6.3.17

Potosi, potosa

Potosi, potosa... Huayna Potosi.


 




La Paz :
Nos sacs sont bouclés pour partir trois jours en totale autonomie dans la Cordillère Royale.
Nous nous tassons dans le véhicule qui nous emmène maintenant en direction du Huayna Potosi, l’un des sommets les plus élevés de la cordillère dont l’accès est assez facile depuis la capitale.

Il nous faut plus d’une heure pour remonter la ville jusqu’à 4200 mètres en traversant El Alto, le quartier où s’entassent plus de 800 000 habitants pauvres parmi les deux millions de citadins qui peuplent La Paz.
La ville, en perpétuelle extension, s’étire toujours plus haut, plus près des montagnes. Des quartiers inachevés faits de constructions hétéroclites de briques et de tôles surgissent de la rocaille.
L’asphalte disparaît, le Toyota entame son ascension de la piste poussiéreuse.

Une succession de cours d’eau alimente des lacs qui animent le monotone paysage rocailleux.
Sur les pentes ferrugineuses les pluies ravinent les sols et déversent une multitude d’alluvions colorés, transformant l’eau et les rives en peintures improbables détourées de lignes blanches laissées par la dernière chute de neige. Des teintes incroyables recouvrent tous les creux et reliefs.
Au passage du col, à plus de 4700 mètres d’altitude, notre vue plonge sur le « Zongo », un lac formé par le barrage hydroélectrique  qui délivre l’énergie à toute la région.
Le chauffeur s’arrête et décharge nos sacs.
A partir de cet instant chacun ne dépend plus que de lui même.

Nous escaladons quelques dalles rocheuses pour installer notre premier bivouac.
Face à nous, le Huayna Potosi se dresse du haut de ses 6088 mètres…
Demain, nous installerons un second camp sur ses pentes, au-dessus de 5000 mètres.
En attendant, nous testons nos capacités à monter les tentes qui doivent résister au vent, à même la roche ; de grosses pierres font l’affaire, autour desquelles nous attachons quelques cordelettes. Les copains protestent un peu de nous voir installés si près d’eux… mais il faut bien partager les seuls espaces horizontaux disponibles !
Le repas : des pâtes, des lentilles qui peinent à cuire à cette altitude ; le goût et l’appétit ne sont pas vraiment au rendez-vous… Sous la tente, que nous partageons à deux, nous peinons à disposer tout notre barda : pas question d’en laisser dehors s’échapper aux vents violents.

Nous terminons la journée par une petite mise en forme sur la piste qui longe le lac. Nous y rencontrons le gardien du barrage, installé ici pour quelques mois avec sa femme et son fils avant qu’un autre vienne le remplacer ; une vie difficile, dans le froid et le vent, sans aucun confort. Nous revenons sans tarder vers la tente, alors que le vent et la brume nous enserrent et refroidissent.

Les bourrasques nous ont réveillés plusieurs fois cette nuit ; malgré tout, nous sommes plutôt enthousiastes au petit matin à l’heure du petit déjeuner. Démonter les tentes, refaire les sacs… C’est le départ.
Même si le sentier qui serpente dans les moraines et les rochers n’est pas très difficile chacun peine à trouver son souffle et son rythme… La fatigue se fait sentir dès la première heure.
Une autre passe, enfin nous atteignons le « Campo Roca », bien nommé, une construction de pierres située à près de 5200 mètres.

Les tentes sont installées à nouveau au milieu des rochers, à la limite des pentes de neige et de glace, que nous gravirons le lendemain.
Une cordée empruntera « La voie des Français », une face directe de plus de 300 mètres à plus de 60 degrés. Deux autres, dont je fais partie, constitueront les cordées qui suivront la voie normale.

L’après-midi ; pour nous c’est une fin de journée. Je vaque à mes occupations : siestes, repas, courtes marches, lecture, raccommodages, écritures…  avant de m’installer sur les 2m2 de la tente pendant plusieurs heures avec un voisin aussi remuant que moi.

1h15…le réveil. En fait, je ne dors déjà plus depuis minuit…
Je m’habille tant bien que mal à l’intérieur de mon duvet, dehors il fait trop froid. Mon voisin peste après ses affaires emmêlées, le stress d’avant course produit ses effets…tensions. Je m’aperçois que j’ai oublié de remplir mes deux litres d’eau nécessaires à l’ascension... la réserve collective que nous avions fait bouillir la veille a été vidée par crainte du gel nocturne qui aurait détérioré le récipient… A priori, je devrais me contenter du quart de litre qui me reste ! Mais dès le départ s’exprime la solidarité de notre cordée, Stéphane et Cécile proposant de partager ensemble nos vivres et notre eau.

2 heures ; Notre cordée s’ébranle. Derrière nous le Campo Roca se fait de plus en plus petit jusqu’à disparaître totalement. Nous prenons pied sur le glacier, chaussons les crampons et nous encordons : en route vers le sommet !

Commence une longue et lente montée sur les pentes crevassées.
Le choix de l’encordement – court ou long – n’est pas évident : les pentes se succèdent, d’inclinaisons irrégulières entrecoupées de replats.
Une heure vient de passer ; nous commençons à deviner les lointaines lumières blanches  et orangées de La Paz. Elles forment un scintillement magnifique au pied de « notre » montagne.
Les bourrasques d’un vent violent et glacial nous ramènent aux réalités de l’ascension. Il faut par moments nous arrêter, nous retourner pour éviter de trébucher, masquer nos visages pour stopper les giclées de poussières de neige qui pénètrent dans le nez, les yeux et la bouche.
Peu à peu la fatigue s’installe ; pour l’oublier, je m’occupe à vérifier nos temps de progression à l’aide de mon altimètre. A ce rythme, lent, très lent, mais gage de notre réussite, nous pourrions être au sommet vers 7 heures…
5500, 5600,5800 mètres… ne pas penser ; se concentrer sur nos pas, notre souffle, la tension de la corde… ne pas trop s’écrouler sur le piolet qui s’enfonce alors trop profondément… Efforts !…
Devant nous progresse l’autre cordée qui avait pris une légère avance. Hélas, nous les voyons revenir; l’un d’eux, livide, est allé au bout de ses forces. Du coup nous nous mettons à douter de nos propres capacités. Mais nos hésitations ne durent pas : depuis quelques minutes ma respiration se fait plus régulière ; le jour se lève, les rayons du soleil illuminent les nuages de dorures merveilleuses. La confiance et les sourires reviennent dans notre cordée, le pas s’affirme de plus en plus sur la neige croûtée. Nous nous lançons ragaillardis à l’assaut des pénitents qui nous font face, ces petites colonnes de glace au milieu desquelles il faut se faufiler tout en grimpant du mieux possible. Elles me semblent animées, parfois sympathiques en m’offrant un bras sur lequel m’accrocher mais le plus souvent hostiles à nous laisser passer…

Derrière nous s’étendent maintenant de larges bandes de couleurs roses et rouges, oranges et grises, surmontées de longs nuages d’un noir intense. Nous en profitons brièvement, devinant que la fin de journée sera mauvaise et qu’il ne faut plus traîner si nous voulons avoir le temps d’atteindre le sommet et de redescendre au bivouac.

L’arête sommitale se détache sur le ciel, belle et variée, un mixte de neige et rochers. Nous y prenons pied en transformant nos envies en sentiments rageurs destinés à combattre les faiblesses de nos corps.

7h15 : le sommet est atteint ! Joies et embrassades de très courte durée, car ici dans le vent, la glace et le froid, une seule idée s’impose: redescendre ! Un premier sommet à plus de 6000 mètres ça se fête… mais un peu plus tard !

Nous entamons la descente, cette fois au soleil, et profitons du paysage des pentes gravies cette nuit : des séracs blancs et bleus, des crevasses dont nous ne pouvons qu’imaginer la profondeur.

Retour au bivouac. Se débarrasser de l’équipement, lover les cordes, se réjouir avec les compagnons…boire, boire sans retenue, enfin !
La cordée de « La Voie des Français » n’est pas arrivée ; j’en profite pour m’octroyer une petite sieste réparatrice, courte mais suffisante pour trouver les forces nécessaires au rangement du bivouac puis redescendre vers le premier camp où tout le monde se retrouvera.
Tout en haut, le sommet, enveloppé de brumes, n’est déjà plus visible.

J’entame la descente avec mon compagnon de bivouac.
Le brouillard qui descend des sommets nous rattrape rapidement. Nous dévalons la moraine gravie deux jours plus tôt mais, pressés par le fog qui nous submerge, nous ne nous rendons pas compte de notre dérive vers la gauche, de plus en plus. Pas de cairns, plus aucun repère, le lac, la piste, tout a disparu !
Nous errons une heure, passant d’une moraine à une autre, traversant les pentes par leurs flancs, espérant un instant de clarté. Rien… le brouillard est définitivement installé.
Mon GPS sera notre secours : j’avais marqué le point de notre première nuit de bivouac : il s’affiche sur mon écran, je ne le quitte plus des yeux, me dirigeant aveuglément dans sa direction. Une autre heure passe à suivre le curseur du GPS ; il nous mène au pied d’une barrière rocheuse, infranchissable par le haut ; notre lieu de rendez-vous est de l’autre côté ! Je tente un contournement d’un côté, puis de l’autre, découvre enfin un petit ruisseau dont le chuintement m’a attiré. Nous le suivons quelques instants et découvrons qu’un peu plus loin il est canalisé. Je me dis qu’il devrait alimenter le lac que nous convoitons, près duquel passe la piste où nous avons rendez-vous. Le canal est constitué d’un muret un peu trop haut à notre goût, d’une largeur de trente centimètres ; il surplombe une pente dont nous ne voyons pas le fond…
Avec des sacs de 20 kilos et après une ascension à plus de 6000 mètres, finir en funambules n’est pas évident. Nous déposons nos sacs ; mon compagnon décide de rester auprès d’eux.
Je repars seul, allégé, avançant un pied après l’autre sur le muret ; concentration maximale ; un choix judicieux car après une vingtaine de minutes la barrière rocheuse est contournée.
Je retrouve le lac, les amis… Deux d’entre eux repartiront avec moi chercher nos sacs et leur gardien…
Finalement malgré ces heures d’errance, nous n’aurons concédé que peu de retard sur le rendez-vous.

Sous le grésil qui tombe maintenant, nous installons les sacs sur le toit du véhicule qui nous ramène vers La Paz.
Chacun est maintenant occupé à revivre en pensées la course qu’il vient d’effectuer.
Des images se gravent dans ma mémoire.


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