10.3.17

Apolombamba


6 heures, La Paz : déjà beaucoup de monde autour des cars qui partent rallier les villages en toutes directions. Dans la fraîcheur du matin, les chauffeurs lancent tour à tour les moteurs; l’air est absolument irrespirable, des nuages de gaz carbonique nous enveloppent ; et moi qui ai trop mangé hier soir… L’indigestion qui m’a empêché de dormir ne fait qu’empirer !
7 heures : le départ. Nos craintes sur l’état du car s’estompent une fois celui-ci mis en branle : nous sommes relativement bien installés, le chauffeur conduit en douceur ; appréciable, lorsqu’on sait que le voyage va durer plus de onze heures, dont neuf sur des pistes plus ou moins chaotiques ; par chance, une pause peu de temps après le départ me permet - avant de faire stopper moi-même le car ! - de soulager mes intestins malades…Petit à petit, la forme revient. Les heures passent, la léthargie nous gagne, nous anticipons sur les efforts à venir.
14 heures : premières visions du massif de l’Apolobamba, qui émerge des plaines et collines arides. Le relief se creuse, donnant encore plus de majesté à cette cordillère enneigée. Nous passons le col de Pélechuco, la piste s’élève lentement à 4900 mètres d’altitude, puis redescend brutalement en lacets vertigineux. Nous passons quelques villages, le car s’arrête parfois afin de livrer quelques vivres aux habitants et mineurs de la coopérative aurifère nationale.

18 heures : Pélechuco, le terminus du voyage ; deux compagnons partent en reconnaissance dans le village pendant que les trois autres déchargent les sacs. Nous nous retrouvons bientôt à l’entrée de deux chambres, fort rustiques, à l’étage d’une maison ; Les portes sont si basseset étroites que je dois me mettre à genoux pour entrer en force avec mon sac. Vient ensuite l’heure du dîner, pris dans la maison d’une famille qui sert des repas aux travailleurs et mineurs de passage : une soupe, une tranche de lama avec du riz et des pommes de terre, sans fruits ni dessert.
20 heures : c’est soir de fête à Pélechuco ; nous assistons à la tombée de la nuit à une retraite aux flambeaux, avec les enfants du village encadrés par leurs maîtres et maîtresses, accompagnés des parents. Discours, hymne, fanfare, pour fêter en cette veille du 6 août la date où la Bolivie devint indépendante ; nous assistons à l’expression d’une grande fierté, à la prise de conscience d’un pays qui cherche encore sa souveraineté et les voies de sa réussite.

Au lever du jour, alors que le village tarde à se réveiller, nous partons lentement, cherchant le meilleur équilibre des sacs qui alourdissent maintenant nos corps d’une trentaine de kilos. Nous emportons tout ce qu’il faut afin d’être entièrement autonomes pendant une dizaine de jours, le temps nécessaire pour cheminer au cœur du massif de l’Apolobamba, jusqu’au sommet du Chopi Orco qui culmine à plus de 6000 mètres.

Après une longue journée de marche à remonter des vallées de plus en plus désertiques, nous installons notre premier bivouac.
Cette nuit mon eau a gelé dans la bouteille ; la tente aussi, suite aux effets de la condensation intérieure et du froid extérieur. Il me faut dix minutes pour la débarrasser de sa couche de glace pendant que mes compagnons font chauffer l’eau du petit déjeuner. J’ai dormi avec eux sous la tente, la tête vers le fond étroit, encadré par deux paires de pieds… Je ne le referai plus, le pire n’ayant pas été nos odeurs réciproques, mais le fouettement de la toile sur mes joues par cette nuit animée de violentes bourrasques. La nuit fut blanche, à l’extérieur comme à l’intérieur ; ce matin le teint diaphane de mon visage s’accorde parfaitement aux pâleurs du paysage givré… Nos deux compagnes ressortent de la tente voisine, apparemment  en meilleur état.

Les préparatifs matinaux achevés, nous reprenons la marche sur le long plateau où nous avions fait étape : suivre encore un torrent ferrugineux, dépasser les derniers animaux d’élevage qui évoluent en toute liberté. Nous croisons une horde de petits chevaux, puis un troupeau de taurillons dont l’un fonce subitement vers nous ; par bonheur le cri strident d’une amie stoppera net l’animal !

Fond de vallée : nous attaquons les premières pentes raides constituées de rochers, moraines, rochers, moraines encore et encore ; la respiration se fait plus forte, les hanches et les cuisses travaillent sous le poids des sacs. Lentement, avec des pauses régulières, nous gagnons en altitude. Maintenant il faut libérer nos forces, transporter nos corps et nos charges, ne jamais s’éloigner des autres, être attentifs à l’état de chacun d’entre nous.
Un ressaut rocheux, un col apparaît au dessus de nous : LE « Collado Ingless ». La végétation a disparu, le monde animal et humain aussi, seules subsistent quelques belles plantes grasses rouges ou jaunes, quelques fleurs aussi, aux allures d’immortelles cachées entre les roches. Un effort encore pour passer le col, puis quelques dalles lisses légèrement inclinées s’offrent à nous : elles nous offrent un lieu de bivouac idéal, avec deux trous remplis d’eau, car ici les rochers exposés au soleil emmagasinent suffisamment de chaleur pour empêcher le gel pendant quelques heures ; nous n’en demandons pas plus !
Les brumes et les nuages qui montent depuis l’Amazonie tempèrent légèrement le froid de l’altitude, nous enveloppent parfois, défilent rapidement face à nous; ils animent les masses rocheuses et enneigées qui nous font face ; les glaciers alentours scintillent, habités de milliers de colonnettes, stalactites et orgues de glace.
L’émotion nous saisit ; nous nous étreignons un long moment tous les cinq, affirmant ainsi l’unité de notre groupe face à la sauvagerie des lieux. Les larmes jaillissent : l’Apolobamba, nous y voici enfin, dans cet endroit secret, rêvé depuis si longtemps ; un rendez-vous personnel, une confrontation entre des rêves lointains et la réalité présente.

Le Sorel :

5h30, il fait encore nuit ; le petit déjeuner est pris rapidement, le matériel d’alpinisme préparé dans un sac léger. Délaissant le bivouac, nous partons vers le sommet du Sorel. La veille, nous avions installé nos tentes à la limite des dalles rocheuses et d’un énorme glacier ; il nous faut peu de temps pour prendre pied sur lui, chausser les crampons et nous encorder. Les nuages s’empourprent à l’horizon, une magnifique course glaciaire débute, pour nous seuls.

En tête, notre guide excelle à trouver le cheminement  entre les énormes crevasses qui nous cernent de toutes parts. Nous passons parfois d’un pont de neige à l’autre, franchissons de petits murs de glace, redescendons de fortes déclivités, de face, pieds écartés, toutes pointes plantées dans la glace.
En contre-bas, s’étend un lac immense. Derrière nous, au-dessus de notre bivouac qui nous sert de point de repère, une belle arête mène directement au sommet de l’Azucarani, vers lequel nous reviendrons dans deux jours. Au loin sur notre gauche, à flanc de montagne, notre regard est attiré par de minuscules tâches de couleurs : tout là-bas travaillent des mineurs, qui bivouaquent eux aussi, dans des baraques montées à plus de 5000 mètres ! incroyable… Nous continuons pour notre part en direction du col enneigé du Sorel, dans un monde totalement vierge, animé par les jeux d’ombres et de lumières du soleil sur les nuages et la glace.
Cinq petits humains tentent d’apprivoiser ces lieux, s’émerveillent, s’encouragent, filment et photographient… Nous gravissons les dernières pentes de neige qui mènent au col avant de buter au pied d’une arête rocheuse ; pour l’atteindre, nous escaladons un petit dièdre vertical d’une dizaine de mètres ; nous suivons ensuite l’arête, descendons au creux d’une brèche, perdons quelques minutes à récupérer un piolet tombé un peu trop bas, remontons plus haut ; encore 50 mètres pour arriver au sommet, notre premier sommet dans ce massif inconnu. Le GPS annonce une altitude supérieure à 5500 mètres; les cartes, elles, sont restées totalement muettes sur cette partie du monde.

La météo favorable, nous permet de profiter sereinement du paysage moutonné, hérissé de sommets anonymes ; il ne reste plus qu’à redescendre 500 mètres de dénivelés, louvoyant prudemment sur un glacier peu évident, dans un univers gelé, désertique et fortement engagé.

Retour au bivouac, où je retrouve mon sac de petits déjeuners que j’avais malencontreusement laissé à l’extérieur éventré par je ne sais quel rongeur . Tous mes biscuits ont disparu, ainsi que la moitié de mon lait en poudre ; je devrai désormais rationner mon repas du matin, tous les jours qui suivront !
Le brouillard puis la neige se mettent à tomber, histoire de gâter notre repas, de nous envoyer encore un peu plus tôt à l’intérieur de nos duvets. Nous ne pensons plus qu’à nous réchauffer, enfouis dans notre nid, prêts à refaire une seconde fois notre course, en pensées cette fois, pour revoir les paysages parcourus, les graver à jamais dans notre mémoire.

Azucarani !
L’Azucarani, c’est le sommet sous lequel nous bivouaquons depuis deux jours. En traversant le glacier hier, en direction du SOREL, c’est lui que nous admirions, fin, élancé, au-dessus de nos tentes. C’est une beauté, un chef-d’œuvre qu’un artiste aurait conçu dans chacune de ses lignes dessinant des arêtes équilibrées, dans chacune des teintes sombres de sa face rocheuse, faisant écho aux blancheurs de sa face neigeuse. C’est lui que nous gravissons ce matin : l’Azucarani sera notre ascension la plus esthétique.

Parmi les sommets boliviens que nous avons gravis, Le Huayna Potosi fut un sommet d’initiation, le Parinacota un sommet d’efforts, le Sorel une longue course glaciaire ; l’Azucarani est un sommet de plaisirs !

Derrière notre guide, le cheminement paraît évident ; Le serait-il sans lui ?… Nous abordons les difficultés avec confiance et enthousiasme. Au loin, la mer de nuages, au-delà des barrières rocheuses, semble sagement se maintenir au-dessus de l’Amazonie, sans venir perturber «notre domaine». Nous concentrons notre attention sur les pentes qui se redressent peu à peu, les corniches que nous longeons, la lèvre des crevasses où dégringolent des chapelets de diamants en glaces étincelantes.
Dans la partie finale, chacun prend un second piolet pour franchir quelques passages raides qui nécessitent d’évoluer sur les pointes avant de nos crampons. Nous remontons une goulotte étroite qui fait jonction entre la pente glaciaire située sur notre droite et la pente rocheuse sur notre gauche. Elle débouche sur le sommet, constitué de dalles rocheuses en partie enneigées où nous laissons exploser notre joie. Le soleil et l’absence de vent nous invitent à prendre notre temps, nous restaurer, nous reposer, ce que nous prenons pour un grand luxe, à plus de 5500 mètres d’altitude !
La descente commence dans un esprit paisible mais néanmoins vigilant, agrémentée de séances photos. Retour aux tentes où le soleil nous laisse un peu de temps pour manger et admirer le vol des condors qui planent au-dessus de la vallée, au loin sous notre bivouac… A 16 heures, il est tout de même temps de rentrer sous la tente !…

Chopi Orco
« Stop ! Si ça continue, je rentre par Pelechuco ! »
Après quelques instants de stupeur, les rires : il n’y a que moi à avoir envisagé un possible retour solitaire…
Tout a mal commencé ce matin ; après les insomnies dues à l’altitude, mes gestes se font lents, et je prends du retard dans mes préparatifs ; Si bien qu’au moment du départ, je me retrouve vingt mètres derrière mes compagnons, avec un sac mal ficelé…
Le programme est simple : déménager, quitter notre col et installer un nouveau campement le plus près possible du Chopi Orco, le seul sommet de plus de 6000 mètres en Apolobamba. La journée n’y suffira pas : d’abord, remonter les éboulis, s’encorder puis traverser le glacier pendant deux heures, au cours desquelles nous devons franchir quelques murets de glace ; c’est beaucoup moins sympa que la veille, avec le sac qui vous tire vers l’arrière ! Essoufflé une fois, essoufflé deux fois… à la troisième, carrément énervé : « STOP ! Si ça continue, je rentre par Pelechuco ! »… changement de places dans la cordée, je me retrouve en avant, peu à peu le souffle revient ; nous longeons maintenant une énorme dépression au centre du glacier, un véritable cratère gelé ; nous en suivons les pentes en oblique, les chevilles souffrent afin de planter toutes les pointes des crampons dans la glace ; garder le rythme, inspirer, expirer…
Enfin, nous sortons du glacier et remontons quelques pentes : une piste ! Des traces de 4X4, qui passent certainement par ici pour rejoindre un campement provisoire de mineurs venus exploiter quelques filons d’or. Mais les pistes sont rarement suivies par les trekeurs qui recherchent d’autres trésors…Nous coupons les virages, descendons de quelques centaines de mètres, contournons un gros éperon rocheux qui descend du Sorel, gravi deux jours plus tôt ; virage à droite, changement de vallée, changement de décor : les pentes sont glissantes, les mousses spongieuses, les rochers instables, les gués difficiles à franchir, je n’en peux plus. Mais le paysage entretient ma motivation : une succession de lacs étagés, reliés par un torrent. Au second, nous comprenons qu’il reste encore un troisième niveau à franchir pour atteindre la base du glacier qui descend du Chopi-Orco. Nous évoluons depuis plus de sept heures. Il nous en faudrait encore deux à trois ; nous préférons nous arrêter là, au bord d’un trou, parmi les rochers situés au-dessus du second lac. Je lâche mon sac, mon corps s’effondre… décompression, j’en pleure de fatigue.

Dormi ! J’ai enfin dormi une nuit complète. Je n’ai pas même entendu tomber la neige cette nuit, qui ce matin recouvre les tentes. Emergeant l’un après l’autre, nous nous émerveillons au moment d’ouvrir la tente, à la vue des reliefs immaculés qui nous font face. Nous attendons que le soleil vienne éclairer nos tentes et nos corps, afin de tout ranger dans les meilleures conditions. Ces moments sont propices à l’inspiration : nous photographions de bas en haut, de gauche à droite… Mais il faut déneiger les tentes, et l’onglée saisit les doigts…
Nous redescendons vers le lac. Ce matin, j’apprécie les flancs de montagne saupoudrés de blanc, les paillettes de glace qui scintillent sur l’eau, les sommets qui se reflètent sur l’eau… Nous suivons un moment les rives du lac, mais rapidement plusieurs verrous rocheux, qui surplombent l’eau nous barrent la route; le premier nécessite de déposer les sacs, de les faire passer au compagnon précédent, puis poser délicatement le bout des chaussures sur des grattons rocheux verglacés… ouf ! ça passe ; je peux maintenant réchauffer mes doigts qui ont souffert dans la traversée, car il a fallu ôter les moufles. Un autre ressaut, passé à plat ventre, puis encore un, où il faut faire le grand écart ; nous reprenons joyeusement notre progression et remontons le torrent qui alimente le lac. En haut, se trouve ainsi que nous l’avions prévu, le glacier qui alimente ce torrent, avec un nouveau petit lac formé à sa base. Parmi mes compagnons, le plus en forme de tous porte maintenant deux sacs empilés l’un sur l’autre ; ce n’est pas le mien, mais j’apprécie : ça remet tout le monde à la même vitesse !…

Il est temps d’installer notre quatrième bivouac au pied du gigantesque Chopi Orco. Nous sommes à plus de 5000 mètres, le sommet encore 1000 mètres au-dessus, une grande «bambée» pour atteindre le sommet…demain.

Même en se levant à 4 heures du matin, il faudra être rapides. Nous confirmons nos choix : trois d’entre nous irons au sommet ; nous serons deux à explorer d’autres crêtes proches du bivouac, en attendant leur retour.
Ici, c’est le cœur du voyage : le Chopi-Orco ressemble à un gros gâteau que je déguste des yeux ; la cordée de mes trois amis en aura la cerise qui va dessus.

7 heures : La lumière inonde les lieux et je scrute les pentes : leurs traces dans la neige s’évanouit au loin, au détour d’une croupe ;  ils ont bien progressé …
8 heures : Sous un soleil resplendissant, je décide de partir seul pour quelques heures ; pas de sac, juste quelques barres vitaminées dans les poches, l’eau ne manquera pas car elle surgit de toutes parts. Je gravis les pentes qui bordent le torrent et le lac, constituées de moraines de sable gris et de pierres instables ; elles exigent de bien se pencher en avant, ça dérape sous les chaussures. Une heure plus tard, mes espoirs se concrétisent : le lac glaciaire que nous avions repéré trois jours plus tôt depuis le sommet du Sorel est bien là, éclatant comme un diadème sous le soleil qui fait briller ses bords gelés.
J’ai le sentiment de basculer dans un autre monde en descendant vers son rivage. Ici, c’est un peu comme « Alice au pays des merveilles » : le lac en est une, avec ses bordures de paillettes miroitantes, ses plaques de neige blanche posées sur l’eau bleue où se reflète, à l’envers, les sommets voisins. Le ciel limpide délimite les crêtes enneigées qui contrastent avec les parois rocheuses aux couleurs vives, rouges, jaunes, oranges. J’admire de l’autre côté du lac l’impressionnante vision d’un glacier qui descend d’un sommet jumeau du Chopi-Orco ; une énorme cascade de séracs dégringole, plongeant subitement dans le lac sur une hauteur de plusieurs dizaines de mètres. L’un d’entre eux, dans sa chute, s’est retrouvé au milieu du lac, et semble flotter là, à la manière d’un iceberg.
Ce lieu fascinant, je n’ai pas envie de le quitter ; il me faut le toucher, sentir ce que voient mes yeux ; j’avance sur la rive, les pieds dans la neige, remontant les rochers tombés ici ou là, progressant parfois sur les parties gelées du lac aux endroits où la rive se relève trop.
Au pied des séracs, dont la hauteur m’impressionne, quelques craquements sourds m’engagent à la prudence ; je contourne le premier, dans le sens opposé à son inclinaison, détachant au passage l’une de ses stalactites glacée, transparente et pure ; j’ai besoin du contact physique avec sa réalité précaire, sentir la fonte de son eau, son effilement, son goût dans ma bouche, son utilité à me désaltérer.
Puis lentement je retourne vers la queue du lac, à l’endroit où il déborde en torrent, dans un bruit de murmures qui accompagnent ma descente. En suivant son cours, je retourne vers le bivouac. De magnifiques images se gravent dans ma tête.

12h30 : la cordée apparaît, sur les pentes inférieures ; ils arrivent une demi-heure plus tard. Le succès était au rendez-vous de cette belle matinée… Il leur a fallu bien des efforts, à brasser jusqu’aux genoux pendant plusieurs heures dans une neige poudreuse ; le reste s’est passé sans surprises, suivant la voie devinée la veille depuis le camp de base.
Ce nouvel «Objectif 6000» atteint, nous partageons notre bonheur de pouvoir vivre ensemble ces moments.
Il ne reste plus qu’à ranger notre bazar, juste à temps : le mauvais temps revient comme prévu ! Nous partons installer un dernier bivouac de transition, deux ou trois heures plus bas, en prévision de notre retour futur vers la vallée.

Une fois de plus, la soirée glaciale et la nuit sous les rafales de neige nous imposent un réveil difficile. Nous déjeunons lentement, dans l’espoir que les premiers rayons de soleil sècheront les tentes. Finalement, nous les plions encore humides.
Nous repartons dans l’espoir de rallier le village de Suchez où nous savons qu’un car peut nous ramener vers La Paz. Nous redescendons toutes les pentes déjà gravies, attentifs aux glissades, car la neige recouvre tout et certains rochers sont enduits de verglas. Beaucoup plus tard, prenant pied sur un plateau, nous retrouvons des troupeaux de lamas. Une rivière coule au milieu de vastes prairies ; nous la traversons pieds nus afin de ne pas mouiller nos chaussures, avec l’impression d’arriver « tout en bas » ; nous sommes tout de même à 4500 mètres, et nos jugements sont quelque peu altérés, nous étonnant même « qu’il neige encore ici… ».
Derrière nous, la montagne s’éloigne petit à petit. La piste qui mène à Suchez est longue, vraiment très longue… elle suit un lac éponyme que nous longeons pendant plusieurs heures, seulement entrecoupées de courtes pauses : il n’est pas question d’allonger davantage cette si longue journée.

Village en vue : il nous faut encore une heure et demie pour y parvenir. A mesure que nous nous en approchons, le paysage se dégrade : carrières à ciel ouvert, masures recouvertes de tôles, déchets éparpillés, le village lui-même semble éventré parmi les maisons à moitié achevées. Nous tombons sur un groupe de mineurs qui viennent de débaucher ; les présentations se font, simples et naturelles ; c’est le temps des échanges, de la joie de pouvoir partager nos différences ; ils nous offrent leurs bières, nous n’avons que nos sourires à leur proposer. Ils nous désignent LE Car, et son chauffeur qui habite auprès. Ce soir, nous ne montons pas les tentes : nous pique-niquons dans LE Car et y dormons, en attendant le départ, prévu à 5 heures du matin. Le froid s’intensifie, comment est-ce possible ? Nous restons blottis dans nos duvets, les étoiles réapparaissent après l’averse de grésil qui s’était abattue dans la soirée. Le chauffeur sort régulièrement de la masure voisine pour venir démarrer le moteur et empêcher le gas-oil de geler…

5 heures, le départ ; le car s’arrête après quelques kilomètres parcourus sur la piste : c’est en effet jour de « feria », une foire sortie d’on ne sait où, à la frontière de la Bolivie et du Pérou. Comme il fait encore nuit, on attend l’aube, dans le froid et le vent glacial. Autour de nous, un ballet de phares illumine bientôt le désert, des 4X4 arrivent d’un peu partout, surgis du néant. C’est un spectacle inédit, cette foire au milieu de l’Altiplano, où des villageois venus du Pérou et de la région vendent tout et n’importe quoi. Ici, c’est un évènement, dans des lieux totalement dépourvus de boutiques et commerces. Nous comprenons aussi qu’une autre activité justifie cette feria : quelques chalumeaux brûlent de petits cailloux, placés au creux de simples godets, à même le sol. Une fois refroidis, nous admirons les pépites d’or qui en ressortent ; Il y en a de toutes tailles, toutes formes, un peu granuleuses. Elles sont ensuite pesées et vendues, en monnaie péruvienne, bolivienne, ou en dollars. N’ayant sur nous que quelques euros, et trop peu de bolivianos, nous repartons sans or, mais avec quelques provisions de fruits, pains et fromages.

Le trajet du retour reprend : 8 à 9 heures de piste puis 2 heures de route… Le car emprunte une piste qui traverse de part et d’autre de gigantesques mines à ciel ouvert ; Trous, échafaudages, collines de gravats recouvrent le territoire sur des kilomètres. Puis nous retrouvons la piste que nous avions suivie dix jours auparavant, sur la route de Pelechuco.
Nous regagnons El Alto puis La Paz.

Malgré la perte de quelques kilos, le retour nous a rendus difficiles dans nos choix alimentaires… Chacun a envie de pouvoir enfin « bien manger », mais entre les partisans de poissons frits à l’huile et ceux qui préfèrent la viande de lama, la discorde s’installe !

Un compromis est néanmoins trouvé : Tous au «Rosario», un must de la restauration bolivienne… ça remet tout le monde d’accord !


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article publié dans la revue "BOUTS DU MONDE" :