Le
Sajama nous fait face, les jumeaux s’éloignent maintenant derrière nous. Les
lamas s’écartent à notre approche, des oies sauvages s’envolent à notre
passage. Qu’elles sont belles les couleurs de ces heures passées à marcher,
parler, admirer le ciel, les lumières, les courbes des crêtes qui s’enfuient
jusqu’à l’horizon. Des moments inoubliables, imposés par la puissance des lieux
qui s’exprime jusque dans nos êtres.
Nous entrons au village et ses maisons
espacées dans quelques larges rues ventées et poussiéreuses, son église qui se
détache sur le volcan qui semble si proche; des flonflons attirants s’échappent
des murs de l’école où les collégiens s’entraînent avec leurs professeurs aux
danses et musiques régionales ; car la fière Bolivie fête jusqu’ici le
bicentenaire de son indépendance.
Bientôt
nous repartons bivouaquer pour une troisième nuit, en plein vent, au milieu des
herbes givrées de blanc, de flaques gelées que côtoient les fumerolles
échappées des ruisseaux aux eaux brûlantes…
Après
une nuit bien fraîche, les flaques et les ruisseaux gelés étincellent autour
des tentes.
Ce
matin nous nous détournons vers les sources chaudes, à l’endroit où les vapeurs
s’échappent de la terre ; le plaisir l’emporte de pouvoir dénuder nos
corps et nos esprits, se prélasser dans une eau douce et soufrée, de détendre
les muscles et passions ; des heures de contemplation dans ce paysage où
paissent les lamas plus ou moins surveillés par les rares habitantes du village
lointain ; un vol d’ibis noirs passe au-dessus de nos têtes et semble nous
désigner les prochaines étapes.
Cette
nouvelle nuit me semble encore plus froide ! Sous le duvet, ça va : une
couche de vêtements, les pieds dans des chaussons en duvet, et la chaleur
revient lentement; mais gare à ne pas laisser traîner une main dehors !… Ici,
chaque détail, chaque geste a son importance, jusqu’à celui qui permet de
régler à la bonne taille l’orifice permettant de respirer ; c’est toute
une science, un fin réglage thermique, un nouveau savoir « humanomatique
»… à défaut de dormir je me repose tandis que les hurlements du vent passent
au-dessus de nous.
Aujourd’hui la montagne Sajama n’a pas voulu de moi ; ce n’est ni mon envie, ni mes capacités physiques qui manquaient à son invitation ; mais les souffrances infligées à mes intestins et autres parties de mon corps par son cousin Parinacota l’avant-veille handicapent mon ascension ; et Sajama ne supporte aucune faiblesse !
«
I’am a poor lonesome cow-boy » : c’est la descente solitaire ; il me
semble un moment que Jolly Jumper me suit, mais un lama ne se laisse pas
monter… Je retrouve bientôt la piste, tout en bas, sur laquelle un 4X4
improbable me dépasse, puis trois ou quatre vélos chaotiques; encore deux
heures de marche, le village apparaît. Quelques habitants errent entre les
bourrasques de poussières. Enfin, «l’hôtel» : une enfant de six ans ouvre une
paillote, me propose une chambre comprenant quelques lits dans une pièce isolée
et un coin lavabo : le luxe ! S’occuper de soi, se réchauffer sous les
couvertures d’alpaga… attendre.
C’est
jour de fête à Sajama, pour l’anniversaire du parc national, créé depuis 70
ans: au programme, discours des représentants officiels venus de La Paz, des
responsables du Parc, des élus
municipaux parés de leurs habits traditionnels, hymne national devant le
drapeau bolivien… la fierté et de sérénité dominent, ce qui ma foi semble
justifié si l’on considère les résultats : une nature préservée, un habitat
dispersé, de l’eau potable, et un bon équilibre entre tourisme d’aventure et
traditions locales.
Un
repas est offert aux habitants des lieux : nous y sommes aussi conviés ! Un
ragoût d’alpaga nous attend, accompagné de pommes de terre et maïs,
copieusement arrosé de nombreuses « Huari » (bière locale)… Nos hôtes mâchent
la coca et vident leurs petites fioles d’alcool… après tout, il faut bien
combattre les froideurs !
Les amis reviennent du sommet.
Ils ont vécu une nuit de bivouac extrêmement ventée, à mi-pente. Avant de
partir vers le sommet, ils avaient dû affaler les tentes, récupérées au retour,
avec de lourdes pierres pour ne pas les voir s’envoler. Le sommet a été atteint
sans autres problèmes que la fatigue et le froid, après avoir progressé au
milieu des pénitents de glace, gardiens du vaste dôme sommital. Mais le plus
éprouvant fut la longue descente, un très long dénivelé de 2500 mètres au cours
duquel les pieds et l’organisme a souffert.
Nous
nous retrouvons plus tard à quelques kilomètres du village, où bouillonnent des
geysers : à l’entrée d’un vallon, les vapeurs sortent de terre, l’eau
exulte, la glace combat l’ébullition ; les mousses, l’eau et les sels minéraux
offrent un merveilleux chatoiement de couleurs. Ce sera notre dernière vision
avant de reprendre la route vers La Paz. La
dernière journée dans cette région nous aura fait vivre de surprenants
contrastes: au froid glacial de Sajama succède la relative douceur de La Paz,
aux étendues désertiques la cohue de la ville, à la frugalité du village
l’abondance du repas, au silence des pierres le brouhaha de la cité.
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