3.10.24

Marcheurs-écrivains " 12

 

Je ne peux que recommander la lecture de la très belle revue "Bouts du Monde", qui a eu l'amabilité de me publier à trois reprises. On y trouve des récits de voyageurs qui ont parcouru le monde de toutes les façons, en tous lieux. Je ne résiste pas à reprendre des extraits de l'un d'eux, qui m'interpelle particulièrement... :


Hugo Subtil dans la revue « Bouts du monde » n°56, « Marcher ici » :

«  A travers la marche, on redonne à l’espace sa juste mesure, et il devient ainsi profondément humain – car il devient une étendue palpable, réelle, que je foule de mes pieds, que je balaie de mes yeux dont tout mon être perçoit les aspérités – et inhumain à la fois – car il est toujours trop vaste, trop immense et trop hostile pour moi. Avec la marche à pied, on accepte la pluie, le soleil et le vent. Ici le temps n’est pas long. Il est continu, unifié. Il défile à 5 km/h. Rien ne vient le découper. Nulle innovation pour l’accélérer. On ne peut pas tricher avec la marche. Il faut marcher tant d’heures qui sont tant de pas. Marcher, tout le monde sait le faire. Nulle technique en marchant. Il n’y a rien de plus simple. L’homme, une fois debout, ne tient pas en place, il marche. »

« Dans le sauvage, nulle beauté. Il faut d’abord s’en sortir. On survit, on contemple ensuite. Dans le sauvage, nulle frugalité : quand on trouve des baies, on se gave jusqu’à ne plus en pouvoir, lorsqu’on croise un cours d’eau, on étanche sa soif jusqu’à la nausée et puis on repart. Le marcheur devient bête, il se transforme en sauvage. Ainsi, pour avancer, il devient une force mue par des puissances qui le dépassent, l’envie de survivre anime chacun de ses pas. Pour enfin être le sauvage, quelque chose de non domestiqué, quelque chose qui se fond dans le paysage, qui l’habite et n’est plus que ce dernier. Quelque chose qui avance sans vraiment savoir pourquoi, simplement parce qu’il faut avancer. Mue par une volonté qui nous dépasse, quelque chose qui effraie les autres car, quand on est sauvage, on est imprévisible et indomptable. »

« Spontanément, nos proches et même les locaux interprétaient notre entreprise en termes de privation et d’ascétisme. Nous y avons trouvé une libération. Le jeu était simple, binaire même… il nous fallait marcher. Et à partir du moment où nous acceptions de lever le pouce pour nous épargner, ne serait-ce qu’un kilomètre désagréable, cela ouvrait la porte à des questionnements légitimes : pourquoi nous épargner ce kilomètre-ci et pas celui-là ? Dès lors, de petites compromissions en petites compromissions, nous aurions fait du stop dès que la route ne nous conviendrait pas, que le ciel n’aurait pas été à notre goût et que les paysages auraient été mieux ailleurs qu’ici…. Nous serions retombés dans le rapport moderne d’optimisation au monde où il s’agit d’en voir le maximum possible dans un temps imparti. Nous nous serions contraints à avancer toujours plus vite afin de cumuler les expériences valorisables. Avec la marche, rien de tout cela : vous tracez un trait et vous vous ouvrez aux rencontres et aux imprévus qui le jalonnent. C’est notre radicalité qui nous a sauvés. »





13.8.24

Claire


Claire EST cette nuit 

Sous les étoiles filantes.

Le sommet est ici.


 

Hommage à Claire, 

sommet du Grand Pinier, 

nuit du 1er au 2 août 2024.

8.3.24

ECOSSE, Longitude 5°




Longitude 5° : la voie écossaise.

De Durness à Dunoon (Toward).

    Lorsque j'ai parcouru le méridien de Greenwich à pied dans sa partie européenne (voir mon récit dans un autre article de ce blog), j'ai constaté que l'idée de suivre une ligne virtuelle était une excellente façon de découvrir un territoire. J'y ai pris par la même occasion un tel plaisir qu'il me fallait absolument revivre les sensations liées à ce genre de périple original. 
    J'ai choisi cette fois-ci de traverser l'Ecosse, du nord au sud. Le hasard semble une nouvelle fois me sourire: le méridien 5° traverse judicieusement l'Ecosse, depuis le Cap Wrath au nord jusqu'au sud, à proximité de la petite ville de Dunoon. Au centre, Fort William, "capitale touristique", et son célèbre Ben Nevis, sommet principal des Highlands. Fort William est également le point d'arrivée d'un sentier de randonnée mondialement connu : la West Highland Way (WHW), que la plupart des randonneurs suivent en partant de Milngavie, près de Glasgow. On peut prolonger cette voie de Fort William jusqu'au Cap Wrath en parcourant le "Cap Wrath Trail" (CWT); mais ici, pas de balisage et bien souvent pas de chemins. Quelques publications documentent cet itinéraire. Il faut traverser des landes immenses, suivre les lochs, franchir des rivières, gravir les monts; on marche la plupart du temps sur un sol fait d'un mélange d'herbes, d'eau et de tourbe. L'humidité est partout présente, du sol jusqu'au ciel, en passant par tous les pores de votre corps. Mais la nature et ses paysages sont d'une telle beauté que l'envie d'avancer pour en profiter toujours plus entretient une puissante motivation. 
    La partie sud du méridien 5° n'a pour sa part jamais fait l'objet de parcours pédestre référencé. L'idée de créer une variante de la West Highland Way pour achever le parcours intégral de cette nouvelle "Ligne 5" me convient parfaitement...

 Carte interactive à utiliser avec deux doigts sur androïd : 

 Merci encore... à Fabrice D. 

Si vous cliquez sur un point indiquant une de mes étapes, vous obtenez une indication, ainsi qu'une photo de l'endroit où j'ai dormi. 


ligne noire :     Longitude 5°
ligne rouge :    Cap Wrath Trail (CWT)
ligne mauve :  West Highland Way (WHW)
ligne verte :     Projet de variante WHW


J-1  Dimanche 21 avril.

    Édimbourg. Le temps est humide et nuageux. Une navette mène de l'aéroport à la gare de Wawerley. Elle passe le long du célèbre stade de rugby de Murrayfield puis de la forteresse qui domine la ville. A la gare, le train qui doit me conduire à Inverness est annulé. Il me reste tout juste 10 minutes pour trouver un bus de remplacement dans une rue que je ne connais pas. Après avoir interrogé brièvement trois passants et un portier d'hôtel, je le trouve à la dernière minute. Le chauffeur est en train de refuser l'accès à un couple qui me précède parce qu'il ne lui reste qu'une place : elle est pour moi! Lucky! Je balance mon sac dans la soute et monte en essuyant la sueur qui dégouline de mon front. 
Trois heures de route. On passe près de Pearth, puis j'aperçois au loin la silhouette blanche de Blair Castle, visité quelques années plus tôt. Les premiers moutons puis les sommets encore enneigés des Cairngorms. Le bus descend vers Inverness à la tombée du jour. Ce soir, les lumières de la ville et un rayon de soleil se reflètent dans la rivière Ness. Sans doute Nessie y dort-t-elle déjà? Je vais faire comme elle.

Inverness 


J1 le 23 avril 2024, 16h00 : 

  direction le Cap Wrath, puis droit vers le sud. Ou presque...
La nuit fut très fraîche sous ma tente, dans une ambiance calme au dehors, mais agitée au dedans. Mon esprit et mon corps ont du mal à retrouver rapidement les habitudes et sensations mais aussi la sérénité nécessaire au bivouac en conditions spartiates. Pourtant, tout va bien, à commencer par la qualité de l'eau que je viens de récupérer d'un filet dégoulinant d'une roche moussue. Limpide, malgré la couleur sombre des cours d'eau qui traversent les sols tourbeux. C'est à regret que je la désinfecte avec une pastille javellisée. Plus tard, un écossais me dira qu'il la boit sans précautions. Il trouve que l'eau qui sert à fabriquer le whisky écossais est la meilleure du monde. 
Une piste relie le bras de mer de Durness au Cap Wrath. A partir du mois de mai - donc pas aujourd'hui - une navette mène les touristes jusqu'au phare qui domine le cap. Les landes sont ici tellement sauvages et éloignées de toutes habitations qu'elles attirent quelques randonneurs mais aussi... des militaires. Dans cette zone, avions et navires de guerre viennent s'exercer à envoyer bombes et missiles sur des ennemis imaginaires. Pourtant, nulle trace d'explosions, ni dégâts. Le côté poétique de mon âme se prend à imaginer l'arrivée d'un missile s'enfonçant en un grand "smush" dans la tourbe écossaise. On devrait obliger nos grands bellicistes et autres terroristes d'état (et d'Etats) à venir se battre ici. Outre qu'il n'y a personne à tuer en ces lieux, peut-être les armes refuseraient-elles d'exploser ? Un pick-up me rattrape et s'arrête à mon niveau. Les deux employés à son bord sillonnent le coin à la recherche de ces éventuelles munitions égarées afin de les faire enlever fissa et laisser la nature intacte. Ils me proposent de m'avancer sur la piste, mais je ne dérogerai pas à mon principe : " my trip is by foot ". 
  Au Cap Wrath, le phare est gardé par deux personnes occupées à des tâches multiples, dont l'une consiste à hydrater les randonneurs et proposer de signer un registre à ceux qui finissent le CWT. Je me contente d'un mot, signalant que pour moi, c'est le début!
Je marche pendant plus de trois heures sur les premiers "vrais" kilomètres du "chemin" qui n'en est pas un. Il faut me fier à la carte et à mon GPS, comprendre la nature du terrain. De simples sillons ressemblant à des chemins ne sont en fait que des voies où l'eau s'écoule. A éviter. Les touffes d'herbe offrent de meilleurs appuis que les creux qui les séparent. Je finis par adopter une méthode de navigation qui, je j'espère, pourrait être efficace : se fier aux couleurs. Poser son pied sur des surfaces trop noires, marrons ou vertes fait prendre le risque d'une glissade ou d'un enfoncement. Restent le jaune des herbes sèches et le blanc des lichens pour garantir une avancée sécurisée. Je regarde donc au loin, à la recherche des taches de bonnes couleurs. En de multiples endroits, le sol est érodé par les pluies diluviennes. Des sillons et dépressions allant de quelques centimètres à plusieurs mètres font apparaître un sol noir, brillant et instable. 
Les couleurs varient aussi dans le ciel : noir et toutes les nuances de gris, bleu, jaune, ocre et rouge flamboyant. Lorsque j'arrive au bord d'une crique qui surplombe la mer et que le soleil envoie ses rayons sur les flots au travers des nuages, je décide de m'arrêter là. Je monte la tente devant une draperie céleste aux couleurs d'or et d'ébène. 

Le Cap Wrath 

J2 le 24 avril.  Sandwood Bay et Kinlochbervie

  Aucun chemin ne parcourt ces landes dans cette région ci. Le programme de la matinée consiste à satisfaire deux exigences :  regarder mes pieds et repérer au loin les points de repères géographiques qui permettent de m'orienter : s'approcher d'une colline sans la gravir, s'éloigner de la côte où un canyon barre le passage, trouver l'endroit le plus étroit d'une rivière pour la franchir, contourner les zones de marais. On ne s'ennuie pas. La récompense vient aux alentours de 14 heures. L'heure du pique-nique (une barre de céréales et une pâte de fruits). Sandwood Bay. Une plage de sable fin et doré à laquelle il ne manque que quelques degrés celsius. Une mer colorée sous un ciel tourmenté, festonnée d'un liseret blanc. Quelques dunes piquetées de oyats forment un cordon derrière lequel s'étend un lac entouré de bruyères. Un cours d'eau se fraye un chemin en sculptant le sable et charriant des galets. J'observe chaque partie de ce paysage depuis le promontoire rocheux où je me trouve, côté nord. Au sud, un autre me fait face, prolongé dans la mer par un menhir naturel, gigantesque. Il me rappelle " The old man " de l'île de Skye. J'apprendrais le lendemain, dans un restaurant de pêcheurs du port de Kinlochbervie, qu'il porte le même nom. Il fait partie des meilleurs spots des grimpeurs écossais. C'est l'un d'entre eux, qui déjeunait à mes côtés, qui me l'a dit en me montrant le topo-guide qu'il était en train de consulter. 
De Sandwood Bay à Kinlochbervie, un bon sentier - Ah! - permet d'avancer sans soucis. Le froid s'abat au coucher du soleil lorsque je plante ma tente. Des averses tombent en même temps que la température. Je me contente de fruits secs et d'une soupe, à plat ventre sous ma tente. Au petit matin, la moitié supérieure du Ben qui surplombe le village est tout blanc. 

Sandwood Bay

J3  Rhiconish river.

  Après avoir copieusement déjeuner sur le port de pêche, dévalisé le "London store" grand comme un mouchoir de poche et squatté les WC publics proprets pour y laver mon petit linge, me voici gaillardement reparti par une petite route dont l'avantage est de raccourcir les kilomètres. Pas très longtemps. On se retrouve subitement sur une sente de pêcheurs à la ligne, qui suit la rivière de Rhiconish. Elle s'évanouit, mais pas la rivière qu'on remonte jusqu'à des lochs qui se suivent à la queueleuleu. Une pure merveille, avec des collines de chaque côté. Une vallée ouverte et un ciel aux quatre couleurs. Je vous laisse deviner lesquelles. Une autre rivière, coulant littéralement, se jette dans celle que je suis. Il faut la franchir. Je troque mes chaussures pour des sandales pour la traverser. Deux fois. Une fois pour la tester sans le sac, l'autre pour revenir parce qu'il y a quelques mètres carrés d'herbes sèches dont je voudrais profiter pour installer mon bivouac. Hier, j'ai marché une heure de plus mais ce soir, je veux profiter de la dernière heure de soleil pour "dîner" sans geler et regarder les lumières de fin de journée sur la rivière. 

Rhiconish river. 


J4  Le Ben Dreavie

  J'ai très bien dormi, bercé par les flots de paroles de la rivière. Je pense qu'elle parlait en gaélique parce que je ne comprenais pas ce qu'elle disait. Ce n'était pas que des murmures mais une conversation avec des voix différentes, certaines graves, les autres plus aiguës. Cette rivière a toujours quelque chose à raconter. Je ne comprends pas les secrets qu'elle charrie, mais j'en retiens néanmoins sa mélodie qui fait tellement de bien. Je reprends maintenant mon chemin, en la remontant. Elle s'élargit jusqu'à former deux lacs longilignes. J'aurais bien aimé que ça dure tout le temps : cette vallée est si paisible!
La seconde partie de journée s'annonce beaucoup plus musclée. L'itinéraire passe par un sommet. Le Ben Dreavie, 510 mètres d'altitude. Une particularité de l'Ecosse est que dès qu'on s'élève, ne serait-ce que de quelques dizaines de mètres, on regarde vers le bas et on voit tout autour, on admire et comprend la complexité du paysage, de son puzzle de lacs et rivières. Lorsqu'on regarde vers le haut, de loin on voit des successions de collines mais on ne discerne pas grand chose de ce qui compose chacune d'elles. Il en est ainsi du Ben Dreavie. Je monte d'abord par un aimable sentier qui disparaît subitement, me laissant seul au milieu des bruyères et tourbières. Des lacs apparaissent au fur et à mesure de la montée, se déversant les uns dans les autres. On contourne les rochers, on évite les trous et les failles, on recherche le sommet. Mais ça ne sert à rien. On ne le voit pas. Sa recherche relève d'une habitude obstinée de montagnard alpin. Ici, on avance en restant parfois aux mêmes altitudes pendant des kilomètres. Le Ben peut s'allonger à l'horizontale en son sommet. Le marcheur n'a qu'à patienter! Du coup, j'ai failli ne pas voir le sommet. Je l'avais passé lorsque je m'en suis rendu compte. Il faut aussi marcher pendant de longues heures pour redescendre. Mais je n'en ai qu'une avant que le froid me saisisse avec le coucher du soleil. Je bivouaque ce soir à 400 mètres d'altitude derrière le muret d'une cabane ruinée. Le paysage est grandiose, avec un morceau d'arc en ciel au lointain. 
Lorsque que je me suis levé dans la nuit, réveillé par les besoins de mon corps, la tente était raidie par le gel.



J5  Glencoul bothy

  Trois heures pour descendre depuis mon bivouac jusqu'au niveau de la mer. Au moment du lever, un anglais qui va dans le même sens que moi passe près de ma tente. Le premier depuis mon début de trek. Je le retrouverai le soir au refuge (bothy) de Glencoul.
Les lochs marins s'étendent sur des kilomètres de long. Pas dans le bon sens. D'ouest en est, alors que je vais du nord vers le sud. C'est embêtant lorsqu'on veut descendre en latitude. Du coup, la progression à vol d'oiseau sur la carte n'est pas moribolante. Pour corser le tout, je ramasse ma première véritable douche écossaise, sans eau chaude, trois heures durant. En montée de surcroît. Lorsque la voie redescend enfin vers le bothy si convoité, la première chose à faire est d'enfiler des vêtements secs. Je retrouve l'anglais du matin. Nous discutons d'itinéraires et de nature. Deux jours plus tôt, il a tiré le portrait en gros plan d'un cerf magnifique, ainsi que d'une chèvre sauvage (non, pas un chamois...). Je n'en avais jamais vu.

Glencoul bothy (tout en bas).

J6 & 6 bis  Inchnadamph, les 28 et 29 avril.

  Une nouvelle rivière me permet de la suivre. Je la trouve un peu moins sympathique que sa cousine Rhiconish car elle se laisse un peu moins approcher. Lorsqu'elle le permet, elle fait la joie des pêcheurs, randonneurs et animaux sauvages. Certains d'entre eux descendent depuis les rochers et abris proéminents. Parfois, ce n'est plus possible. J'y reviens dès que je peux, malgré les indications de mon GPS qui m'envoie un peu trop à mon goût patauger dans les marais. 
On bifurque vers le sud. Changement de cap et nouveau programme : l'ascension des pentes en direction du Ben Bheinn (776 mètres), qu'on passe une centaine de mètres sous le sommet. Montée lente et fastidieuse avec de nombreux arrêts pour deviner où est le chemin, dès que la végétation prend le dessus sur les pierres. Des arrêts aussi pour mettre la cape de pluie, l'enlever, la remettre, l'ôter, mettre les gants, les retirer, consulter le GPS, ne plus s'y fier. Ah, zut ! Je n'aurais pas du !...
Un cerf et deux biches, perchés quelques dizaines de mètres au-dessus de moi, nullement effrayés, observent les bizarreries du comportement humain. Je me sens ridicule. Le sommet est passé après une nouvelle bourrasque de grésil. Il m'épargne cette fois-ci une recherche trop longue. Le sentier s'améliore pour descendre vers Inchnadamph. Le pas s'accélère et le temps s'améliore sur ce versant ci de la montagne. 
Inchnadamph. Quelques maisons, jolies. Une église, une route, un lac et des collines. Une auberge sympathique et bien tenue. Douche, cuisine et repos. Je vais m'y ressourcer et apprécier son confort toute la journée à venir. 

L'église d'Inchnadamph.

J7  Benmore lodge.


  Nous avons grimpé toute la matinée en direction d'un petit Ben accroché à celui d'Assynt. Assynt est une célébrité en Ecosse. C'est aussi le nom d'un loch, ainsi que d'une localité. 
Je dis "nous", car nous avons dormi dans la même chambre, Ludo et moi, hier soir. Ludo est belge, il parle flamand et correctement l'anglais. Il parle aussi le français, un peu comme moi l'anglais... nous mélangeons tout ça!
Nous sommes partis en même temps du lodge d'Inchnadamph ce matin. Ludo marche un peu plus vite que moi sur bons chemins et moi un peu plus vite que lui dans les ascensions et parties techniques. Ce qui fait que nous pouvons accorder notre progression. Nous passons le col ensemble dans une ambiance dont je suis friand : sombre, froide et ventée. Le ciel est noir, les couleurs absentes. Impressionnant. La descente du versant opposé demande beaucoup d'attention. Notamment pour lire le paysage et comprendre l'itinéraire car il n'y a plus de sentiers. Descendre tout droit, comme le voudrait la logique, nous amènerait à finir plantés dans les marais et crevasses de tourbes. Alors, nous contournons tout le cirque rocheux sur notre gauche, sous les contreforts qui descendent du Ben Assynt (998m). Deux bonnes heures après, nous n'avons plus qu'à suivre la rivière principale issue des sommets : la rivière Oykel. Elle passe à Benmore lodge (qui n'en est pas un). Quelques kilomètres plus loin, nous installons ensemble nos deux tentes, au bord d'un chemin forestier. 

J8  le 1er mai.  Knockdamph bothy.


  Une journée sans une goutte d'eau, sèche au-dessus et sèche sous les pieds. J'ai l'impression de ne plus être en Ecosse. Ici poussent les arbres, il y a même quelques bouts de forêts dont on exploite les troncs d'épicéas. Les reliefs montagneux se tiennent à l'écart, l'air se réchauffe. Les oiseaux chantent, on entend le coucou. Le 1er mai semble être la date à laquelle l'Ecosse décide d'éclore. Les bouleaux se parent de petites feuilles vert fluo. La rivière Oykel se fait belle. Elle arbore les couleurs printanières. Cachés dans ses eaux, une foule des saumons sauvages qui peuvent entreprendre leurs ébats. Nous continuons ainsi, Ludo et moi, jusqu'à Oykel Bridge. Il y a là un petit hôtel, situé sur une route que nous devons traverser. Affamés, nous nous y reposons deux heures durant. On nous sert café, chocolat, jus de fruits, œufs, saucisses, bacon, posés sur des toasts. Ça me fait un bien fou. Ludo me quitte. Sa voie passe par la petite ville d'Ulapool. La mienne non. Je repars en me plongeant dans un état de semi-conscience que j'affectionne parfois pour avancer. Cet état me permet de ne plus voir le temps passer et de me connecter à l'environnement naturel. Je le prolonge en m'endormant pour de bon cette fois-ci, dans une cabane (School bothy), pendant une vingtaine de minutes. Lorsque j'en repars, je suis encore dans un état de semi-conscience. Je n'observe plus le paysage : j'en fais partie. Je ne perçois que le bruissement du vent et les roulements de la rivière. Mon pas est cadencé, mon corps n'est plus q'une machine automatisée. Je n'ai ni à parler, ni à réfléchir. Seulement Être. Les chemins faciles à suivre sont propices à cet état d'être. Il peut néanmoins provoquer un désagrément : ne plus savoir où l'on est. C'est ce qui s'est passé lorsque j'ai repris conscience après plus de quarante minutes d'état second : je n'étais plus sur le bon chemin. Une heure vingt et six kilomètres perdus  au total. Perdus ? Pas sûr. Ma séance d'auto-hypnose m'a permis de juger qu'après tout, ici ou là, j'aurais marché. Qu'importent les lieux et chemins empruntés.
Le jour décline sur la cabane de Knockdamph au moment où je l'atteinds. Elle est perchée au-dessus d'un loch. Il n'y a personne. C'est là que je dormirai ce soir, paisiblement seul.


J9  Invalaël.

  J'ai dormi d'un profond sommeil dans ce bothy. J'aime ces petits miracles matinaux, lorsque les pieds qui, la veille, n'en pouvaient plus et souffraient, se retrouvent à l'aise dès qu'ils retrouvent leurs chaussures. La journée s'annonce bien. Elle devient extraordinaire au fil des heures. D'abord, un bon sentier suit le lac au bord du lac où j'ai dormi. Il disparaît à son extrémité, à l'endroit où je dois chercher et suivre la rivière qui se jette dedans. Je sais depuis deux jours que cette zone difficilement pénétrable est problématique. Peu de randonneurs passent ici, la plupart choisissant la voie qui mène à Ulapool. Mais Ulapool est à l'écart de la Longitude 5°, que j'ai choisi de suivre... La veille, j'avais rencontré un couple de jeunes anglais. Ils étaient passés par là. Ils m'avaient expliqué dans un vocabulaire à la fois simple et très précis ce que je devais regarder et combien de temps devrait durer chaque passage. Remarquable, cette capacité à expliquer un itinéraire. Ce n'est pas donné à tout le monde. Encore moins à un français qui ne comprend à priori pas tout ce qu'on lui dit! Ces deux là iront loin sur tous les chemins du monde. 
L'une des difficultés de ce secteur est que la rivière, par endroits, s'enfonce dans des canyons. On ne la voit plus dans l'immensité des landes austères. Chaque fois qu'on la retrouve, c'est un grand moment de bonheur. On s'extasie devant les banquettes rocheuses qu'elle franchit vivement. Parfois en cascades. Elle passe de l'ombre à la lumière et permet le développement d'une végétation fleurie et verdoyante. Elle est d'une beauté insolente et ne se dévoile qu'à ceux qui peuvent la rejoindre, après une bonne journée d'approche. Lorque je la quitte plusieurs heures plus tard, ses berges me manquent déjà. Elles me guidaient et me réjouissaient. Heureusement, le Ben que je dois gravir maintenant se fait moins difficile que ses congénères des journées précédentes. Il n'a pas plu depuis plusieurs jours. Un vent fort mais non glacial souffle sur les landes. Par moments, le soleil envoie des bouffées de chaleur. L'eau, toujours présente jusqu'au sommet des pentes, est cependant beaucoup moins présente. On s'enfonce moins, des voies d'eau s'assèchent, qu'on peut suivre maintenant. La progression devient moins compliquée. Un sentier s'amorce, il devient une piste. Elle descend vers Invalaël en traversant une forêt de mélèzes et d'épicéas. Ça sent bon la résine et les fleurs de genêts. J'arrive dans une vallée tapissée de prairies verdoyantes. Ici, tous les arbres portent déjà leurs feuilles. 
En installant ma tente, je me dis qu'il faudrait que tous les jours ressemblent à celui-ci. 



J10  le 3 mai.  Shenaval bothy.


  Après une nuit clémente et sèche, je repars par un temps venté mais superbe. Une grimpette s'impose depuis le niveau de la mer jusqu'à 450 mètres d'altitude. Trois heures avec des pentes raides qui me font boire souvent. Je ne suis pas le seul. Au détour d'un virage, je vois devant moi une silhouette accroupie en train de puiser de l'eau. Elle se retourne : LUDO! Ludo était allé jusqu'à Ulapool pour se ravitailler, puis avait rejoint Invalaël en bus afin de reprendre l'itinéraire. Nous avons commencé chacun à marcher à peu près à la même heure ce matin. Ludo est tellement heureux de me retrouver qu'il m'offre un des quatre sandwichs qu'il a achetés à Ulapool. A moins que ce ne soit de la pitié... Nous fêtons donc nos retrouvailles par un pique-nique sous le soleil, inespéré et bienvenu en ce qui me concerne. Les heures suivantes me sembleront beaucoup plus faciles à marcher, d'autant que le terrain continue à s'assècher et que le sentier devient plus facilement visible. Un nouveau Ben à grimper me donne l'impression d'être sur un sentier des Alpes. Ludo me suit dans les parties techniques. Une dernière descente, raide et fatigante, nous mène à Shenaval bothy. La cabane est située entre des parois rocheuses, et un loch, évidemment. Un joli petit torrent coule à proximité. L'intérieur est comme la plupart des autres bothys : rustre et austère. Deux chaises et une table sont notre confort du soir. Ma foi, c'est bien assez. 

J11 & 11 bis  Kinlochwehe, les 4 et 5 mai.

  Kinlochwehe est un village-étape. Je n'aurais jamais cru celui qui m'aurait dit qu'un jour, le propriétaire d'un restaurant fermerait sa porte en m'y laissant dormir. C'est pourtant ce qui s'est produit ce soir. Le patron est parti chez lui, nous laissant seuls, Ludo et moi, avec tout ce qu'il faut. Ayant mangé (enfin!...) une pizza et un crumble, arrosés de bières, il a du se dire que nous n'aurions plus faim. Je lorgne pourtant avec envie sur ses jus de fruits et bacs à glaces. 
Sa proposition, pour le moins généreuse, est venue après avoir observé nos mines déconfites. Nous venions de nous voir refuser l'accès au camping et au seul  "Hostel" accueillant les randonneurs. Tout est complet. Le week-end ensoleillé et la période printanière, à laquelle les midges ne sont pas encore actifs, attire un assez grand nombre de touristes et randonneurs. Nous en avons croisé, venus pour une ou deux journées marcher en montagne. La région comporte également une réserve naturelle. Pour notre part, levés tôt, nous avions marché pendant 11 heures, depuis la cabane de Shenaval jusqu'à Kinlochwehe. Nous avions passé un col entre deux Bens où il n'y avait aucun chemin. Nous avions failli nous y perdre l'un et l'autre, nous étant séparés un moment. Le sentier redescendait ensuite vers le niveau de la mer, ce qui nous avait soulagé des 27 kilomètres de cette étape. Je suis certain qu'une semaine auparavant, avec les sols gorgés d'eau, nous n'aurions pas atteint notre destination. Il faut savoir apprécier les chances qui s'offrent à vous ! 



J12 Sous le Ben Sgùrr Choinnich (999m).

   Nous avons passé une journée de détente efficace hier, Ludo et moi. Après un petit déjeuner pris dans notre "restaurant-accueil-de-nuit", nous nous rendons chez Simon. On nous a indiqué sa maison, où il accueille des voyageurs. Nous y avons lavé nos affaires et nos personnes. Nous avons fait nos courses et avons fini la journée en mangeant des plats cuisinés : haggis pops et beefburger pour ce qui me concerne. 
Ce matin, nous nous sommes quittés, Ludo et moi. A chacun sa route, chacun son destin. Simon a tenu à nous photographier. Il est sensible aux rencontres comme les nôtres. Il se montre fier, avec raison,  devant sa maison posée au milieu des prairies. 

Simon 

  Ma journée de marche est presque reposante. A l'exception d'une forte côte et d'une descente abrupte où je m'accroche aux branches des sapins, je n'ai que des pistes, qui mènent à des pâturages. La dernière s'immisce entre des Bens sombres et impressionnants. Je me demande souvent ce qui va se passer lorsque je les approche. Au pied du Sgùrr Choinnich, auquel la Nature a refusé le dernier de ses 1000 mètres, deux cerfs et deux biches se lèvent de l'endroit où ils se reposaient. Ils sont à une centaine de mètres de moi. Ils s'éloignent lentement. L'un d'eux se retourne pour m'observer. Sa silhouette se détache sur les brumes grises accrochées au massif. Une scène splendide. C'est la fin de journée. Quelques centaines de mètres plus loin, je m'installe pour passer la nuit au pied du Ben. 




J13  Maol Bothy.

  Grasse matinée ! J'attends 8h30 pour me lever. Le temps de gagner 2 ou 3 degrés celsius. J'ai très mal dormi : le bivouac, qui paraissait idéal (bord de ruisseau, surface plane, herbe presque sèche, vue dégagée...), était malheureusement situé au pied de cet énorme Ben, encore couvert de quelques névés. Un piège à froid. Mon duvet a une nouvelle fois atteint ses limites de réchauffement (0°). 
Ça ne m'empêche pas de transpirer au bout d'une demi-heure lorsque je m'attaque aux premières pentes du jour. Suivies de deux heures au milieu des "undistincts paths". Autant dire que dans ces passages là, il vaut mieux regarder où l'on pose ses semelles. Dans la partie descendante, je croise un jeune australien qui ne rêve que d'un hôtel ou d'un magasin. Il n'a plus aucune nourriture sucrée. Je lui donne une barre énergétique car je sais - mais pas lui - qu'il lui reste beaucoup plus à monter sur mauvais terrain que moi à le descendre. Enfin, je peux cavaler pendant quelques kilomètres sur des chemins " normaux ". Un couple de retraités anglais s'est installé au bord d'un petit lac charmant, afin de capter les rayons de soleil réapparu dans l'après-midi. Puisque j'en ai le temps, ils me conseillent de pousser jusqu'à Maol Bothy, "very nice". C'est vrai. Le soleil l'illumine jusqu'à tard dans la soirée. Il vient d'être rénové. Il m'aura tout de même fallu patauger pendant une petite heure au milieu de bogs pour l'atteindre. 


J14  le 8 mai : Morvich.

  Un bon sentier descend de la cabane de Maol jusqu'à un petit lac superbe qui longe le chemin. La pente est assez soutenue pour que les randonneurs que je croise la monte en manifestant une certaine fatigue. L'un d'eux mérite une attention particulière. C'est un anglais qui a un passé de cycliste sportif. Il a 84 ans. Il y a quelques mois, il a fait une première partie du CWT. Il réalise la seconde. Il fera la troisième en septembre, et ainsi de suite, jusqu'au bout. C'est le doyen de tous ceux que j'ai rencontrés. 

Une étude sociologique des aventuriers du CWT serait intéressante à faire. Pour ma part, j'observe : 
- des retraités qui ne veulent pas vieillir. Peu nombreux, mais remarqués.
- des petits groupes de 2 ou 3 copains en mode "défi personnel ". Avaleurs de kilomètres. En général de jeunes hommes. 
- des jeunes femmes seules, en mode "contemplatif".
- quelques baroudeurs autonomes, du genre " je-n'ai-besoin-de-personne ". En général des quadragénaires.
- quelques cas de thérapie individuelle. L'une d'elle (parce que " eux " ne me l'ont pas dit) m'a expliqué que c'était son premier trek. Elle se remettait d'un burn-out, consécutif à deux ans de mauvais traitements dans une grande holding internationale. Elle a choisi ce parcours parce qu'elle savait qu'il était très difficile et l'obligerait à ne plus penser qu'à sa personne physique. Elle a commencé le trek avec 22 kilos et 3 litres d'eau... elle apprend tous les jours. 

  Cette petite digression faite, reprenons notre chemin. Petit croisement, grande surprise. Je suis à 40 mètres d'altitude, selon mon GPS. Je passe un petit pont de bois, un virage, et me retrouve illico en haute montagne ! Le chemin suit une gorge, franchit un verrou rocheux, musarde au flanc des pentes, avec un précipice sur ma gauche. Trois ou quatre passages en escalade de niveau 3 (on pose les deux mains, on s'accroche, on pousse sur les jambes). Il commence à pleuvoir, les rochers dégoulinent, méfiance ! 300 mètres de dénivelé à gravir, en deux bonnes heures. Qui a dit qu'un randonneur moyen gravissait 300 mètres à l'heure ? Pas ici. Ou alors, par très beau temps et sans sac à dos. Je ne regrette pas le retard pris, qui m'empêchera d'aller jusqu'à l'endroit que j'avais imaginé. Car au cours de l'ascension se trouve la cascade de Glomach, célèbre dans tout le Royaume-Uni. L'une des plus grandes, avec plus de 100 mètres de chute. Mais ce qui m'a le plus réjoui, c'est d'y avoir vu un petit troupeau de bêtes qui broutaient l'herbe : des chèvres sauvages. Quel plaisir de les voir pour ma toute première fois ! Avant de venir en Ecosse, je ne savais même pas qu'elles existaient. Mon petit bonheur du jour. 
Il ne reste plus qu'à me détourner légèrement de mon parcours pour rejoindre le village de Morvich. Il s'y trouve un camping, très bien aménagé pour les randonneurs. Ce soir, œufs, raviolis et connexion. 

La cascade de Glomach 


J15  Au milieu des Bens.

  Je ne  décrirai pas mon trajet aujourd'hui. Je crois que vous avez compris qu'on suit des chemins, ou pas, qu'on suit des rivières, ou pas, qu'on monte vers un Ben, ou pas. 
  Je préfère vous parler de ma rencontre, faite ce matin au camping de Morvich. Il a plu hier et cette nuit. Cinq ou six randonneurs,  calfeutrés sous leurs tentes, attendent les dernières gouttes pour sortir de leur abri. Direction sanitaires chauffés et drying-room pour récupérer les affaires qu'on y a mis à sécher. Puis petit déjeuner en plein air, chacun devant son réchaud, sous l'auvent prévu à cet effet. Chacun discute plus ou moins, puis commence à plier et ranger son bazar. Je choisis d'amener mon sac sous l'auvent afin de ne pas le mouiller dans l'herbe. Mon voisin de tente, la cinquantaine, yeux bleus expressifs, un corps que l'on devine puissant, me rejoint. Avec un carton contenant une bonne quantité de sachets de nourriture, qu'il commence à trier et compter. Forcément, à s'observer l'un et l'autre, on comprend que nous sommes tous les deux sur un trek de longue distance. Il en est à la moitié. C'est pour çà qu'il s'est fait livrer de la nourriture ici. Ce qui me paraît invraisemblable, c'est qu'il est parti des alentours de Dunoon, au sud des Highlands, quasiment au même endroit où je voudrais arriver. Il n'a pas choisi ce lieu de départ parce qu'il était sur la Longitude 5°, il n'y avait pas pensé. Mais simplement parce que c'est une des plus longues façons de traverser les Highlands. Il est écossais, il habite Édimbourg. Il sillonne l'Ecosse de long en large. Il publie des guides et récits de voyage. Il s'appelle James Baxter. James est un aventurier. Un vrai. Il me montre sur son smartphone certaines de ses réalisations, un peu partout dans le monde : traversée des Alpes de Vienne (Autriche) jusqu'à Nice (France); remontée de toute la côte des pays scandinaves; ski et descente des principaux sommets scandinaves; cerise sur le gâteau : plus de 60 jours d'une traversée en skis et pulka vers le pôle sud, en Antarctique...
James consulte mon blog, me donne quelques précisions. Je consulte le sien garde précieusement ses liens. Il accepte que je le prenne en photo. Cette rencontre me redonne de l'entrain pour mieux repartir!

James Baxter.

  Ce soir, je suis seul au milieu des Bens. Ma tente est minuscule dans l'immensité d'un passage entre deux vallées. Je suis seul en ces lieux très sauvages. Pourtant, l'union des solitaires existe bel et bien. Elle sert à préserver ces terres et les faire connaître. 



J16  le 10 mai.
Le loch Cluanie et la rivière Loyne.

  Dormir seul au milieu des Bens. Se réveiller tard parce que le sommeil était profond et qu'ici tout est calme. Se lever en constatant qu'une harde de cerfs broute tranquillement à deux cents mètres de vous. Il y a des petits matins dont on sait qu'on en gardera le souvenir. 
Un chemin descend vers le loch Cluanie. Une route borde le lac. On y trouve un restaurant. Bien sûr, on en profite. Un beefburger et un cake aident à remonter les pentes, l'après-midi, sur le versant opposé. Dans mon élan, je m'engage sur un sentier menant directement à un sommet. Je dois en redescendre pour retrouver une voie qui conduit plus loin à la vallée de la rivière Loyne. Cet endroit est si propice au bivouac qu'il s'y trouve déjà trois tentes. Je m'installe ici, auprès des compagnons d'un soir. 

Le loch Cluanie 


J17 Le loch Garry et Invergarry. 

  Le soleil est matinal aujourd'hui. Il me rappelle que l'étape sera longue pour aller jusqu'à Invergarry. 27 kilomètres. Sur la carte, les "chemins invisibles" sont peu nombreux. Les autres sont de larges pistes destinées aux pick-up. Départ, sac sur le dos à 8 heures. Je ne sortirai des 7 premiers kilomètres qu'après 14 heures. A peine plus d'un kilomètres par heure. Une traversée de bogs, une ascension sur un chemin de montagne à 500 mètres d'altitude, un court passage sur route, puis une nouvelle zone de marais. Cette dernière est en fait le début du Loch Garry. Je ne croise qu'une seule personne sur ce secteur, les yeux rivés sur son GPS. Les autres contournent la difficulté en suivant de vrais chemins, plus éloignés. Je ne l'apprendrai que plus tard. A quatorze heures, un gros coup de fatigue m'impose une halte prolongée. Mes recherches et enfoncements des pieds dans l'éponge des mousses et la mouvance de la tourbe m'ont exténué. L'eau est entrée à l'intérieur des chaussures. Mentalement, c'est compliqué. Je fais une croix sur mon objectif initialement prévu. A l'inverse, je profite de cette lenteur pour graver dans ma mémoire le panorama : la rivière Garry alimente le loch du même nom, en l'abreuvant à coups de rapides tumultueux. Lumières blanches sur les vagues, bleu sombre des eaux profondes, vert clair des îles et prairies, bleu ciel entre les nuages. Vert foncé des sapins sur la rive opposée, jaune d'or des genêts fleuris. La rivière s'élargit pour devenir lac, se resserre en nouveaux rapides puis se calme enfin. Ce loch est un des plus beau de mon périple. Je ne l'aurais jamais vu si je n'avais pas pataugé sur ses rives car les autres chemins passent par une forêt. C'est la récompense de mes efforts. 
Et puis, finalement, j'ai tout de même atteint Invergarry le soir. Une piste, sur les vingt kilomètres suivants, avait un profil légèrement descendant. J'ai pu accélérer, en m'hydratant beaucoup sous le soleil. Une heure de marche, cinq minutes de repos. Répétée quatre fois. 
J'arrive enfin au camping d'Invergarry. 
Plus tard, certains croiront que j'y avais disparu. Mais ça, c'est une autre histoire, dont vous n'aurez les détails qu'un peu après...

Le loch Garry 

J18 le 12 mai.  Fin du CWT!

  J'arriverai à Fort William demain matin. Parce que j'ai subi vers 18 heures un déluge qui m'a stoppé à une douzaine de kilomètres du but.
Le hasard (mais en est-ce un?...) m'a fait planter la tente au croisement du canal calédonien avec la Longitude 5°. Donc à l'endroit de la fin de cette première partie de la traversée des Highlands sur le CWT, avant de repartir plus au sud. 

  Un autre hasard m'a rendu euphorique : 
A l'écluse de jonction du Loch Lochy et du Loch Ness : un bateau équipé pour les milieux arctiques. Je le reconnais : Unu Mundo Expédition est en route avec son bateau Northabout pour une nouvelle expédition scientifique et pédagogique au  Svalbard, au Groenland et sur le cercle polaire. J'avais rencontré ses équipiers lors du festival du film d'aventure à La Rochelle (d'ailleurs leur bateau en vient car ils est basé là bas). J'avais discuté avec eux dans le cadre de ma préparation du méridien de Greenwich, pour les questionner à propos de la traversée de la Manche. J'avais beaucoup apprécié leur film et leur esprit. 

 
Heureuse et improbable rencontre! Suivez-les sur leurs réseaux sociaux :

J19 & 19 bis   Fort William. 


  J'ai flâné pour pénètrer dans la ville de Fort William. D'abord le long du canal dont la jonction avec le niveau marin a exigé qu'on construise une échelle de sept écluses. Le "Neptune Staircase ". Puis le long du Loch marin, qui offre une belle perspective sur la ville. Sur le Ben Nevis aussi, même si, comme bien souvent, il ne daigne pas montrer sa tête. Ce soir, je lave tout et je dors dans un lit. Je repenserai à la jolie loutre que j'ai rencontrée ce matin. 


La loutre et moi...

L'homme le plus recherché d'Ecosse!


    Les 13 et 14 mai, la police écossaise a lancé un avis de recherche me concernant. La presse a largement relaté cette nouvelle. 
Bien entendu, je n'étais pas au courant ! Mais que s'est-il donc passé ? !

    Il paraît que je me suis volatilisé lors de mon passage au camping d'Invergarry, le 12 mai au matin. Le 12 mai au soir, j'essuyais (enfin j'essayais...) une sacrée douche écossaise au moment d'installer mon bivouac. Pas trop le temps de m'occuper de ce qui se passait dans mon téléphone... Le 13, j'arrivais à Fort William en constatant que je recevais un nombre incalculable de messages (SMS, appels téléphoniques, WhatsApp,  emails...) me demandant de rappeler des numéros que je ne connaissais pas. Je me suis dit que les hackeurs du Royaume-Uni étaient encore meilleurs que les français... A force, le 14 au matin, j'ai décidé de trouver de l'aide. En l'absence de (vrais) policiers à proximité, je me suis rendu à l'office de Tourisme. Un très grand merci à eux! Car, croyant la même chose que moi dans un premier temps, il se trouva que je reçus un nouvel appel à ce moment là. La préposée de l'office décida alors d'y répondre afin de mettre fin à cette plaisanterie : ce n'en était pas une. 
La police me recherchait effectivement, très inquiète à mon sujet. Quelqu'un avait laissé ses affaires au camping d'Invergarry. Cette personne avait disparu. On supposa très sérieusement que ce fut moi. Puis on se dit que non. Mais comme à mon tour je ne donnais plus signe de vie, on se remit à s'inquiéter de nouveau à mon sujet. D'où l'avis de recherche largement diffusé ! 
Finalement, de vrais policiers vinrent me rencontrer à l'office de Tourisme pour constater mon identité et que j'étais réapparu en bonne santé. Au final, chapeau et merci de s'être aussi bien préoccupé de mon sort!....


J20  Sur le West Highland Way.

  Le West Highland Way part ou arrive, selon le sens dans lequel on le prend, du centre-ville de Fort William. Mais le premier vrai chemin est à plus de trois kilomètres de là. Il démarre du pied du Ben Nevis, entre le centre d'informations et l'entrée du camping. Depuis ce chemin, on a une vue idéale sur la face sud du Ben Nevis. La météo, excellente, fait que j'aperçois tous les détails de son massif. C'est une belle façon de commencer ce tronçon de la WHW, que je suivrai pendant 2 à 3 jours. Le sentier est agréable, sec. L'évidence de son tracé permet aux yeux de profiter du paysage, à gauche, à droite et loin devant. Après deux jours passés à Fort William, j'observe que le printemps est maintenant bien installé, partout et à toutes les hauteurs. Les Bens qui jusque là étaient bruns ou roux, verdissent à vue d'œil. Les fougères sortent de terre, les myrtilliers portent leurs feuilles, les moutons commencent à monter dans les pâturages. Il n'y a plus d'arbres nus et les rhododendrons sauvages commencent à fleurir. Il y en a au-dessus d'un cours d'eau, aux alentours de Kinlochleven: un gros bourg que je traverserai demain matin, à l'heure du petit déjeuner... Ce soir, j'ai l'impression de m'endormir au milieu d'un parc paysager tout fleuri.

Le BEN NEVIS. Vue sur sa face sud.

  J21  En passant par Glencoe.

  Kinlochleven est une mignonne bourgade. Des maisons simples, souvent avec de petits jardins. Le bourg a la chance d'être placée à l'arrivée d'une masse d'eau importante, canalisée dans des conduites forcées. Elles alimentent encore un petit centre industriel, conçu pour la métallurgie de l'aluminium. C'est ce qui rend les lieux vivants. Elle est aussi le point de départ et d'arrivée de la dernière étape du WHW. Ce matin, c'est la cohue à l'heure de pointe des randonneurs : 7h30 - 10h30. Après, ça se calme. Je n'ai jamais dit autant de " Hello! " de toute ma vie, sauf en Espagne, lorsque je croisais les randonneurs sur l'étape de Ronceveaux de l'itinéraire de Compostelle. Mais là, c'était des "Ola!". Pourquoi suis-je toujours seul à faire l'inverse de ce que font les autres ? Dans un sens, une ligne de fourmis, dans l'autre, moi. Je n'ai doublé ni été doublé par personne depuis deux jours. Le sentier est excellent, balisé. C'est reposant de ne pas avoir à se soucier de l'orientation: je peux profiter pleinement du paysage. Après le passage d'un col, je découvre le massif de Glencoe. Sombre et déchiqueté, il impressionne tous ceux qui passent à sa base. Une route y passe, permettant à chacun d'y jeter un œil : cyclistes, automobilistes, motards et marcheurs. Glencoe est un lieu incontournable pour les randonneurs, grimpeurs, alpinistes, skieurs et parapentistes. Je passe par Kings House, un hôtel-bar-restaurant-auberge... puis par le camping, base de départ de courses en montagne. Glencoe est le berceau historique des alpinistes et grimpeurs du Royaume-Uni. 
Une fois le massif contourné, le chemin s'assagit. C'est une voie empierrée, qui serpente joliment. On y voit des collines, des sapins, des rhododendrons. J'arrive au bord de la rivière Orchy. C'est ici que je dormirai. Demain, je quitterai la West Highland Way. 

Vue sur une partie du massif de Glencoe. 

J22 La rivière Orchy et Dallmally.

  Ce matin, je me suis lavé dans la rivière. Puis, je suis allé voir à quoi ressemblait la première étape totalement personnelle, conçue virtuellement sur ma cartographie électronique. Ce premier tronçon est celui qui m'avait donné le plus de mal à concevoir. Il m'oblige à passer dans un dédale de cours d'eau à franchir. Terrain inconnu. Ou passer tout en haut, par les sommets. Les courbes de niveaux me semblent un peu trop rapprochées à mon goût. Je n'ai pas envie de me retrouver à descendre une pente de plus de 50 degrés avec un sac à dos de 15 kilos. J'ai acheté à Fort William une carte détaillée de ce secteur. J'y ai tracé les deux options. Dans un cas comme dans l'autre, j'estime les chances de pouvoir passer à 50 %. Avec la certitude que dans les deux cas, la dizaine de kilomètres problématiques m'obligera à bivouaquer dans un secteur où personne ne va jamais. Théoriquement, je devrais commencer par un bon sentier, qui se perd ensuite dans les alpages. C'est ce " bon chemin " qui me décide paradoxalement à ne pas aller plus loin. Un écriteau m'avertit que je suis dans une zone de velage. Les animaux peuvent se monter agressifs, il est demandé de rebrousser chemin, entre mars et juin. Je finis par distinguer, au loin, ces animaux : de belles grosses Highlands cows, aux cornes impressionnantes. Je n'ai aucune envie de me faire défoncer, puis rechercher à nouveau par la police écossaise... Ces animaux ont résolu mon dilemme : je ne passe pas. 
Retour sur le WHW pour deux ou trois heures supplémentaires. Le temps de faire un détour qui me conduit sur une " single road ". Elle suit la rivière Orchy, qui donne une furieuse envie de s'y baigner et s'allonger sur ses rives. Je la contemple pendant une vingtaine de kilomètres, avant d'arriver à Dalmally. On m'y indique L'église pour installer ma tente, à l'écart de la route qui traverse le village. 

La rivière Orchy. 

J23  Entre Dalmally et Inveraray.

   Pour aller vers Inveraray, pas d'autre choix que de suivre la route, sur une petite moitié de la distance à parcourir. Elle est touristique mais passagère. Les minibus des agences de voyage en particulier semblent l'avoir toutes adoptée. Une des raisons est la présence très photogénique d'un château en ruines (Kilchurn). Des motards en grand nombre (un rallye est organisé pour le week-end), des voitures décapotables; il fait beau, chacun en profite. Les midges aussi ! J'ai vu les premiers avant-hier. Sans trop y prêter attention, car ils ne sont sensés arriver qu'au début de l'été. Mais hier soir et ce matin, ils ont envoyé leurs premières escadrilles à l'attaque de ma tête et mes jambes. Je n'aime décidément pas les températures trop chaudes!
  Cet après-midi, je quitte la route pour m'engager sur une piste agricole qui monte vers des alpages. La conséquence est que je n'atteindrai Inveraray que le lendemain. Elle conduit à une ferme d'élevage de moutons, puis à un barrage hydraulique qui ferme un lac. Cette construction, vue de loin, donne un caractère particulier au paysage. Un peu comme le viaduc de Glenfinan, bien connu des lecteurs d'Harry Potter. Sauf qu'ici, il n'y a personne pour le photographier. Sauf moi. Du barrage, une autre piste descend vers Inveraray. Je la suis un moment, jusqu'à ce que je décide de remplir mes bouteilles d'eau et poser ma tente. 


J24 Inveraray. 

   Je descend la piste qui mène du barrage à Inveraray. Elle passe devant le cimetière où nous avions passé une nuit dans notre fourgon en 2013, avant de visiter le château. Inveraray est une jolie petite ville. Outre son château réputé et son parc, on y trouve un port. Il y a aussi un " Hostel " (hébergement semi-collectif).  Il n'est pourtant que 14 heures. Mais pour 30 pounds, lessive gratuite et café à disposition, il serait stupide de ne pas en profiter !...


J25 Le loch Fyne.

  Le loch Fyne est très très long. Il n'en finit pas de s'amincir pour aller très très loin, vers l'est. Ce qui ne fait pas du tout mes affaires puisque je suis sensé aller vers le sud. J'ai à nouveau interrogé quelques personnes ce matin. Au cas où un bateau aurait l'occasion de traverser le loch... Ah! Un ferry? L'idée semble bien présente et souhaitée ici. Mais il n'y en a pas.
C'est incontournable : je dois contourner le loch. Pas d'autre solution que de suivre la route côté nord, puis côté sud. Le côté nord est un enfer pour piétons. Bas-côtés mal entretenus et des haies qui débordent sur la route. Il faut parfois viser entre deux arbres pour se mettre en protection face à un camion qui vous rasera de très près. Le côté sud est globalement plus tranquille. La route s'écarte davantage du loch. Dans ces endroits là, on trouve des petites voies qui desservent d'agréables cottages. Leurs jardins et terrasses fleuris de rhododendrons sont tournés vers le loch. 
Mais entre temps, à l'extrémité du loch, j'ai craqué. Un " sea-food restaurant " proposait des huîtres élevées ici, et un assortiment de trois façons de déguster des saumons écossais. Un verre de vin blanc pour accompagner. Je fête en ce lundi de Pentecôte mon arrivée anticipée de ce trek écossais. 
Ce soir, je n'ai fait qu'un kilomètre et demi à vol d'oiseau après avoir marché plus de huit heures ! Pour me retrouver juste en face d'Inveraray. De ma tente, je vois s'allumer les lumières dans les maisons. 


J26  Le loch Eck et Benmore Garden.

  Les kilomètres défilent à toute vitesse aujourd'hui. D'abord jusqu'à Strachur, sur cette satanée route qui longe le loch Fyne. Parfois, comme hier, un hameau coincé entre la route et le loch, permet de s'en échapper. A Strachur, opération ravigotage au Tea-room Bay. Breakfast, jus de pomme et cake-carotte succulent. Direction Loch Eck. Celui-ci est l'exact opposé du Loch Fyne. Il s'étend du nord au sud; parfait. Il suit exactement la Longitude 5°; parfait. Une jolie piste suit sa rive ouest; parfait ! C'est celle que m'avait conseillée James Baxter. Il l'a empruntée au début de son périple. C'est un sentier romantique, avec des vues sur le lac. S'ils étaient venus par ici, Alphonse de Lamartine et Jean-Jacques Rousseau s'y seraient sentis comme chez eux. A l'origine, j'avais prévu de passer de l'autre côté du lac, mais de ce côté là, le sentier suit d'un peu trop près une route menant à Dunoon. J'ai bien fait de suivre le conseil qui m'avait été donné. J'arrive en fin d'après-midi à Benmore Garden. Un jardin botanique. Je n'ai pas demandé si je pouvais camper au milieu des collections de rhododendrons et séquoia gigantesques, mais j'ai demandé si on pouvait m'indiquer un lieu sympathique. On m'a répondu qu'on ne pouvait pas camper dans le jardin... Dommage ! Je suis donc ressorti, pour m'installer près du parking, sous d'autres séquoias. Puis, je suis retourné visiter le jardin : des habitants des environs m'ont dit qu'en fin de journée, on pouvait entrer par la sortie pour profiter librement de la dernière heure. 

Benmore Garden 

J27 DUNOON ! 

  De mon dernier bivouac à l'extrémité sud, un peu plus de 30 kilomètres, par des chemins qui cumulent quelques dénivelés. Ça fait beaucoup pour cette étape ultime. La météo s'en mêle : pluies soutenues prévues à partir du milieu d'après-midi.  
Je décide de transformer cette longue étape en deux petites. Et profiter de la ville de Dunoon, qui me permettra de dormir au sec. 
Bien m'en a pris : j'arrive vers 14 heures à Dunoon ; à 15 heures, il se met à pleuvoir.
Demain, je laisserai mon gros sac ici. Je ferai la quinzaine de kilomètres restants léger, avant de revenir clore ce long périple, ici à Dunoon. Définitivement. 

Dunoon

J28 TOWARD...   End!

  Toward est la petite localité située à l'extrémité sud de mon parcours. Le but ultime. Je suis reparti de Dunoon de bon matin à l'heure où il me semblait que la météo serait la plus clémente la moins pire. L'itinéraire consiste à monter aux alentours de 350 mètres d'altitude vers le sud, obliquer vers l'ouest sur les hauteurs puis redescendre en direction du sud-est. Rien de compliqué. D'autant que,  vous vous en doutez, je suis motivé comme pas possible, malgré une certaine fatigue ressentie les deux derniers jours. Je me félicite d'avoir conçu cette partie en ne suivant que des chemins. Ils sont encore meilleurs que je l'imaginais, la plupart du temps empierrés. Le paysage de la dernière partie est belle, tout au long de la descente vers la mer. Je me félicite aussi d'avoir limité les deux dernières journées à une quinzaine de kilomètres à parcourir. Parce qu'aujourd'hui, j'ai droit à un final un peu spécial : vent, pluie et froid. De la pluie sous toutes ses formes: du petit crachin aux giboulées à grosses gouttes, en passant par des bourrasques. Du vent de tous les côtés, en fonction des virages du chemin. Du froid qui m'oblige à mettre les gants lorsque je m'aperçois que je ne sens plus mes doigts. Mais le ciel si gris, si sombre, si tourmenté est si beau à mes yeux... Vous imaginez ma joie d'atteindre cette petite plage située à l'entrée de Toward ! Une joie intérieure, sereine, profonde. La même que celle ressentie lors de mon arrivée au bout du méridien de Greenwich à Almassora, en Espagne, deux ans auparavant. 
J'ai eu envie de la partager. Est-ce un hasard ? La  construction la plus proche de la Longitude écossaise 5° est... une école! J'ai osé. J'ai sonné. J'ai demandé si les enfants savaient ce qu'était un méridien. On m'a dit que non. J'ai demandé si l'équipe enseignante savait que leur école était située exactement sur la Longitude 5°. On m'a dit que non. J'ai expliqué que je m'étais permis de perturber un moment le travail du personnel parce que je pensais que cela pouvait les intéresser. Les enfants aussi. Parce que j'ai enseigné aussi, en France, dans ce genre d'école. La boucle est bouclée ou plutôt, la ligne est finie... 
Au fait, et vous ? Savez-vous où vous habitez ? Si d'aventure un méridien passait près de chez vous, vous pourriez aussi le suivre ! Sur la distance qui vous conviendrait. Dans ce cas, faites-moi signe!...

Toward, point final. 

L'école de Toward. 
 

Puis, une semaine, "PAR MONTS ET PAR MOTS"avec Julien Pillot. 

  Julien est un accompagnateur en montagne professionnel. En ce printemps 2024, il accompagne des randonneurs français en Ecosse, durant une semaine, entre Glasgow et Fort William. Je le connais depuis quelques années. Nous sommes tous deux membres du Club Alpin Français de Touraine, même s'il exerce maintenant au bureau des guides de Murat-le-Quaire, dans le Puy-de-Dôme. Je m'étais promis de le rejoindre à l'issue de mon trek solitaire. 

  Après avoir chevauché ma ligne pendant plus d'un mois, je me laisse laisse maintenant guider derrière lui, de façon joyeuse. Il a savamment choisi des itinéraires et des sommets pour leur beauté et leur intérêt. Une semaine extrêmement agréable et reconstituante, en sa compagnie, ainsi qu'avec Anne, Marie-Christine, et Henri. Nous dînons et dormons  dans des auberges. Nous partons en randonnée à la journée : depuis Corrour, au bord du Loch Ossian, puis depuis Fort William, en fin de semaine. 

  Le Ben Nevis, tout le monde connaît : Julien nous y fait découvrir sa face secrète, en dehors du monde... 
Glenfinnan, beaucoup connaissent : Julien nous y fait découvrir un sommet éloigné des sentiers battus, vue à 360 degrés, 1000 mètres gravis à notre rythme; Julien n'aime pas qu'on s'épuise. 
Corrour, personne ne connaît : Julien nous y guide, observe nos mines ébahies face à la beauté et la sauvagerie des lieux. 
Julien parle, explique, rit, chante. Il prépare les pique-niques, il recueille nos avis. Il s'arrête aux endroits qui lui plaisent pour nous lire une page de Giono, Prévert et autres belles pages consacrant la nature. 
  Cette semaine diffère de celles que j'ai vécues précédemment: alors que je suivais un itinéraire passant essentiellement des cols entre les sommets, nous gravissons de jolis Corbetts (sommets de plus de 2500 pieds) et Munros (sommets de plus de 3000 pieds, soit 914 mètres). Au pied de la face nord du Ben Nevis, nous visualisons le passage de la Longitude 5°.
  Cette fois encore, je suis totalement comblé. Merciii!...

Face nord du Ben Nevis. 

Glenfinnan

Loch Ossian, à Corrour. 

Ascension du Stob Ban.


Le site de Julien : 

https://www.facebook.com/julien.rando.par.monts.et.par.mots


Dédicace spéciale à tous ceux qui me lisent,
qui m'aiment, 
à celle que j'aime...