleur
équilibre des sacs qui alourdissent maintenant nos corps d’une trentaine de
kilos. Nous emportons tout ce qu’il faut afin d’être entièrement autonomes
pendant une dizaine de jours, le temps nécessaire pour cheminer au cœur du
massif de l’Apolobamba, jusqu’au sommet du Chopi Orco qui culmine à plus de
6000 mètres.
Après une longue journée de
marche à remonter des vallées de plus en plus désertiques, nous installons
notre premier bivouac.
Cette nuit mon eau a gelé dans la
bouteille ; la tente aussi, suite aux effets de la condensation intérieure et
du froid extérieur. Il me faut dix minutes pour la débarrasser de sa couche de
glace pendant que mes compagnons font chauffer l’eau du petit déjeuner. J’ai
dormi avec eux sous la tente, la tête vers le fond étroit, encadré par deux
paires de pieds… Je ne le referai plus, le pire n’ayant pas été nos odeurs
réciproques, mais le fouettement de la toile sur mes joues par cette nuit
animée de violentes bourrasques. La nuit fut blanche, à l’extérieur comme à
l’intérieur ; ce matin le teint diaphane de mon visage s’accorde
parfaitement aux pâleurs du paysage givré… Nos deux compagnes ressortent de la
tente voisine, apparemment en meilleur
état.
Les préparatifs matinaux achevés,
nous reprenons la marche sur le long plateau où nous avions fait étape : suivre
encore un torrent ferrugineux, dépasser les derniers animaux d’élevage qui
évoluent en toute liberté. Nous croisons une horde de petits chevaux, puis un
troupeau de taurillons dont l’un fonce subitement vers nous ; par bonheur le
cri strident d’une amie stoppera net l’animal !
Fond de vallée : nous
attaquons les premières pentes raides constituées de rochers, moraines,
rochers, moraines encore et encore ; la respiration se fait plus forte,
les hanches et les cuisses travaillent sous le poids des sacs. Lentement, avec
des pauses régulières, nous gagnons en altitude. Maintenant il faut libérer nos
forces, transporter nos corps et nos charges, ne jamais s’éloigner des autres,
être attentifs à l’état de chacun d’entre nous.
Un ressaut rocheux, un col
apparaît au dessus de nous : LE « Collado Ingless ». La végétation a disparu,
le monde animal et humain aussi, seules subsistent quelques belles plantes
grasses rouges ou jaunes, quelques fleurs aussi, aux allures d’immortelles cachées
entre les roches. Un effort encore pour passer le col, puis quelques dalles
lisses légèrement inclinées s’offrent à nous : elles nous offrent un lieu de
bivouac idéal, avec deux trous remplis d’eau, car ici les rochers exposés au
soleil emmagasinent suffisamment de chaleur pour empêcher le gel pendant
quelques heures ; nous n’en demandons pas plus !
Les brumes et les nuages qui
montent depuis l’Amazonie tempèrent légèrement le froid de l’altitude, nous
enveloppent parfois, défilent rapidement face à nous; ils animent les masses
rocheuses et enneigées qui nous font face ; les glaciers alentours
scintillent, habités de milliers de colonnettes, stalactites et orgues de
glace.
L’émotion nous saisit ; nous nous
étreignons un long moment tous les cinq, affirmant ainsi l’unité de notre
groupe face à la sauvagerie des lieux. Les larmes jaillissent : l’Apolobamba,
nous y voici enfin, dans cet endroit secret, rêvé depuis si longtemps ; un
rendez-vous personnel, une confrontation entre des rêves lointains et la réalité
présente.
Le Sorel :
5h30, il fait encore nuit ; le
petit déjeuner est pris rapidement, le matériel d’alpinisme préparé dans un sac
léger. Délaissant le bivouac, nous partons vers le sommet du Sorel. La veille,
nous avions installé nos tentes à la limite des dalles rocheuses et d’un énorme
glacier ; il nous faut peu de temps pour prendre pied sur lui, chausser
les crampons et nous encorder. Les nuages s’empourprent à l’horizon, une
magnifique course glaciaire débute, pour nous seuls.
En tête, notre guide
excelle à trouver le cheminement entre
les énormes crevasses qui nous cernent de toutes parts. Nous passons parfois
d’un pont de neige à l’autre, franchissons de petits murs de glace,
redescendons de fortes déclivités, de face, pieds écartés, toutes pointes
plantées dans la glace.
En contre-bas, s’étend un lac
immense. Derrière nous, au-dessus de notre bivouac qui nous sert de point de
repère, une belle arête mène directement au sommet de l’Azucarani, vers lequel
nous reviendrons dans deux jours. Au loin sur notre gauche, à flanc de
montagne, notre regard est attiré par de minuscules tâches de couleurs : tout
là-bas travaillent des mineurs, qui bivouaquent eux aussi, dans des baraques
montées à plus de 5000 mètres ! incroyable… Nous continuons pour notre part en
direction du col enneigé du Sorel, dans un monde totalement vierge, animé par
les jeux d’ombres et de lumières du soleil sur les nuages et la glace.
Cinq petits humains tentent d’apprivoiser ces lieux, s’émerveillent, s’encouragent, filment et photographient… Nous gravissons les dernières pentes de neige qui mènent au col avant de buter au pied d’une arête rocheuse ; pour l’atteindre, nous escaladons un petit dièdre vertical d’une dizaine de mètres ; nous suivons ensuite l’arête, descendons au creux d’une brèche, perdons quelques minutes à récupérer un piolet tombé un peu trop bas, remontons plus haut ; encore 50 mètres pour arriver au sommet, notre premier sommet dans ce massif inconnu. Le GPS annonce une altitude supérieure à 5500 mètres; les cartes, elles, sont restées totalement muettes sur cette partie du monde.
Cinq petits humains tentent d’apprivoiser ces lieux, s’émerveillent, s’encouragent, filment et photographient… Nous gravissons les dernières pentes de neige qui mènent au col avant de buter au pied d’une arête rocheuse ; pour l’atteindre, nous escaladons un petit dièdre vertical d’une dizaine de mètres ; nous suivons ensuite l’arête, descendons au creux d’une brèche, perdons quelques minutes à récupérer un piolet tombé un peu trop bas, remontons plus haut ; encore 50 mètres pour arriver au sommet, notre premier sommet dans ce massif inconnu. Le GPS annonce une altitude supérieure à 5500 mètres; les cartes, elles, sont restées totalement muettes sur cette partie du monde.
La météo favorable, nous permet
de profiter sereinement du paysage moutonné, hérissé de sommets anonymes ;
il ne reste plus qu’à redescendre 500 mètres de dénivelés, louvoyant prudemment
sur un glacier peu évident, dans un univers gelé, désertique et fortement
engagé.
Retour au bivouac, où je retrouve
mon sac de petits déjeuners que j’avais malencontreusement laissé à l’extérieur
éventré par je ne sais quel rongeur . Tous mes biscuits ont disparu, ainsi que
la moitié de mon lait en poudre ; je devrai désormais rationner mon repas
du matin, tous les jours qui suivront !
Le brouillard puis la neige se
mettent à tomber, histoire de gâter notre repas, de nous envoyer encore un peu
plus tôt à l’intérieur de nos duvets. Nous ne pensons plus qu’à nous
réchauffer, enfouis dans notre nid, prêts à refaire une seconde fois notre
course, en pensées cette fois, pour revoir les paysages parcourus, les graver à
jamais dans notre mémoire.
Azucarani !
L’Azucarani, c’est le sommet sous
lequel nous bivouaquons depuis deux jours. En traversant le glacier hier, en
direction du SOREL, c’est lui que nous admirions, fin, élancé, au-dessus de nos
tentes. C’est une beauté, un chef-d’œuvre qu’un artiste aurait conçu dans
chacune de ses lignes dessinant des arêtes équilibrées, dans chacune des
teintes sombres de sa face rocheuse, faisant écho aux blancheurs de sa face
neigeuse. C’est lui que nous gravissons ce matin : l’Azucarani sera notre
ascension la plus esthétique.
Parmi les sommets boliviens que nous avons gravis, Le Huayna Potosi fut un sommet d’initiation, le Parinacota un sommet d’efforts, le Sorel une longue course glaciaire ; l’Azucarani est un sommet de plaisirs !
Parmi les sommets boliviens que nous avons gravis, Le Huayna Potosi fut un sommet d’initiation, le Parinacota un sommet d’efforts, le Sorel une longue course glaciaire ; l’Azucarani est un sommet de plaisirs !
Derrière notre guide, le
cheminement paraît évident ; Le serait-il sans lui ?… Nous abordons les
difficultés avec confiance et enthousiasme. Au loin, la mer de nuages, au-delà
des barrières rocheuses, semble sagement se maintenir au-dessus de l’Amazonie,
sans venir perturber «notre domaine». Nous concentrons notre attention sur les
pentes qui se redressent peu à peu, les corniches que nous longeons, la lèvre
des crevasses où dégringolent des chapelets de diamants en glaces étincelantes.
Dans la partie finale, chacun
prend un second piolet pour franchir quelques passages raides qui nécessitent
d’évoluer sur les pointes avant de nos crampons. Nous remontons une goulotte
étroite qui fait jonction entre la pente glaciaire située sur notre droite et
la pente rocheuse sur notre gauche. Elle débouche sur le sommet, constitué de
dalles rocheuses en partie enneigées où nous laissons exploser notre joie. Le
soleil et l’absence de vent nous invitent à prendre notre temps, nous
restaurer, nous reposer, ce que nous prenons pour un grand luxe, à plus de 5500
mètres d’altitude !
La descente commence dans un
esprit paisible mais néanmoins vigilant, agrémentée de séances photos. Retour
aux tentes où le soleil nous laisse un peu de temps pour manger et admirer le
vol des condors qui planent au-dessus de la vallée, au loin sous notre bivouac…
A 16 heures, il est tout de même temps de rentrer sous la tente !…
Chopi Orco
« Stop ! Si ça continue, je
rentre par Pelechuco ! »
Après quelques instants de
stupeur, les rires : il n’y a que moi à avoir envisagé un possible retour
solitaire…
Tout a mal commencé ce
matin ; après les insomnies dues à l’altitude, mes gestes se font lents,
et je prends du retard dans mes préparatifs ; Si bien qu’au moment du départ,
je me retrouve vingt mètres derrière mes compagnons, avec un sac mal ficelé…
Le programme est simple :
déménager, quitter notre col et installer un nouveau campement le plus près
possible du Chopi Orco, le seul sommet de plus de 6000 mètres en Apolobamba. La
journée n’y suffira pas : d’abord, remonter les éboulis, s’encorder puis
traverser le glacier pendant deux heures, au cours desquelles nous devons
franchir quelques murets de glace ; c’est beaucoup moins sympa que la
veille, avec le sac qui vous tire vers l’arrière ! Essoufflé une fois,
essoufflé deux fois… à la troisième, carrément énervé : « STOP ! Si ça
continue, je rentre par Pelechuco ! »… changement de places dans la cordée,
je me retrouve en avant, peu à peu le souffle revient ; nous longeons
maintenant une énorme dépression au centre du glacier, un véritable cratère
gelé ; nous en suivons les pentes en oblique, les chevilles souffrent afin
de planter toutes les pointes des crampons dans la glace ; garder le rythme,
inspirer, expirer…
Enfin, nous sortons du
glacier et remontons quelques pentes : une piste ! Des traces de 4X4, qui
passent certainement par ici pour rejoindre un campement provisoire de mineurs
venus exploiter quelques filons d’or. Mais les pistes sont rarement suivies par
les trekeurs qui recherchent d’autres trésors…Nous coupons les virages, descendons
de quelques centaines de mètres, contournons un gros éperon rocheux qui descend
du Sorel, gravi deux jours plus tôt ; virage à droite, changement de
vallée, changement de décor : les pentes sont glissantes, les mousses
spongieuses, les rochers instables, les gués difficiles à franchir, je n’en
peux plus. Mais le paysage entretient ma motivation : une succession de lacs
étagés, reliés par un torrent. Au second, nous comprenons qu’il reste encore un
troisième niveau à franchir pour atteindre la base du glacier qui descend du
Chopi-Orco. Nous évoluons depuis plus de sept heures. Il nous en faudrait
encore deux à trois ; nous préférons nous arrêter là, au bord d’un trou, parmi
les rochers situés au-dessus du second lac. Je lâche mon sac, mon corps
s’effondre… décompression, j’en pleure de fatigue.
Dormi ! J’ai enfin dormi une nuit
complète. Je n’ai pas même entendu tomber la neige cette nuit, qui ce matin
recouvre les tentes. Emergeant l’un après l’autre, nous nous émerveillons au
moment d’ouvrir la tente, à la vue des reliefs immaculés qui nous font face.
Nous attendons que le soleil vienne éclairer nos tentes et nos corps, afin de
tout ranger dans les meilleures conditions. Ces moments sont propices à
l’inspiration : nous photographions de bas en haut, de gauche à droite…
Mais il faut déneiger les tentes, et l’onglée saisit les doigts…
Nous redescendons vers le lac. Ce
matin, j’apprécie les flancs de montagne saupoudrés de blanc, les paillettes de
glace qui scintillent sur l’eau, les sommets qui se reflètent sur l’eau… Nous
suivons un moment les rives du lac, mais rapidement plusieurs verrous rocheux,
qui surplombent l’eau nous barrent la route; le premier nécessite de déposer
les sacs, de les faire passer au compagnon précédent, puis poser délicatement
le bout des chaussures sur des grattons rocheux verglacés… ouf ! ça passe
; je peux maintenant réchauffer mes doigts qui ont souffert dans la traversée,
car il a fallu ôter les moufles. Un autre ressaut, passé à plat ventre, puis
encore un, où il faut faire le grand écart ; nous reprenons joyeusement notre
progression et remontons le torrent qui alimente le lac. En haut, se trouve
ainsi que nous l’avions prévu, le glacier qui alimente ce torrent, avec un
nouveau petit lac formé à sa base. Parmi mes compagnons, le plus en forme de
tous porte maintenant deux sacs empilés l’un sur l’autre ; ce n’est pas le
mien, mais j’apprécie : ça remet tout le monde à la même vitesse !…
Il est temps d’installer notre
quatrième bivouac au pied du gigantesque Chopi Orco. Nous sommes à plus de 5000
mètres, le sommet encore 1000 mètres au-dessus, une grande «bambée» pour
atteindre le sommet…demain.
Même en se levant à 4 heures du
matin, il faudra être rapides. Nous confirmons nos choix : trois d’entre nous
irons au sommet ; nous serons deux à explorer d’autres crêtes proches du
bivouac, en attendant leur retour.
Ici, c’est le cœur du voyage : le
Chopi-Orco ressemble à un gros gâteau que je déguste des yeux ; la cordée de
mes trois amis en aura la cerise qui va dessus.
7 heures : La lumière inonde les
lieux et je scrute les pentes : leurs traces dans la neige s’évanouit au
loin, au détour d’une croupe ; ils
ont bien progressé …
8 heures : Sous un soleil
resplendissant, je décide de partir seul pour quelques heures ; pas de
sac, juste quelques barres vitaminées dans les poches, l’eau ne manquera pas
car elle surgit de toutes parts. Je gravis les pentes qui bordent le torrent et
le lac, constituées de moraines de sable gris et de pierres instables ;
elles exigent de bien se pencher en avant, ça dérape sous les chaussures. Une
heure plus tard, mes espoirs se concrétisent : le lac glaciaire que nous avions
repéré trois jours plus tôt depuis le sommet du Sorel est bien là, éclatant
comme un diadème sous le soleil qui fait briller ses bords gelés.
J’ai le sentiment de basculer
dans un autre monde en descendant vers son rivage. Ici, c’est un peu comme
« Alice au pays des merveilles » : le lac en est une, avec ses
bordures de paillettes miroitantes, ses plaques de neige blanche posées sur l’eau
bleue où se reflète, à l’envers, les sommets voisins. Le ciel limpide délimite
les crêtes enneigées qui contrastent avec les parois rocheuses aux couleurs
vives, rouges, jaunes, oranges. J’admire de l’autre côté du lac
l’impressionnante vision d’un glacier qui descend d’un sommet jumeau du
Chopi-Orco ; une énorme cascade de séracs dégringole, plongeant subitement
dans le lac sur une hauteur de plusieurs dizaines de mètres. L’un d’entre eux,
dans sa chute, s’est retrouvé au milieu du lac, et semble flotter là, à la
manière d’un iceberg.
Ce lieu fascinant, je n’ai pas
envie de le quitter ; il me faut le toucher, sentir ce que voient mes
yeux ; j’avance sur la rive, les pieds dans la neige, remontant les
rochers tombés ici ou là, progressant parfois sur les parties gelées du lac aux
endroits où la rive se relève trop.
Au pied des séracs, dont la
hauteur m’impressionne, quelques craquements sourds m’engagent à la
prudence ; je contourne le premier, dans le sens opposé à son inclinaison,
détachant au passage l’une de ses stalactites glacée, transparente et
pure ; j’ai besoin du contact physique avec sa réalité précaire, sentir la
fonte de son eau, son effilement, son goût dans ma bouche, son utilité à me
désaltérer.
Puis lentement je retourne vers
la queue du lac, à l’endroit où il déborde en torrent, dans un bruit de
murmures qui accompagnent ma descente. En suivant son cours, je retourne vers
le bivouac. De magnifiques images se gravent dans ma tête.
12h30 : la cordée apparaît, sur
les pentes inférieures ; ils arrivent une demi-heure plus tard. Le succès
était au rendez-vous de cette belle matinée… Il leur a fallu bien des efforts,
à brasser jusqu’aux genoux pendant plusieurs heures dans une neige
poudreuse ; le reste s’est passé sans surprises, suivant la voie devinée
la veille depuis le camp de base.
Ce nouvel «Objectif 6000»
atteint, nous partageons notre bonheur de pouvoir vivre ensemble ces moments.
Il ne reste plus qu’à ranger
notre bazar, juste à temps : le mauvais temps revient comme prévu ! Nous
partons installer un dernier bivouac de transition, deux ou trois heures plus
bas, en prévision de notre retour futur vers la vallée.
Une fois de plus, la soirée
glaciale et la nuit sous les rafales de neige nous imposent un réveil
difficile. Nous déjeunons lentement, dans l’espoir que les premiers rayons de
soleil sècheront les tentes. Finalement, nous les plions encore humides.
Nous repartons dans l’espoir de
rallier le village de Suchez où nous savons qu’un car peut nous ramener vers La
Paz. Nous redescendons toutes les pentes déjà gravies, attentifs aux glissades,
car la neige recouvre tout et certains rochers sont enduits de verglas.
Beaucoup plus tard, prenant pied sur un plateau, nous retrouvons des troupeaux
de lamas. Une rivière coule au milieu de vastes prairies ; nous la
traversons pieds nus afin de ne pas mouiller nos chaussures, avec l’impression
d’arriver « tout en bas » ; nous sommes tout de même à 4500 mètres, et nos
jugements sont quelque peu altérés, nous étonnant même « qu’il neige encore
ici… ».
Derrière nous, la montagne
s’éloigne petit à petit. La piste qui mène à Suchez est longue, vraiment très
longue… elle suit un lac éponyme que nous longeons pendant plusieurs heures,
seulement entrecoupées de courtes pauses : il n’est pas question d’allonger
davantage cette si longue journée.
Village en vue : il nous faut
encore une heure et demie pour y parvenir. A mesure que nous nous en
approchons, le paysage se dégrade : carrières à ciel ouvert, masures
recouvertes de tôles, déchets éparpillés, le village lui-même semble éventré
parmi les maisons à moitié achevées. Nous tombons sur un groupe de mineurs qui
viennent de débaucher ; les présentations se font, simples et naturelles ;
c’est le temps des échanges, de la joie de pouvoir partager nos différences ;
ils nous offrent leurs bières, nous n’avons que nos sourires à leur proposer.
Ils nous désignent LE Car, et son chauffeur qui habite auprès. Ce soir, nous ne
montons pas les tentes : nous pique-niquons dans LE Car et y dormons, en
attendant le départ, prévu à 5 heures du matin. Le froid s’intensifie, comment
est-ce possible ? Nous restons blottis dans nos duvets, les étoiles
réapparaissent après l’averse de grésil qui s’était abattue dans la soirée. Le
chauffeur sort régulièrement de la masure voisine pour venir démarrer le moteur
et empêcher le gas-oil de geler…
5 heures, le départ ; le car
s’arrête après quelques kilomètres parcourus sur la piste : c’est en effet
jour de « feria », une foire sortie d’on ne sait où, à la frontière de
la Bolivie et du Pérou. Comme il fait encore nuit, on attend l’aube, dans le
froid et le vent glacial. Autour de nous, un ballet de phares illumine bientôt
le désert, des 4X4 arrivent d’un peu partout, surgis du néant. C’est un
spectacle inédit, cette foire au milieu de l’Altiplano, où des villageois venus
du Pérou et de la région vendent tout et n’importe quoi. Ici, c’est un
évènement, dans des lieux totalement dépourvus de boutiques et commerces. Nous
comprenons aussi qu’une autre activité justifie cette feria : quelques
chalumeaux brûlent de petits cailloux, placés au creux de simples godets, à
même le sol. Une fois refroidis, nous admirons les pépites d’or qui en
ressortent ; Il y en a de toutes tailles, toutes formes, un peu granuleuses.
Elles sont ensuite pesées et vendues, en monnaie péruvienne, bolivienne, ou en
dollars. N’ayant sur nous que quelques euros, et trop peu de bolivianos, nous
repartons sans or, mais avec quelques provisions de fruits, pains et fromages.
Le trajet du retour
reprend : 8 à 9 heures de piste puis 2 heures de route… Le car emprunte
une piste qui traverse de part et d’autre de gigantesques mines à ciel ouvert ;
Trous, échafaudages, collines de gravats recouvrent le territoire sur des
kilomètres. Puis nous retrouvons la piste que nous avions suivie dix jours
auparavant, sur la route de Pelechuco.
Nous regagnons El Alto puis La
Paz.
Malgré la perte de quelques
kilos, le retour nous a rendus difficiles dans nos choix alimentaires… Chacun a
envie de pouvoir enfin « bien manger », mais entre les partisans de
poissons frits à l’huile et ceux qui préfèrent la viande de lama, la discorde
s’installe !
Un compromis est néanmoins
trouvé : Tous au «Rosario», un must de la restauration bolivienne… ça
remet tout le monde d’accord !
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article publié dans la revue "BOUTS DU MONDE" :
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