8.3.24

ECOSSE, Longitude 5°



Longitude 5° : la voie écossaise.


    Lorsque j'ai parcouru le méridien de Greenwich à pied dans sa partie européenne (voir mon récit dans une autre page de ce blog), j'ai constaté que l'idée de suivre une ligne virtuelle était une excellente façon de découvrir un territoire. J'y ai pris par la même occasion un tel plaisir qu'il me fallait absolument revivre les sensations liées à ce genre de périple original. 
    J'ai choisi cette fois-ci de traverser l'Ecosse, du nord au sud. Le hasard semble une nouvelle fois me sourire: le méridien 5° traverse judicieusement l'Ecosse, depuis le Cap Wrath au nord jusqu'au sud, à proximité de la petite ville de Dunoon. Au centre, Fort William, "capitale" touristique, et son célèbre Ben Nevis, sommet principal des Highlands. Fort William est également le point d'arrivée d'un sentier de randonnée mondialement connu: la West Highland Way (WHW), que la plupart des randonneurs suivent en partant de Milngavie, près de Glasgow. On peut prolonger cette voie de Fort William jusqu'au Cap Wrath en parcourant le "Cap Wrath Trail" (CWT); mais ici, pas de balisage et bien souvent pas de chemins. Quelques publications documentent cet itinéraire. Il faut traverser les landes immenses, suivre les lochs, franchir des rivières, gravir les monts; on marche la plupart du temps sur un sol fait d'un mélange d'herbes, d'eau et de tourbe. L'humidité est partout présente, du sol jusqu'au ciel, en passant par tous les pores de votre corps. Mais la nature et ses paysages sont d'une telle beauté que l'envie d'avancer pour en profiter toujours plus entretient une puissante motivation. 
    La partie sud du méridien 5° n'a pour sa part jamais fait l'objet de parcours pédestre référencé. L'idée de créer une variante de la West Highland Way pour achever le parcours intégral de cette nouvelle "Ligne 5" me convient parfaitement...

 Carte interactive à utiliser avec deux doigts sur androïd : 

 Merci encore... à Fabrice D. 


ligne noire :     Longitude 5°
ligne rouge :    Cap Wrath Trail (CWT)
ligne mauve :  West Highland Way (WHW)
ligne verte :     Projet de variante WHW

Avertissement :
Les conditions particulières et diverses liées à ce trek font que je ne pourrai mettre que quelques indications rapides la plupart du temps. Je mettrai en priorité mes points d'arrivée chaque soir (si connexion possible). Vous pouvez cliquer sur chacun de ces points, ce qui vous amènera à une photo du lieu.
Le reste est écrit dans mon petit carnet, les commentaires complets seront repris de temps en temps, au gré des possibilités...

J-1  Dimanche 21 avril.
    Édimbourg. Le temps est humide et nuageux. Une navette mène de l'aéroport à la gare de Wawerley. Elle passe le long du célèbre stade de rugby de Murrayfield puis de la forteresse qui domine la ville. A la gare, le train qui doit m'emmener à Inverness est annulé. Il me reste tout juste 10 minutes pour trouver le bus de remplacement dans une rue que je ne connais pas. Après avoir interrogé brièvement 3 passants et un portier d'hôtel, je le trouve à la dernière minute. Le chauffeur est en train de refuser l'accès à un couple qui me précède parce qu'il ne lui reste qu'une place : elle est pour moi! Lucky! Je balance mon sac dans la soute et monte en essuyant la sueur qui dégouline de mon front. 
Trois heures de route. On passe près de Pearth, puis j'aperçois au loin la silhouette blanche de Blair Castle, visité quelques années plus tôt. Les premiers moutons puis les sommets encore enneigés des Cairngorms. Le bus descend vers Inverness à la tombée du jour. Ce soir, les lumières de la ville et un rayon de soleil se reflètent dans la rivière Ness. Sans doute Nessie y dort-t-elle déjà? Je vais faire comme elle.

J1  23 avril 2024, 16h00 : direction le Cap Wrath, puis droit vers le sud. Ou presque...
La nuit fut très fraîche sous ma tente, dans une ambiance calme au dehors, mais agitée au dedans. Mon esprit et mon corps ont du mal à retrouver rapidement les habitudes et sensations mais aussi la sérénité nécessaire au bivouac en conditions spartiates. Pourtant, tout va bien, à commencer par la qualité de l'eau que je viens de récupérer d'un filet dégoulinant d'une roche moussue. Limpide, malgré la couleur sombre des cours d'eau qui traversent les sols tourbeux. C'est à regret que je la désinfecte avec une pastille javellisée. Plus tard, un écossais me dira qu'il la buvait sans précautions. Il trouvait que l'eau qui servait à fabriquer le whisky écossais était la meilleure du monde. 
Une piste relie le bras de mer de Durness au Cap Wrath. A partir du mois de mai - donc pas aujourd'hui - une navette mène les touristes jusqu'au phare qui domine le cap. Les landes sont ici tellement sauvages et "bien situées" qu'elles attirent quelques randonneurs comme moi mais aussi... des militaires. Dans cette zone, avions et navires de guerre viennent s'entraîner à envoyer bombes et missiles sur des ennemis imaginaires. Pourtant, nulle traces d'explosions ni dégâts. Le côté poétique de mon âme se prend à imaginer l'arrivée d'un missile s'enfonçant en un grand "smush" dans la tourbe écossaise. On devrait obliger nos grands bellicistes et autres terroristes d'état (et d'Etats) à venir se battre ici. Outre qu'il n'y a personne à tuer en ces lieux, peut-être les armes refuseraient-elles d'exploser ? Un pick-up me rattrape et s'arrête à mon niveau. Les deux employés à son bord sillonnent le coin à la recherche de ces éventuelles munitions égarées afin de les faire enlever fissa et laisser la nature intacte. Ils me proposent de m'avancer sur la piste, mais je ne dérogerai pas à mon principe : " my trip is by foot ". Au Cap Wrath, le phare est gardé par deux personnes occupées à des tâches multiples, dont l'une consiste à hydrater les randonneurs et proposer de signer un registre à ceux qui finissent le CWT. Je me contente d'un mot, signalant que pour moi, c'est le début!
Je marche pendant plus de trois heures sur les premiers "vrais" kilomètres du "chemin" qui n'en est pas un. Il faut me fier à la carte et à mon GPS, comprendre la nature du terrain. De simples sillons ressemblant à des chemins ne sont en fait que des voies où l'eau s'écoule. A éviter. Les touffes d'herbe offrent de meilleurs appuis que les creux qui les séparent. Je finis par adopter une méthode de navigation qui, je j'espère, pourrait être efficace : se fier aux couleurs. Poser son pied sur des surfaces trop noires, marrons ou vertes fait prendre le risque d'une glissade ou d'un enfoncement. Restent le jaune des herbes sèches et le blanc des lichens pour garantir une avancée sécurisée. Je regarde donc au loin, à la recherche des taches de bonnes couleurs. En de multiples endroits, le sol est érodé par les pluies diluviennes. Des sillons et dépressions allant de quelques centimètres à plusieurs mètres font apparaître un sol noir, brillant et instable. 
Les couleurs varient aussi dans le ciel : noir et toutes les nuances de gris, bleu, jaune, ocre et rouge flamboyant. Lorsque j'arrive au bord d'une crique qui surplombe la mer et que le soleil envoie ses rayons sur les flots au travers des nuages, je décide de m'arrêter là. Je monte la tente devant une draperie céleste aux couleurs d'or et d'ébène. 


Le Cap Wrath 

J2  24 avril.
Aucun chemin ne parcourt ces landes dans cette région ci. Le programme de la matinée consiste à satisfaire deux exigences :  regarder mes pieds et repérer au loin les points de repères géographiques qui permettent de m'orienter : s'approcher d'une colline sans la gravir, s'éloigner de la côte où un canyon barre le passage, trouver l'endroit le plus étroit d'une rivière pour la franchir, contourner les zones de marais. On ne s'ennuie pas. La récompense vient aux alentours de 14 heures. L'heure du pique-nique (une barre de céréales et une pâte de fruits). Sandwood Bay. Une plage de sable fin et doré à laquelle il ne manque que quelques degrés celsius. Une mer colorée sous un ciel tourmenté, festonnée d'un liseret blanc. Quelques dunes piquetées de oyats forment un cordon derrière lequel s'étend un lac entouré de bruyères. Un cours d'eau se fraye un chemin en sculptant le sable et charriant des galets. J'observe chaque partie de ce paysage depuis le promontoire rocheux où je me trouve, côté nord. Au sud, un autre me fait face, prolongé dans la mer par un menhir naturel, gigantesque. Il me rappelle " The old man " de l'île de Skye. J'apprendrais le lendemain, dans un restaurant de pêcheurs du port de Kinlochbervie, qu'il porte le même nom. Il fait partie des meilleurs spots des grimpeurs écossais. C'est l'un d'entre eux, qui déjeunait à mes côtés, qui me l'a dit en me montrant le topo-guide qu'il était en train de consulter. 
De Sandwood Bay à Kinlochbervie, un bon sentier - Ah! - permet d'avancer sans soucis. Le froid s'abat au coucher du soleil lorsque je plante ma tente. Des averses tombent en même temps que la température. Je me contente de fruits secs et d'une soupe, à plat ventre sous ma tente. Au petit matin, la moitié supérieure du Ben qui surplombe le village est tout blanc. 



J3  Rhiconish river.
Après avoir copieusement déjeuner sur le port de pêche, dévalisé le "London store" grand comme un mouchoir de poche et squatté les WC publics proprets pour y laver mon petit linge, me voici gaillardement reparti par une petite route dont l'avantage est de raccourcir les kilomètres. Pas très longtemps. On se retrouve subitement sur une sente de pêcheurs à la ligne, qui suit la rivière de Rhiconish. Elle s'évanouit, mais pas la rivière qu'on remonte jusqu'à des lochs qui se suivent à la queueleuleu. Une pure merveille, avec des collines de chaque côté. Une vallée ouverte et un ciel aux quatre couleurs. Je vous laisse deviner lesquelles. Une autre rivière, coulant littéralement, se jette dans celle que je suis. Il faut la franchir. Je troque mes chaussures pour des sandales pour la traverser. Deux fois. Une fois pour la tester sans le sac, l'autre pour revenir parce qu'il y a quelques mètres carrés d'herbes sèches dont je voudrais profiter pour installer mon bivouac. Hier, j'ai marché une heure de plus mais ce soir, je veux profiter de la dernière heure de soleil pour "dîner" sans geler et regarder les lumières de fin de journée sur la rivière. 

Rhiconish river 

J4  Le Ben Dreavie. 
  J'ai très bien dormi, bercé par les flots de paroles de la rivière. Je pense qu'elle parlait en gaélique parce que je ne comprenais pas ce qu'elle disait. Ce n'était pas que des murmures mais une conversation avec des voix différentes, certaines graves, les autres plus aiguës. La rivière a toujours quelque chose à raconter. Si je ne comprends pas les secrets qu'elle charrie, j'en retiendrais néanmoins sa mélodie qui fait tellement de bien. J'ai repris mon chemin à la remonter. Elle s'élargit jusqu'à former deux lacs longilignes. J'aurais bien aimé que ça dure tout le temps. Cette vallée était si paisible. 
La seconde partie de journée s'annonce beaucoup plus musclée. L'itinéraire passe par un sommet. Le Ben Dreavie, 510 mètres d'altitude. Une particularité de l'Ecosse est que dès qu'on s'élève, ne serait-ce que de quelques dizaines de mètres, on regarde vers le bas et on voit tout autour, on admire et comprend la complexité du paysage, de son puzzle de lacs et rivières. Lorsqu'on regarde vers le haut, de loin on voit des successions de collines mais on ne discerne pas grand chose de ce qui compose chacune d'elles. Il en est ainsi du Ben Dreavie. Je monte d'abord par un aimable sentier qui disparaît subitement, me laissant seul au milieu des bruyères et tourbières. Des lacs apparaissent au fur et à mesure de la montée, se déversant les uns dans les autres. On contourne les rochers, on évite les trous et les failles, on recherche le sommet. Mais ça ne sert à rien. On ne le voit pas. Sa recherche relève d'une habitude obstinée de montagnard alpin. Ici, on avance en restant parfois aux mêmes altitudes pendant des kilomètres. Le Ben peut s'allonger à l'horizontale en son sommet. Le marcheur n'a qu'à patienter! Du coup, j'ai failli ne pas voir le sommet. Je l'avais passé lorsque je m'en suis rendu compte. Il faut aussi des heures pour redescendre. Mais je n'en ai qu'une avant que le froid me saisisse avec le coucher du soleil. Je bivouaque ce soir à 400 mètres d'altitude derrière le muret d'une cabane ruinée. Le paysage est grandiose, avec un morceau d'arc en ciel en prime. 
Lorsque que je me suis levé dans la nuit, réveillé par les besoins de mon corps, la tente était raidie par le gel.



J5  Glencoul bothy. 
  Trois heures pour descendre depuis mon bivouac jusqu'au niveau de la mer. Au moment du lever, un anglais qui va dans le même sens que moi passe près de ma tente. Le premier depuis mon début de trek. Je le retrouverai le soir au refuge (bothy) de Glencoul.
Les lochs marins s'étendent sur des kilomètres de long. Pas dans le bon sens. D'ouest en est, alors que je vais du nord vers le sud. C'est embêtant lorsqu'on veut descendre en latitude. Du coup, la progression à vol d'oiseau sur la carte n'est pas moribolante. Pour corser le tout, je ramasse ma première véritable douche écossaise, sans eau chaude, trois heures durant. En montée de surcroît. Lorsque la voie redescend enfin vers le bothy si convoité, la première chose à faire est d'enfiler des vêtements secs. Je retrouve l'anglais du matin. Nous discutons d'itinéraires et de nature. Deux jours plus tôt, il a tiré le portrait en gros plan d'un cerf magnifique, ainsi que d'une chèvre sauvage (non, pas un chamois...). Je n'en avais jamais vu.


Glencoul bothy (tout en bas).

J6  Inchnadamph. 
  Une nouvelle rivière me permet de la suivre. Je la trouve un peu moins sympathique que sa cousine Rhiconish car elle se laisse un peu moins approcher. Lorsqu'elle le permet, elle fait la joie des pêcheurs, randonneurs et animaux sauvages. Certains d'entre eux descendent depuis les rochers et abris proéminents. Parfois, ce n'est plus possible. J'y reviens dès que je peux, malgré les indications de mon GPS qui m'envoie un peu trop à mon goût patauger dans les marais. 
On bifurque vers le sud. Changement de cap et nouveau programme : l'ascension des pentes en direction du Ben Bheinn (776 mètres), qu'on passe une centaine de mètres sous le sommet. Montée lente et fastidieuse avec de nombreux arrêts pour deviner où est le chemin, dès que la végétation prend le dessus sur les pierres. Des arrêts aussi pour mettre la cape de pluie, l'enlever, la remettre, l'ôter, mettre les gants, les retirer, consulter le GPS, ne plus s'y fier. Ah, zut ! Je n'aurais pas du !...
Un cerf et deux biches, perchés quelques dizaines de mètres au-dessus de moi, nullement effrayés, observent les bizarreries du comportement humain. Je me sens ridicule. Le sommet est passé après une nouvelle bourrasque de grésil. Il m'épargne cette fois-ci une recherche trop longue. Le sentier s'améliore pour descendre vers Inchnadamph. Le pas s'accélère et le temps s'améliore sur ce versant ci de la montagne. 
Inchnadamph. Quelques maisons, jolies. Une église, une route, un lac et des collines. Une auberge sympathique et bien tenue. Douche, cuisine et repos. Je vais m'y ressourcer et apprécier son confort toute la journée à venir. 


L'église d'Inchnadamph.

J7  








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