Je l'observe, étonnée, cette eau inconnue ramassée dans la paume de ma
main. Elle ne ressemble à aucune de celles que j'avais pu contempler jusqu'ici.
Car chez moi, d'où je viens, on lutte pour l'avoir : la dompter tout d'abord
lorsqu'elle se rue sur les villages familiaux du haut des massifs enneigés; la
diriger ensuite sur les terres assoiffées où les hommes triment chaque jour
pour creuser les sillons et canaux, les terrasses agricoles qui nourrissent nos
familles; la porter des deux bras pour aller abreuver le bétail et les hommes.
Et lorsqu'elle arrive aux abords des grandes villes, salie, rejetée, récupérée,
raréfiée, l'éclat des neiges qui l'ont fait naître s'est à ce point terni qu'il
ne reste plus au fond des ruaux et citernes qu'un mélange de liquides vaseux
que je n'ose même plus avaler.
Mais ici la vague va et vient, caresse mes pieds, l'eau rafraîchit mes
mains puis mon visage; et ce goût dans ma bouche, surprenant, persistant, ce
sel déposé sur ma langue qui diffère des épices végétales auxquelles je suis
habituée, ces éclats de lumière projetés vers le ciel dans les gerbes soulevées
par mes pieds... tout cela me procure de nouvelles sensations, de nouveaux
paysages à découvrir encore; ceux d'aujourd'hui sur cette plage bretonne, ceux
de demain au-delà de cette ligne d'horizon que je n'avais jusqu'à présent
jamais pu entrevoir.
J'enverrai à mes proches restés à l'autre bout du monde au pied des
montagnes les images nouvelles de cette riche étendue.
Bien sûr, ils ne sauront rien des sensations qui me submergent, des
ondulations de mon âme qui suivent celles des vagues, des envies de mouvements
qui me prennent désormais...
Rester ou partir? Voyager plus loin encore? Aller et venir comme le
font les marées? Que veux-tu, où vas-tu?
J'ai vingt ans et je suis loin, si loin… mais chez moi c'est là-bas,
c'est ici, c'est partout;
…et cette eau qui scintille au creux de ma main!
Le Croisic, octobre 2015
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