Potosi, potosa... Huayna Potosi.
La
Paz :
Nos
sacs sont bouclés pour partir trois jours en totale autonomie dans la
Cordillère Royale.
Nous
nous tassons dans le véhicule qui nous emmène maintenant en direction du Huayna
Potosi, l’un des sommets les plus élevés de la cordillère dont l’accès est
assez facile depuis la capitale.
Il
nous faut plus d’une heure pour remonter la ville jusqu’à 4200 mètres en
traversant El Alto, le quartier où s’entassent plus de 800 000 habitants
pauvres parmi les deux millions de citadins qui peuplent La Paz.
La
ville, en perpétuelle extension, s’étire toujours plus haut, plus près des
montagnes. Des quartiers inachevés faits de constructions hétéroclites de
briques et de tôles surgissent de la rocaille.
L’asphalte
disparaît, le Toyota entame son ascension de la piste poussiéreuse.
Sur
les pentes ferrugineuses les pluies ravinent les sols et déversent une
multitude d’alluvions colorés, transformant l’eau et les rives en peintures
improbables détourées de lignes blanches laissées par la dernière chute de
neige. Des teintes incroyables recouvrent tous les creux et reliefs.
Au
passage du col, à plus de 4700 mètres d’altitude, notre vue plonge sur le « Zongo »,
un lac formé par le barrage hydroélectrique
qui délivre l’énergie à toute la région.
Le
chauffeur s’arrête et décharge nos sacs.
A
partir de cet instant chacun ne dépend plus que de lui même.
Nous escaladons quelques dalles rocheuses pour installer notre premier
bivouac.
Face
à nous, le Huayna Potosi se dresse du haut de ses 6088 mètres…
Demain,
nous installerons un second camp sur ses pentes, au-dessus de 5000 mètres.
En
attendant, nous testons nos capacités à monter les tentes qui doivent résister
au vent, à même la roche ; de grosses pierres font l’affaire, autour
desquelles nous attachons quelques cordelettes. Les copains protestent un peu
de nous voir installés si près d’eux… mais il faut bien partager les seuls
espaces horizontaux disponibles !
Le
repas : des pâtes, des lentilles qui peinent à cuire à cette
altitude ; le goût et l’appétit ne sont pas vraiment au rendez-vous… Sous
la tente, que nous partageons à deux, nous peinons à disposer tout notre
barda : pas question d’en laisser dehors s’échapper aux vents violents.
Nous
terminons la journée par une petite mise en forme sur la piste qui longe le
lac. Nous y rencontrons le gardien du barrage, installé ici pour quelques mois
avec sa femme et son fils avant qu’un autre vienne le remplacer ; une vie
difficile, dans le froid et le vent, sans aucun confort. Nous revenons sans
tarder vers la tente, alors que le vent et la brume nous enserrent et
refroidissent.
Les
bourrasques nous ont réveillés plusieurs fois cette nuit ; malgré tout,
nous sommes plutôt enthousiastes au petit matin à l’heure du petit déjeuner.
Démonter les tentes, refaire les sacs… C’est le départ.
Même
si le sentier qui serpente dans les moraines et les rochers n’est pas très
difficile chacun peine à trouver son souffle et son rythme… La fatigue se fait
sentir dès la première heure.
Une
autre passe, enfin nous atteignons le « Campo Roca », bien
nommé, une construction de pierres située à près de 5200 mètres.
Les
tentes sont installées à nouveau au milieu des rochers, à la limite des pentes
de neige et de glace, que nous gravirons le lendemain.
Une
cordée empruntera « La voie des Français », une face directe
de plus de 300 mètres à plus de 60 degrés. Deux autres, dont je fais partie,
constitueront les cordées qui suivront la voie normale.
L’après-midi ;
pour nous c’est une fin de journée. Je vaque à mes occupations : siestes,
repas, courtes marches, lecture, raccommodages, écritures… avant de m’installer sur les 2m2 de la tente pendant plusieurs heures avec un voisin
aussi remuant que moi.
1h15…le
réveil. En fait, je ne dors déjà plus depuis minuit…
Je
m’habille tant bien que mal à l’intérieur de mon duvet, dehors il fait trop
froid. Mon voisin peste après ses affaires emmêlées, le stress d’avant course
produit ses effets…tensions. Je m’aperçois que j’ai oublié de remplir mes deux
litres d’eau nécessaires à l’ascension... la réserve collective que nous avions
fait bouillir la veille a été vidée par crainte du gel nocturne qui aurait
détérioré le récipient… A priori, je devrais me contenter du quart de litre qui
me reste ! Mais dès le départ s’exprime la solidarité de notre cordée,
Stéphane et Cécile proposant de partager ensemble nos vivres et notre eau.
2
heures ; Notre cordée s’ébranle. Derrière nous le Campo Roca se
fait de plus en plus petit jusqu’à disparaître totalement. Nous prenons pied
sur le glacier, chaussons les crampons et nous encordons : en route vers
le sommet !
Commence
une longue et lente montée sur les pentes crevassées.
Le
choix de l’encordement – court ou long – n’est pas évident : les pentes se
succèdent, d’inclinaisons irrégulières entrecoupées de replats.
Une
heure vient de passer ; nous commençons à deviner les lointaines lumières
blanches et orangées de La Paz. Elles
forment un scintillement magnifique au pied de « notre » montagne.
Les
bourrasques d’un vent violent et glacial nous ramènent aux réalités de
l’ascension. Il faut par moments nous arrêter, nous retourner pour éviter de
trébucher, masquer nos visages pour stopper les giclées de poussières de neige
qui pénètrent dans le nez, les yeux et la bouche.
Peu
à peu la fatigue s’installe ; pour l’oublier, je m’occupe à vérifier nos
temps de progression à l’aide de mon altimètre. A ce rythme, lent, très lent,
mais gage de notre réussite, nous pourrions être au sommet vers 7 heures…
5500,
5600,5800 mètres… ne pas penser ; se concentrer sur nos pas, notre
souffle, la tension de la corde… ne pas trop s’écrouler sur le piolet qui
s’enfonce alors trop profondément… Efforts !…
Devant
nous progresse l’autre cordée qui avait pris une légère avance. Hélas, nous les
voyons revenir; l’un d’eux, livide, est allé au bout de ses forces. Du coup
nous nous mettons à douter de nos propres capacités. Mais nos hésitations ne
durent pas : depuis quelques minutes ma respiration se fait plus
régulière ; le jour se lève, les rayons du soleil illuminent les nuages de
dorures merveilleuses. La confiance et les sourires reviennent dans notre
cordée, le pas s’affirme de plus en plus sur la neige croûtée. Nous nous
lançons ragaillardis à l’assaut des pénitents qui nous font face, ces petites
colonnes de glace au milieu desquelles il faut se faufiler tout en grimpant du
mieux possible. Elles me semblent animées, parfois sympathiques en m’offrant un
bras sur lequel m’accrocher mais le plus souvent hostiles à nous laisser
passer…
Derrière nous s’étendent maintenant de larges bandes de couleurs roses et rouges, oranges et grises, surmontées de longs nuages d’un noir intense. Nous en profitons brièvement, devinant que la fin de journée sera mauvaise et qu’il ne faut plus traîner si nous voulons avoir le temps d’atteindre le sommet et de redescendre au bivouac.
L’arête
sommitale se détache sur le ciel, belle et variée, un mixte de neige et
rochers. Nous y prenons pied en transformant nos envies en sentiments rageurs
destinés à combattre les faiblesses de nos corps.
7h15 :
le sommet est atteint ! Joies et embrassades de très courte durée, car ici
dans le vent, la glace et le froid, une seule idée s’impose:
redescendre ! Un premier sommet à plus de 6000 mètres ça se fête… mais un
peu plus tard !
Nous
entamons la descente, cette fois au soleil, et profitons du paysage des pentes
gravies cette nuit : des séracs blancs et bleus, des crevasses dont nous
ne pouvons qu’imaginer la profondeur.
Retour
au bivouac. Se débarrasser de l’équipement, lover les cordes, se réjouir avec
les compagnons…boire, boire sans retenue, enfin !
La
cordée de « La Voie des Français » n’est pas arrivée ;
j’en profite pour m’octroyer une petite sieste réparatrice, courte mais
suffisante pour trouver les forces nécessaires au rangement du bivouac puis
redescendre vers le premier camp où tout le monde se retrouvera.
Tout
en haut, le sommet, enveloppé de brumes, n’est déjà plus visible.
J’entame
la descente avec mon compagnon de bivouac.
Le
brouillard qui descend des sommets nous rattrape rapidement. Nous dévalons la
moraine gravie deux jours plus tôt mais, pressés par le fog qui nous
submerge, nous ne nous rendons pas compte de notre dérive vers la gauche, de
plus en plus. Pas de cairns, plus aucun repère, le lac, la piste, tout a
disparu !
Nous
errons une heure, passant d’une moraine à une autre, traversant les pentes par
leurs flancs, espérant un instant de clarté. Rien… le brouillard est définitivement
installé.
Mon
GPS sera notre secours : j’avais marqué le point de notre première nuit de
bivouac : il s’affiche sur mon écran, je ne le quitte plus des yeux, me
dirigeant aveuglément dans sa direction. Une autre heure passe à suivre le
curseur du GPS ; il nous mène au pied d’une barrière rocheuse,
infranchissable par le haut ; notre lieu de rendez-vous est de
l’autre côté ! Je tente un contournement d’un côté, puis de l’autre,
découvre enfin un petit ruisseau dont le chuintement m’a attiré. Nous le suivons
quelques instants et découvrons qu’un peu plus loin il est canalisé. Je me dis
qu’il devrait alimenter le lac que nous convoitons, près duquel passe la piste
où nous avons rendez-vous. Le canal est constitué d’un muret un peu trop haut à
notre goût, d’une largeur de trente centimètres ; il surplombe une pente
dont nous ne voyons pas le fond…
Avec
des sacs de 20 kilos et après une ascension à plus de 6000 mètres, finir en
funambules n’est pas évident. Nous déposons nos sacs ; mon compagnon
décide de rester auprès d’eux.
Je
repars seul, allégé, avançant un pied après l’autre sur le muret ;
concentration maximale ; un choix judicieux car après une vingtaine de
minutes la barrière rocheuse est contournée.
Je
retrouve le lac, les amis… Deux d’entre eux repartiront avec moi chercher nos
sacs et leur gardien…
Finalement
malgré ces heures d’errance, nous n’aurons concédé que peu de retard sur le
rendez-vous.
Sous
le grésil qui tombe maintenant, nous installons les sacs sur le toit du
véhicule qui nous ramène vers La Paz.
Chacun
est maintenant occupé à revivre en pensées la course qu’il vient d’effectuer.
Des
images se gravent dans ma mémoire.
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