15.1.17

" Marcher " # 16, selon Jean-Luc Raharimanana


 dans "Revenir"
 
 (p 76) : 


 « Marcher implique que l’on oublie la peur de tomber, c’est savoir que la terre serait toujours là, que la chute, s’il y a, ne serait pas de l’ordre de l’abîme. » 


14.1.17

" Marcher " # 15, selon JMG Le Clézio

 dans « Désert » (p 56) : 


«… C’était déjà le grand voyage vers l’autre côté du désert qui avait commencé, et l’ivresse de la marche le long du chemin de sable était déjà dans leur corps, elle les emplissait déjà du souffle brûlant, elle faisait briller les mirages devant leurs yeux. Personne n’avait oublié la souffrance, la soif, la brûlure terrible du soleil sur les pierres et le sable sans fin, ni l’horizon qui recule toujours. Personne n’avait oublié la faim qui ronge, non seulement la faim des aliments, mais toute la faim, la faim d’espoir et de libération, la faim de tout ce qui manque et creuse le vertige sur le sol, la faim qui pousse en avant dans le nuage de poussière au milieu des troupeaux hébétés, la faim qui fait gravir la pente des collines jusqu’au point où il faut redescendre avec, devant soi, des dizaines, des centaines d’autres collines identiques. »

13.1.17

" Marcher" # 14, selon Nicolas Vanier

 

"On ne prend pas la route, c’est la route qui vous prend, vous apprend…"


" (Marcher), c’est un acte de liberté, une démarche plus encore qu’une marche. De celles qui vous permettent d’appréhender un territoire en le caressant physiquement, sans laisser d’autres traces que celles que la pluie effacera et que la mémoire elle seule gardera. Le marcheur comprend le paysage, apprend, aime et protège. "

12.1.17

" Marcher" # 13, selon David Le Breton

 

"La marche est ouverture au monde. Elle rétablit l’homme dans le sentiment heureux de son existence... 
On en revient parfois changé, plus enclin à jouir du temps qu’à se soumettre à l’urgence prévalant dans nos existences contemporaines. Le recours aux forêts, chemins, sentiers, ne nous exempte pas de nos responsabilités croissantes envers les désordres du monde, mais il permet de reprendre son souffle, d’affûter ses sens, de renouveler sa curiosité. 
La marche est souvent un détour pour se rassembler soi. 

Le marcheur est un homme de l’interstice, de l’entre-deux, son emprunt des chemins de traverse le situe dans l’ambivalence d’être à la fois dehors et dedans, ici et là. Il entre un moment à l’improviste dans les histoires individuelles de ceux qui sont en marge des lieux publics car ils vivent trop retirés, ou sont trop méfiants."




11.1.17

" Marcher " # 12, selon Hugo Subtil

 dans la revue « Bouts du monde » n°56 : « Marcher ici » :


«  A travers la marche, on redonne à l’espace sa juste mesure, et il devient ainsi profondément humain – car il devient une étendue palpable, réelle, que je foule de mes pieds, que je balaie de mes yeux dont tout mon être perçoit les aspérités – et inhumain à la fois – car il est toujours trop vaste, trop immense et trop hostile pour moi. Avec la marche à pied, on accepte la pluie, le soleil et le vent. Ici le temps n’est pas long. Il est continu, unifié. Il défile à 5 km/h. Rien ne vient le découper. Nulle innovation pour l’accélérer. On ne peut pas tricher avec la marche. Il faut marcher tant d’heures qui sont tant de pas. Marcher, tout le monde sait le faire. Nulle technique en marchant. Il n’y a rien de plus simple. L’homme, une fois debout, ne tient pas en place, il marche. »

« Dans le sauvage, nulle beauté. Il faut d’abord s’en sortir. On survit, on contemple ensuite. Dans le sauvage, nulle frugalité : quand on trouve des baies, on se gave jusqu’à ne plus en pouvoir, lorsqu’on croise un cours d’eau, on étanche sa soif jusqu’à la nausée et puis on repart. Le marcheur devient bête, il se transforme en sauvage. Ainsi, pour avancer, il devient une force mue par des puissances qui le dépassent, l’envie de survivre anime chacun de ses pas. Pour enfin être le sauvage, quelque chose de non domestiqué, quelque chose qui se fond dans le paysage, qui l’habite et n’est plus que ce dernier. Quelque chose qui avance sans vraiment savoir pourquoi, simplement parce qu’il faut avancer. Mue par une volonté qui nous dépasse, quelque chose qui effraie les autres car, quand on est sauvage, on est imprévisible et indomptable. »

« Spontanément, nos proches et même les locaux interprétaient notre entreprise en termes de privation et d’ascétisme. Nous y avons trouvé une libération. Le jeu était simple, binaire même… il nous fallait marcher. Et à partir du moment où nous acceptions de lever le pouce pour nous épargner, ne serait-ce qu’un kilomètre désagréable, cela ouvrait la porte à des questionnements légitimes : pourquoi nous épargner ce kilomètre-ci et pas celui-là ? Dès lors, de petites compromissions en petites compromissions, nous aurions fait du stop dès que la route ne nous conviendrait pas, que le ciel n’aurait pas été à notre goût et que les paysages auraient été mieux ailleurs qu’ici…. Nous serions retombés dans le rapport moderne d’optimisation au monde où il s’agit d’en voir le maximum possible dans un temps imparti. Nous nous serions contraints à avancer toujours plus vite afin de cumuler les expériences valorisables. Avec la marche, rien de tout cela : vous tracez un trait et vous vous ouvrez aux rencontres et aux imprévus qui le jalonnent. C’est notre radicalité qui nous a sauvés. »



10.1.17

" Marcher " # 11, selon Arnaud Passalacqua


Extraits du livre " RĖTROFUTUR, une contre-histoire des innovations énergétiques ".

 " Nos mobilités contemporaines se caractérisent par une forte hétérogénéité des systèmes, du point de vue de leur vitesse comme de leur impact énergétique et climatique. Nombre d'entre eux sont nés du processus d'industrialisation et d'urbanisation que nous connaissons depuis le XIXème siècle et demeurent marqués par une relation de dépendance étroite avec les sources d'énergie fossile, du chemin à vapeur à l'avion au kérosène. Aujourd'hui dominants dans les pratiques mesurées en distance parcourue, ils sont responsables d'une part importante des émissions mondiales de gaz à effet de serre tout en formant l'un des secteurs les moins susceptibles de basculer vers des sources d'énergie alternatives. Toutefois, on remarque que des formes de mobilité mineures, plus économes, coexistent, comme la marche ou le vélo... 


La marche n'a donc pas disparu de nos pratiques... la marche est longtemps restée le mode dominant des mobilités rurales comme urbaines. Ce n'est qu'au XXème siècle qu'elle a cédé la place à d'autres. Elle demeure pourtant essentielle dans le jeu des mobilités contemporaines...

S'agit-il pour autant d'une technique ?... l'être humain possède bien une technique essentiellement fondée sur la maîtrise du léger déséquilibre assurant le déplacement d'une jambe sur l'autre. Mais, même dans ce cas, il est obligé de marcher sur la terre, le pavé,  le bitume ou le sable. Et l'on touche là au point central qui rattache la marche aux autres modes : pour qu'il y ait marche,  il faut qu'il y ait support. Comme dans tout système de déplacement,  le support est bien souvent négligé,  condamné par son immobilisme, alors qu'il tient une place centrale dans son fonctionnement. Sans chemin, comment progresser dans une forêt dès lors qu'elle est relativement dense ? Sans passerelle, comment traverser un cours d'eau ? Et sans trottoirs, comment cheminer dans la ville industrielle ?... La nécessité d'une infrastructure pour le piéton est à l'origine du mouvement de séparation des flux qui a  marqué les villes industrielles. Les premiers trottoirs ont été conçus à Paris pour le nouveaux quartier de l'Odéon, à  la veille de la Révolution française... La généralisation des trottoirs est devenue l'une des principales caractéristiques de la voierie qui se constitue au XIXème siècle...

Ce mouvement de séparation des flux a-t-il sauvé le piéton ou l'a-t-il relégué dans les marges de nos villes ? Les piétons sont supposés marcher sur les rives d'une voierie s'ils ne peuvent traverser qu'en certains endroits réputés protégés. Plus encore, des infrastructures nouvelles ont rendu la marche impraticable, de la ligne de chemin de fer du XIXème siècle à l'autoroute du XXème siècle. Ce faisant, elles ont capté l'essentiel des déplacements. 

La marche assure pourtant encore une part importante des déplacements locaux : 22 % en France en 2008, date de la dernière mesure disponible... certaines configurations très denses permettent aux piétons de s'épanouir : à Paris intra-muros, la marche demeure le mode de déplacement dominant, représentant la moitié des trajets effectués, soit cinq fois plus que l'automobile...

Mode actif par excellente, la marche présente aussi une dimension de santé publique qui ouvre la voie à d'autres formes de monétarisation des effets des transports. Avec elle, les gains de temps ne se comptent plus à chaque trajet raccourci, mais se traduisent en des durées de vie allongées. Voici encore une autre raison de suivre la marche pour considérer autrement une écologie des modes de déplacement où les systèmes les plus archaïques ne sont pas nécessairement ceux que l'on croit. "


9.1.17

" Marcher " # 10, selon Jean Giono






« Si tu n’arrives pas à penser, marche ; 
si tu penses trop, marche ; 
si tu penses mal, marche, 
marche encore. »



8.1.17

" Marcher ", # 9 selon Antoine de Baecque

 dans « Une histoire de la marche »

 «  La marche est une expérience des sens, de celui qui explore avec ses pieds tous ces sens, jusqu’aux limites possibles, même au-delà des limites : aller au-delà de la douleur et du plaisir, décupler infiniment le pouvoir de la vue, de l’odorat, déployer une tactilité surpuissante. La marche laisse son empreinte sur l’étoffe sensible de l’homme. Ces retrouvailles avec soi-même sont le produit d’une errance au plus loin en compagnie de ses propres jambes. »

« Comme tout marcheur qui réfléchit, puis écrit, en marchant je m’inspire de fait de Rousseau : « Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi si j’ose dire, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied ». La marche est une incitation au voyage et au partage de ce même voyage, mais également un prolégomènes à l’écriture, telle une sensation du corps indispensable au rythme de la narration. J’écris ainsi en imitant la marche ; je lance la phrase en avant, puis elle retombe et se relève, plus légère, et se repose à nouveau. Elle finira par me conduire quelque part, peut-être pas exactement là où je pensais… »


 dans Libération (édition du 27/12/2016) : 

" Ce qui me surprend, c'est la résistance, l'endurance qu'on peut déployer pour arpenter pendant des heures, des jours, des mois, un terrain difficile. Je marche seul dans la montagne ou dans la ville, pour atteindre par le corps quelque chose qui m'est interdit ailleurs, la sauvagerie. Je pense qu'on ne peut atteindre autrement que par la marche le noyau le plus préservé de sa propre sauvagerie, ce qui est au plus profond de soi."

" Le marcheur s'ouvre à tout ce qu'il croise : une pierre, un animal, un bruit, un paysage, une rencontre... Et cela déclenche une introspection par association et remémoration de conscience mêlant des pensées intellectuelles, des images érotiques, des notations très concrètes et quotidiennes, des flashs géographiques ou anciens. C'est l'inventivité mentale de la marche qui permet de creuser profond en soi tout en se déployant longtemps dans l'espace. "

" La marche est profondément démocratique et égalitaire : tous ensemble et tous égaux sur le chemin. J'oserais dire qu'elle est de gauche. Alors que l'alpinisme a longtemps été un modèle aristocratique produisant une pensée très hiérarchisée de la société. "

" La marche figure ce qui résiste par et dans le dénuement. Le marcheur est pacifique, dépouillé, fragile, exposé, et c'est cela même qui résiste au monde et aux puissants. Voici, contre la puissance des forts, la puissance de la vie nue. La marche est de ce fait un moyen de protestation et de revendication dans l'histoire, qui est redouté par le pouvoir car il pose la question de la répression du faible, donc de la brutalité injuste. Beaucoup de minorités brimées en ont fait leur arme pacifique..."






7.1.17

" Marcher " # 8, selon Jean Béliveau

 dans « L’homme qui marche » : 

« Je plains les gens qui courent après le temps, l’argent et les superlatifs. Je souffre de ces « extrême », ces « super », ces « extra » affichés qui souillent le paysage et déforment notre rapport au temps.. J’ai le sentiment de marcher dans un monde de mensonges, au milieu d’êtres mutants. »

« …RIEN, c’est plein de RIEN et RIEN. L’absence existe, je la vois… je ne croise pas âme qui vive. A perte de vue, de la terre, de l’herbe jaunie, des arbustes. Il n’y a rien et pourtant, les terres bordant la route sont protégées par de solides clôtures barbelées, fermées par ders portails scellés de lourds cadenas. Dans les pays dits « développés », ce ne sont plus seulement les biens qu’on protège, mais le concept même de propriété ! Je marche des kilomètres sans trouver un endroit où planter ma tente, et je dois me résoudre à des actes délictueux pour pouvoir user de mon droit fondamental à dormir. Tout le monde s’en moque, de ce droit, dans les pays capitalistes. Il n’existe simplement pas, je l’ai souvent remarqué : il faut payer pour dormir. Si tu ne possèdes rien, le repos te sera interdit ! Symboliquement, cela me paraît d’une violence inouïe. » 









6.1.17

" Marcher " # 7, selon Franck Michel

dans « La marche du monde » :

« Avant tout, marcher c’est accepter l’idée de vivre debout. « Nous ne sommes pas de ceux qui ne pensent qu’au milieu des livres et dont l’idée attend pour naître les stimuli des pages ; notre ethos est de penser à l’air libre, marchant, sautant, montant, dansant, de préférence sur les montagnes solitaires ou sur le bord de mer, là où même les chemins se font méditatifs » écrit Nietzsche dans Le gai savoir. »


« La marche est (également) liée au plaisir… L’effort du trekeur est souvent plus une bénédiction qu’une douleur… la quête du plaisir est la raison qui justifie la mise en route. D’ailleurs, métaphore de notre existence, la marche nous accompagne tout au long de la vie : l’aventure débute vers l’âge d’un an même si le bébé-marcheur trébuche encore un peu comme l’adulte - poivrot zigzague comme il peut. Car la marche est aussi une démarche ; voyez le rouleur de mécaniques ou la fille aguicheuse, tout est dans la démarche… Une démarche à entreprendre pour que ça marche. »

« Le vrai marcheur se détache de l’exploit physique (et qui plus est, médiatique) et de toute prétention ostentatoire. L’invisibilité et le retrait sont les conditions de cette modestie. C’est ainsi qu’on est jamais seul lorsqu’on marche puisque celle-ci est intrinsèquement vouée à la rencontre avec autrui. Si la solitude peut se révéler éprouvante elle devient aussi par le biais de l’expérience pédestre une libération, une renaissance, une manière de rallier l’essentiel et de se relier à l’altérité véritable. Dans nos sociétés nouvellement figées dans des formes d’immobilisme désormais entretenues par l’industrie de la peur, marcher relève de la subversion, voyager à pied c’est aller de l’avant. A contre-courant. Et à petite vitesse, car la lenteur aussi est subversive. »

« Marcher est aussi un appel à l’unité dans la multitude. Marcher main dans la main n’est pas marcher bras levé ou poing fermé et pointé vers le ciel. La promenade romantique n’a rien à voir avec le romantisme révolutionnaire. La marche renvoie au mouvement, à la mobilité. Donc à l’action. Dans le mouvement, c’est la société toute entière qui bouge et non le sujet seul. D’où le mouvement social. La marche comme démarche politique. L’homme en action qui marche est un être debout, il refuse de se plier et de se mettre à genoux. Le sculpteur Giacometti, donnant vie à des personnages filiformes et tourmentés, considérait avant tout l’homme en marche avec dignité et sensibilité. Le marcheur est le manifestant par excellence, celui qui proteste contre l’injustice, s’élève contre ou se bat pour, bref celui qui progresse et avance, pas à pas, pour refuser de se taire comme de se terrer. »

« La mère des marches contestataires porte une date : le 1er mai. C’est la date mythique de la marche sociale, celle qui permet d’avancer pour le peuple et de faire reculer le patronat. Au salon de 1880, le tableau La grève des mineurs d’Alfred Roll, puis en 1889, la toile La grève de Jules Adler, et bien sûr le roman social Germinal de Zola en 1885, sont autant de messages de révoltes et de prise de conscience de la misère du monde ouvrier. La marche devient alors une solution pour se faire entendre… la voie est désormais tracée pour marcher dès que le monde va mal, dès que les intérêts des uns sont fragilisés ou les acquis des autres menacés. La marche devient un rituel ouvrier et un acte militant irréfutable. »

« Il y a des marches qui s’apparentent à des exils, des populations chassées qui forment d’impossibles diasporas. Voilà près d’un millénaire que les Tsiganes – ou leurs ancêtres – auraient fui le nord-est de l’Inde pour échapper à l’esclavage… Les Tsiganes ne connaissent que trop bien le prix de leur liberté si chèrement payée à travers l’histoire et la géographie du Vieux continent. Comme le chantait Brassens, « les braves gens n’aiment pas qu’on prenne une autre route qu’eux ».

« Les marches forcées prennent diverses apparences : celles des esclaves noirs d’antan ou des enfants-esclaves d’aujourd’hui, toujours africains et noirs, qui par colonnes humaines avancent enchaînés les uns aux autres… »

« Jamais les voyageurs et les aventuriers n’ont été aussi catalogués, étiquetés, classés. Le spectre des privilèges aristocratiques offerts autrefois aux voyageurs hante encore nos consciences et notre volonté de distinction. Un tourisme qui entend et affirme s’éloigner du tourisme classique, même si dans les faits il n’y parvient que très peu. Ne nous méprenons pas, tourisme ne rime pas avec hédonisme mais avec capitalisme. C’est un constat avéré. »

« A chaque aventurier sa propre aventure, le monopole de celle-ci n’appartient à personne ; et surtout pas à ceux – des producteurs télé aux fabricants de voyage, mais aussi des ethnologues aux écrivains-voyageurs – qui font commerce de ce secteur sous prétexte de professionnalisme. »

« Le voyage humanitaire renvoie trop souvent à la bonne conscience occidentale et s’apparente à une forme – pacifiée – de recolonisation des Suds par les Nords. Devant les spectres de la pensée dominante / unique qui plus que jamais nous accable, ici comme là-bas, le militantisme sans risques est à l’engagement politique ce que l’aventure sans risques est à l’Aventure. »

" Signe de vie, le fait de marcher va plus loin : il indique un chemin. Une autre voie, un autre monde, bref un monde qui marcherait bien sinon droit et non plus sur la tête. Marcher est un préalable pour que l’impossible devienne possible. On dit « marche ou crève » car c’est l’un ou l’autre, mais on dit également « marche et rêve » car là, c’est forcément l’un et l’autre. Une vie sans rêves ça ne marche tout simplement pas. L’imagination au pouvoir est une option vaine si aucun marcheur ne prend la route. »

« … Retrouver le plaisir de vagabonder en toute liberté. Hors de toute dépendance et des sentiers battus. L’indépendance du voyage est indissociable de l’autonomie du voyageur, et il n’y aura jamais de voyage véritablement libre sans voyageurs un brin libertaires. Le voyage met le monde à portée de main, il est surtout l’occasion rêvée de démontrer que « tenter l’impossible » est toujours du domaine du possible… »

5.1.17

" Marcher " # 6, selon Jacques Lanzmann


" Au retour de nos marches lointaines, tout nous paraît injuste parce que tout coule à flots, tout s’étale et tout s’expose, tout est à vendre et tout est à acheter. Parce que là, où les uns mettent des heures à remplir les cruches, les jarres, à les charrier de la rivière à la case, les autres n’ont qu’un robinet à tourner.
Injuste, parce que l’existence des uns ne dépend que d’une mauvaise récolte, d’un méchant coup de vent, tandis que l’aisance des autres ne dépendra jamais que d’un mauvais coup de la Bourse. 
Injuste, parce que nous, voyageurs, trekeurs,  ne savons plus, au retour, à quelle sauce dévorer notre mauvaise conscience, dans quelle sorte de répertoire nous classer.
Injuste, parce que nous sommes le symbole même de cette injustice. Parce que nous sommes allés voir chez les autres alors que ceux-ci ne viendront certainement jamais voir chez nous. "


4.1.17

" Marcher " # 5, selon Olivier Delord

dans « Traversée à 4 voix » :

« Le petit d’homme apprend à marcher. La verticalité a réveillé nos muscles phonatoires, paraît-il. Langage et pensée peuvent éclore. Trois étapes motrices et mentales qui se rejouent pour chacun d’entre nous en écho au lent processus évolutif des hominidés. C’est dire si mouvement à pied et psyché sont, à l’origine, deux faces d’une même pièce… 


Nos sociétés accumulent, jusqu'à la verticalité. Les civilisations nomades vivent frugalement et ont le culte de l’horizon. Même si elles sont viscéralement attachées à la géographie sacrée qu’elles parcourent en boucle, elles obéissent à une nécessité vitale : faire paître le troupeau, trouver les points d’eau. Nous expérimentons l’ivresse d’un nomadisme d’emprunt qui peut paraître futile. Pourtant, chaque matin, regarder vers l’Est et lever le camp suffisent à remplir le cœur d’un homme. On est pauvre de besoins, sus au superflu. Ce qui reste est déjà trop lourd. Une scansion ponctue l’imprévu des jours sous forme de rituels. Plier son duvet et ranger son sac comme un automate à l’aube… Ouvrir la carte, lire le topo, vérifier sa route. Avaler un bol de semoule en milieu de journée. Le soir, faire un peu de lessive, se laver. Consigner la journée dans le journal. Étirer ses membres et ses pensées… Le nomade bricole pour compenser l’inconfort : un ordre discret se rétablit dans le quotidien.
Parfois, oui, nous sommes comme une caravane, avec des électrons libres qui s’y agrègent, les amis qui vous accompagnent un temps, et l’oasis des ravitaillements. Des sentiers s’exhalent fraternité et goût de l’inutile.
Les couloirs de nomadisme sont des traces millénaires. Toute l’humilité de la marche est là. Dans ce vivant miracle de suivre un chemin immémorial avec la fraîcheur d’une première fois. On s’est dénudé. Du coup, ce que l’on n’a pas cessé de transporter avec soi apparaît dans une lumière crue. 

En caressant de l’index notre parcours sur la mappemonde, ma poitrine se serre. Mille sensations remontent, une foule d’images. La carte est un outil de repérage à la précision scientifique. Le géomètre se satisfait de cette représentation astucieuse à deux dimensions du relief. Pour le passionné, un point côté, une courbe de niveau, une légende possèdent une charge poétique. Un nom de sommet convoque les strates d’une vie. Une clairière est une après-midi d’été, des lignes resserrées une bavante mémorable. Déplier une carte, c’est ouvrir des fenêtres de mémoires et d’ailleurs. Ouvrir la carte, c’est déplier du temps. »



3.1.17

" Marcher " # 4, selon Roger Pol-Droit


dans « Comment marchent les philosophes » :


« La marche est primordiale pour définir l’humain dans l’évolution des espèces… Marcher debout sur deux jambes, c’est ce qui nous caractérise parmi toutes les espèces…. Cette déambulation bipède a libéré les mains et développé le cerveau. Mais cette marche se caractérise par un déséquilibre permanent !… 
Pour marcher, il faut s’incliner vers l’avant, et cette inclinaison devrait nous faire chuter, mais nous la rattrapons et la répétons pour avancer…
L’interrogation philosophique fonctionne selon le même processus. En effet il faut commencer par ébranler nos propres convictions, remettre en question nos évidences. Il faut se déstabiliser, faire un croche-pied aux certitudes, se rattraper avec des hypothèses. La marche et la pensée, c’est aussi un déséquilibre permanent et contrôlé. 

Rousseau disait pour sa part : « la marche a quelque chose qui anime et active mon esprit ; je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. »

Lorsqu'on affirme qu’un enfant marche, qu’on demande si un patient récemment opéré peut marcher, qu’on espère qu’une personne âgée soit encore en mesure de marcher, personne n’envisage de randonnée ni de promenade. Chacun parle de ce simple déplacement debout, d’un point à un autre. Il faut y insister : il nous définit. 
Humains, nous sommes des « êtres marchants ». 
La marche peut définir l’humain tout autant que la parole et la pensée. Il est le seul, de tous les vivants, à se déplacer ainsi… il est curieux qu’on ait si peu repéré l’étroite parenté de la marche, la parole et la pensée. »



2.1.17

" Marcher " # 3, selon Sébastien Jallade

dans « L’Appel de la route » (Petite mystique du voyageur en partance) :

«  Partir (est) une pédagogie permettant à des adeptes de toucher au sacré de l’existence par l’exercice d’une liberté, d’une autonomie.
Les mythes ont fondé le nomadisme occidental sur la quête de soi. Ils nous ont transmis l’errance dans laquelle nous pourrions nous dissoudre, subir des épreuves et revenir dans un état singulier. Derrière chacune de nos épopées personnelles, nous rechercherions l’accès à un savoir caché, ancestral, puisé dans le bain mystérieux de la vie et de l’action loin de notre patrie, qui serait le propos des initiés. Bien des départs sont guidés par la soif des prodiges… Nous rêverions de transgresser les lois de la nature par une confrontation au merveilleux. Les chemins tracés par chacun de nous sont, à des degrés divers, des fragments inconscients de notre quête du miracle de la transformation de soi… 

Quel est donc l’idéal qui nous anime désormais ?… S’il me fallait en choisir un seul, ce serait celui de la quête d’identité. Il est à la source de nos départs et abreuve le nomadisme de ce nouveau siècle par un seul axiome : « je suis libre de devenir ce que je veux être »… (c’est le) slogan d’un nouveau monde qui émerge et qui donne une latitude effrayante et fascinante à chacun de nous… tout nous pousse aux exils passagers ou durables : engagements humanitaires, études à l’étranger, défis lointains, expatriation, relations amoureuses… Nouveau dogme contemporain : une vie sans départ ne pourrait se concevoir comme réussite. En quarante ans, la planète a entamé une mutation sans précédent. Un million de Français vivent d’ores et déjà à l’étranger. Six millions d ‘entre eux ont désormais au moins un parent, si ce n’est eux-mêmes, né à l’étranger et partagé entre plusieurs cultures. Le grand va-et-vient des identités a commencé ! 


Partir est un manifeste… c’est un face à face avec le monde. « Dans chaque acte que nous entreprenons, il y a un message » dit Claude Lévi-Strauss. Bien des voyages naissent dans le défi, exprimé ouvertement ou non, à l’égard de notre système. Partir est une façon d’exprimer sa défiance vis à vis de sa communauté d’appartenance. A travers cette prise de conscience du caractère contingent de nos croyances et de nos valeurs, les voyageurs emportent le secret espoir de pouvoir les changer en retour. Les motivations contestataires paraissent infinies… 

Faut-il une légitimité pour s’émouvoir du monde ?  Pour beaucoup de nos contemporains, le voyage aujourd’hui ne trouve une justification sociale qu’une fois légitimé par un projet scientifique ou humanitaire. Par l’envoûtement gratuit du départ, les voyageurs s’attachent chaque jour à prouver le contraire.

L’obsession du territoire dont on voudrait s’emparer se traduit désormais par la forme de l’engagement. La quête du lieu est progressivement remplacée par celle de la démarche. Le départ devient une conquête… le voyageur s’échappe… il s’engage dans une vision du monde : le savoir-faire d’un médecin ou d’un paléontologue, le langage codé d’un marin, la force d’autonomie d’un marcheur au long cours, sont autant de façons de faire que de dire le monde. Chacun part muni de son propre mode d’emploi du nomadisme… Le chemin appartient alors au pèlerin, et le désert à son ermite ; le montagnard convoite la cime, le marin la haute mer et l’anthropologue une communauté…

A chacun de leurs actes, ils dessinent avec effronterie et poésie les contours d’un rapport franc avec la vie. Une éthique fondée sur l’engagement et la liberté. l’exclusion de la tribu du bien-être transforme le grand départ, sinon en rupture, du moins en chemin de croix… Chacun de leurs gestes, par l’intransigeance et le caractère hasardeux qu’il revêt, est de fait une forme de rébellion contre le jeu social d'aujourd'hui.

Mystérieuse recherche du bonheur à laquelle tant de nous aspirent… Nous faisons l’éloge, non pas d’un territoire, mais d’une part d’humanité commune à chacun de nous. C’est un acte d’amour où l’individu prête enfin une attention au monde et aux autres… Aujourd'hui, le départ devient une réponse à la tendance déshumanisante des sociétés modernes.

Les voyageurs rêvent tous, sinon d’espaces vierges, du moins de territoires isolés… ils se rendent dès lors là où les cartes ne parlent pas encore, ou si peu, car c’est en ces confins que l’imagination se libère véritablement : destinations lointaines, cordillères inaccessibles, îles, déserts, métropoles irrationnelles… Or ces territoires se font rares. En participant à l’inévitable discours une fois de retour chez eux, les voyageurs contribuent à cette frénésie sans fin du spectacle du monde, corollaire symétrique de l’épuisement de nos enchantements…

Le monde est abreuvé par un trop-plein d’images d’ailleurs. L’embrouillamini est tel que certains voyageurs se perdent finalement en chemin, rattrapés par les mirages de leur société d’origine. Afin de justifier leurs projets, ils se muent parfois en artefacts sponsorisés de l’émotion, amalgamant statistiques, beaux projets et images d’eux-mêmes en temps réel, sans retenue…

Exploiter à outrance l’exotisme des aventures personnelles au nom de la mise en scène du vécu me semble aussi fascinant qu’ambigu. Comment broder le fil d’exploits supposés dans les pays lointains alors que tant de femmes et d’hommes vivent quotidiennement dans ces régions ?…

Le récit de voyage est un langage avec ses carcans et sa liberté. C’est une mise en scène romanesque prônant une vérité puisée dans le vécu, mais entravée par les dogmes d’un genre éditorial précis : le rituel par étapes, la peur, la fatigue, la soif, la solitude, les nuits sous la tente, l’imagerie de la rencontre … Mais cette forme de voyage est aussi érigée par certains en un art de vivre, magnifié par le choix du bon bivouac, guidé par l’orientation du soleil à l’aube et la beauté des paysages…
Aux mille façons de décrire la réalité que nous voyons, au travers de films, de récits ou de romans, répond l’infinie variété des langages que l’on s’impose pour décrire le monde ; l’anthropologie, la géographie, l’art, la poésie… les voyageurs aiment picorer leur vocabulaire dans chacune de ces disciplines, avec l’assurance qu’elles offrent toutes des points de vue précieux et originaux autant que des certitudes cloisonnées imparfaites… »


1.1.17

" Marcher " # 2, selon Emeric Fisset

dans « L’ivresse de la marche » :


«… Le voyageur ne va nulle part, il déambule, c’est tout. Il n’est qu’un passant… le temps passant, on finit par s’habituer à ne pas avoir de direction, à n’avoir rien d’autre à faire qu’à regarder, à être simplement là. Alors le regard change, les heures du jour s’écoulent avec plus de plénitude et l’on entre dans le temps du voyage, dilaté, épaissi, discontinu. On aime le soir remonter, comme la brume avec la nuit remonte un étang, les quelques images de la journée… Elles posent des passerelles sur lesquelles on marchera le lendemain.


Voyager à pied signifie s’abandonner à l’espace et au temps. A l’espace, car une fois tracée la ligne entre son point de départ et le but qu’il s’est assigné… le marcheur ne sait jamais exactement où ses pas l’entraîneront le jour suivant.. Il sait juste que ce jour là et le jour d’après encore ses jambes le porteront… L’homme qui marche au long cours n’a pas la maîtrise de l’étape. 

Le marcheur, obsédé par l’espace qu’il s’est donné à arpenter, la distance à franchir, engoncé parfois dans ses pensées comme dans son vêtement de pluie, ne devient pas forcément le meilleur des naturalistes ; en revanche, il développe comme nul autre sa faculté de perception et d’émotion.

…(il) est comme un poisson dans l’eau. Son corps s’est endurci, est devenu indifférent aux intempéries, et son esprit, tout à la joie de la vie vagabonde, ne fait plus qu’un avec le milieu qui l’entoure et comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes.

Le voyageur n’est jamais si mal reçu que par quelqu’un en qui il a placé trop d’espoirs, qu’ils soient de repos, de conversation ou d’amitié. C’est l’imprévu qui fait l’excitation du voyage à pied, et c’est s’abandonner à lui qui transforme parfois un aléa en douceur, une avanie en félicité, au point qu’il est alors possible de goûter à la sérendipité, ce bonheur qu’on ne cherchait pas mais qui est donné à l’improviste et de surcroît.

 Vouloir à tout prix rendre compte de ses étapes et de ses rencontres, inscrire ses pas dans ceux d’augustes prédécesseurs, prétendre donner une connotation humanitaire, écologique, culturelle ou scientifique à son entreprise (sont) des options discutables…
Pour moi, le vrai sens du voyage, et notamment du voyage à pied, est dans l’effort personnel, égoïste, qui consiste à se mettre en harmonie avec le monde – la nature et les hommes. Cet effort inutile ne contribue pas de manière spectaculaire à sauver la planète, mais il représente au moins l’immense mérite de ne pas lui nuire ni de mentir aux hommes qui la peuplent. Car la marche est d’abord, par le dépouillement qu’elle implique, par sa simplicité, une démarche de sincérité… le marcheur à pied, porteur de rêves et d’aventure, reçoit bien plus qu’il ne donne.
                       
Le voyageur à pied immergé dans la nature a-t-il lieu de la craindre ? Lui qui n’a plus ni toit ni porte ni lit pourrait se sentir désemparé… dépassé par la taille des franchissements de rivière à réaliser, par l’épaisseur des forêts… menacé par la faune qui circule et, moins visibles mais plus dangereux, par tous les animalcules qui, loin de pouvoir vous faire mourir d’un coup de griffes ou de patte, vous font dépérir à petit feu… les bestioles qui prolifèrent transforment parfois le voyage en combat incessant contre leurs agressions…
(cependant) la nature n’est pas pour lui un obstacle mais la condition du retour à l’humanité.
Jour après jour, l’homme en marche surmonte les épreuves… 

 Si elle ouvre des portes, la marche ne donne aucun droit, quel que soit l’état de fatigue ou de précarité dans lequel celui qui s’y livre s’est placé de plein gré. Elle oblige au contraire le marcheur à conserver, en la renouvelant sans cesse, une faculté inestimable : l’émerveillement.

Endosse ton sac et trace ton propre chemin, fut-il d’un jour, d’une semaine ou d’un mois ou d’une vie. Tu feras de l’amitié de fortune ta provende et de la nature ton amante…
Ainsi, quand la pluie du ciel de deviendra aussi douce que l’eau de source…le bruit de l’orage précieux comme le grondement des cascades… quand le chaud et le froid te seront indifférents…tu connaîtras l’ivresse de la marche, une ivresse qui ne nuit jamais, une ivresse qui ne passe pas. »