9.3.17

Sajama


Le Sajama nous fait face, les jumeaux s’éloignent maintenant derrière nous. Les lamas s’écartent à notre approche, des oies sauvages s’envolent à notre passage. Qu’elles sont belles les couleurs de ces heures passées à marcher, parler, admirer le ciel, les lumières, les courbes des crêtes qui s’enfuient jusqu’à l’horizon. Des moments inoubliables, imposés par la puissance des lieux qui s’exprime jusque dans nos êtres.

Nous entrons au village et ses maisons espacées dans quelques larges rues ventées et poussiéreuses, son église qui se détache sur le volcan qui semble si proche; des flonflons attirants s’échappent des murs de l’école où les collégiens s’entraînent avec leurs professeurs aux danses et musiques régionales ; car la fière Bolivie fête jusqu’ici le bicentenaire de son indépendance.

Bientôt nous repartons bivouaquer pour une troisième nuit, en plein vent, au milieu des herbes givrées de blanc, de flaques gelées que côtoient les fumerolles échappées des ruisseaux aux eaux brûlantes…

Après une nuit bien fraîche, les flaques et les ruisseaux gelés étincellent autour des tentes.
Ce matin nous nous détournons vers les sources chaudes, à l’endroit où les vapeurs s’échappent de la terre ; le plaisir l’emporte de pouvoir dénuder nos corps et nos esprits, se prélasser dans une eau douce et soufrée, de détendre les muscles et passions ; des heures de contemplation dans ce paysage où paissent les lamas plus ou moins surveillés par les rares habitantes du village lointain ; un vol d’ibis noirs passe au-dessus de nos têtes et semble nous désigner les prochaines étapes.

Cette nouvelle nuit me semble encore plus froide ! Sous le duvet, ça va : une couche de vêtements, les pieds dans des chaussons en duvet, et la chaleur revient lentement; mais gare à ne pas laisser traîner une main dehors !… Ici, chaque détail, chaque geste a son importance, jusqu’à celui qui permet de régler à la bonne taille l’orifice permettant de respirer ; c’est toute une science, un fin réglage thermique, un nouveau savoir « humanomatique »… à défaut de dormir je me repose tandis que les hurlements du vent passent au-dessus de nous.


Aujourd’hui la montagne Sajama n’a pas voulu de moi ; ce n’est ni mon envie, ni mes capacités physiques qui manquaient à son invitation ; mais les souffrances infligées à mes intestins et autres parties de mon corps par son cousin Parinacota l’avant-veille handicapent mon ascension ; et Sajama ne supporte aucune faiblesse !
« I’am a poor lonesome cow-boy » : c’est la descente solitaire ; il me semble un moment que Jolly Jumper me suit, mais un lama ne se laisse pas monter… Je retrouve bientôt la piste, tout en bas, sur laquelle un 4X4 improbable me dépasse, puis trois ou quatre vélos chaotiques; encore deux heures de marche, le village apparaît. Quelques habitants errent entre les bourrasques de poussières. Enfin, «l’hôtel» : une enfant de six ans ouvre une paillote, me propose une chambre comprenant quelques lits dans une pièce isolée et un coin lavabo : le luxe ! S’occuper de soi, se réchauffer sous les couvertures d’alpaga… attendre.

C’est jour de fête à Sajama, pour l’anniversaire du parc national, créé depuis 70 ans: au programme, discours des représentants officiels venus de La Paz, des responsables du Parc, des  élus municipaux parés de leurs habits traditionnels, hymne national devant le drapeau bolivien… la fierté et de sérénité dominent, ce qui ma foi semble justifié si l’on considère les résultats : une nature préservée, un habitat dispersé, de l’eau potable, et un bon équilibre entre tourisme d’aventure et traditions locales.
Un repas est offert aux habitants des lieux : nous y sommes aussi conviés ! Un ragoût d’alpaga nous attend, accompagné de pommes de terre et maïs, copieusement arrosé de nombreuses « Huari » (bière locale)… Nos hôtes mâchent la coca et vident leurs petites fioles d’alcool… après tout, il faut bien combattre les froideurs !

Les amis reviennent du sommet. Ils ont vécu une nuit de bivouac extrêmement ventée, à mi-pente. Avant de partir vers le sommet, ils avaient dû affaler les tentes, récupérées au retour, avec de lourdes pierres pour ne pas les voir s’envoler. Le sommet a été atteint sans autres problèmes que la fatigue et le froid, après avoir progressé au milieu des pénitents de glace, gardiens du vaste dôme sommital. Mais le plus éprouvant fut la longue descente, un très long dénivelé de 2500 mètres au cours duquel les pieds et l’organisme a souffert.

Nous nous retrouvons plus tard à quelques kilomètres du village, où bouillonnent des geysers : à l’entrée d’un vallon, les vapeurs sortent de terre, l’eau exulte, la glace combat l’ébullition ; les mousses, l’eau et les sels minéraux offrent un merveilleux chatoiement de couleurs. Ce sera notre dernière vision avant de reprendre la route vers La Paz. La  dernière journée dans cette région nous aura fait vivre de surprenants contrastes: au froid glacial de Sajama succède la relative douceur de La Paz, aux étendues désertiques la cohue de la ville, à la frugalité du village l’abondance du repas, au silence des pierres le brouhaha de la cité.

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