Ligne 37 :
Préambule.
Il existe des idées qui ne voient jamais le jour.
Sans doute la mienne fut-elle imaginée par d’autres tourangeaux car le principe
en est simple : rester en permanence le plus loin possible de son domicile
sans jamais quitter le département d’Indre et Loire.
Il n’y avait qu’une seule façon de réaliser ce pari : suivre exactement la limite administrative départementale en se fiant
exclusivement à la carte géographique. Personne n’avait jusqu’à présent suivi
ce tracé de façon exacte sans jamais le quitter des yeux. Sur le terrain
celui-ci suit rarement des routes, parfois des chemins, souvent des cours
d’eau, la plupart du temps des lisières de bois et de champs, des fossés ou des
crêtes. Il arrive aussi que certains aménagements et travaux, comme ceux liés
au remembrement des années soixante aient totalement fait disparaître toutes
traces antérieures. La ligne devient alors virtuelle : le parcours se
poursuit néanmoins en se fiant aux géographes de la première ère républicaine
qui avaient leurs raisons que nos informaticiens actuels ont retranscrites sur
nos cartes informatisées. Ils ont ainsi dessiné le département d’Indre et
Loire, institué en 1790 parmi les 82 qui constituaient la France issue de la
Révolution.
Sa limite géographique reprend presque exactement
les limites de l'ancienne province de Touraine, à laquelle fut ajoutée la
partie orientale de l'ancienne province d’Anjou (de Bourgueil jusqu'à
Château-la-Vallière). La ville de Richelieu fut aussi intégrée au département
d'Indre-et-Loire. En revanche la partie orientale de l'ancienne province de
Touraine fut rattachée aux départements de Loir-et-Cher (région de Montrichard)
et de l'Indre, aux environs de Mézières-en-Brenne et Écueillé.
C’est un privilège de notre époque que de pouvoir
réaliser certaines lubies avec des moyens technologiques modernes. Aussi
n’ai-je eu aucune hésitation à partir de chez moi sans aucun moyen de déplacement
motorisé mais avec une précision d’orientation garantie par l’usage de mes GPS
et téléphone mobile. D’ailleurs, les voyageurs des temps passés
n’emmenaient-ils pas avec eux cartes et boussoles, sextants et
longue-vues ?
Une idée ne vient jamais seule, ni de nulle part.
Celle-ci n’aurait pas pu voir le jour sans une motivation certaine. Réaliser à
l’échelle de mes possibilités physiques ce que d’autres ont pu faire ailleurs
avec des compétences supérieures aux miennes en fut une.
J’en connais qui le font de façon anonyme ; la
réussite suffit à combler leur existence. D’autres sont mieux connus du grand
public : Robert-Louis Stenvenson, Alexandra David-Néel, Théodore Monod,
Jacques Lanzmann, Nicolas Bouvier, qui ont tous marqué leur époque ;
leurs empreintes pédestres demeurent dans leurs écrits. Certains de nos
contemporains aussi : Nicolas Vanier, Sylvain Tesson ou Reinhold Messner
qui a pour sa part privilégié des lignes bien plus verticales… Ils partent
d’une maison à pied ou à vélo pour traverser une région, un pays ou un
continent ; ou font le tour d’une montagne qu’ils gravissent parfois. Ils
voguent d’une mer à l’autre ; les ports deviennent alors les étapes de
leurs voyages. L’histoire regorge de personnages célèbres partis conquérir les territoires
et leurs gloires, la littérature de récits fantastiques depuis la mythologie
grecque jusqu’aux récits de Jules Verne. Chacun n’a qu’à puiser dans son propre
catalogue mental les raisons qui le pousseront à l’action. L’alpiniste qui suit
une frontière sait qu’il passera par des sommets prestigieux. Le pèlerin isolé
en chemin gagnera un réconfort moral au terme de sa marche. Le chemineau
recherchera la chaleur d’un foyer accueillant. Le trekkeur appréciera
l’exotisme des paysages et de peuples.
Les marcheurs ont tous en commun d’attendre des
hommes et des paysages un mieux-être permanent.
Un voyage pédestre se conçoit mentalement bien avant
que les pieds ne foulent le sentier. C’est un acte d’amour dont le désir
ne peut s’assouvir qu’une fois réalisé. La porte de la maison refermée derrière
soi en est sa déclaration; le voyage est le temps des fusions; le
retour celui de l’apaisement du corps et de l’esprit.
J’ai suivi mon tracé au plus près, le plus
exactement possible, dans l’esprit qui anima l’alpiniste Lionel Daudet
lorsqu’il entreprit en 2012 le tour de France en longeant la frontière, pas à
pas, sans aucun moyen motorisé. La comparaison s’arrête là, son défi étant
infiniment plus ardu, de par la longueur du trajet et la complexité des sommets
à gravir ; en Indre et Loire, nous n’en avons aucun !
Le point culminant de la Touraine se situe à Céré La
Ronde, à 186 mètres d’altitude. Par le plus grand des hasards, il se trouve
exactement sur la ligne qui sépare l’Indre et Loire du Loir et Cher. Un
véritable clin d’œil pour nous, membres du Club Alpin Français de Touraine,
qui avons gravi un certain nombres de vrais sommets : en suivant
les contours tourangeaux, nous passons aussi par le point le plus haut du
département !
Les contours départementaux sont définis par les
parties limitrophes des communes à celles des autres départements ;
communes et départements sont intimement liés. Les premières sont l’unité de
base de nos vies, en tant que citoyen ; les seconds renforcent les moyens
financiers et structuraux de chaque commune. S’il est un lieu où la démocratie
s’exerce encore à peu près correctement, c’est bien celui de la commune :
chacun d’entre nous connaît de près ou de loin son maire ou l’un de ses
conseillers. Chacun peut se rendre à la mairie de son village, se renseigner ou
intervenir ; plus simplement, chacun peut en quelques heures se promener
autour du village, rencontrer les voisins et amis. Ce lien direct, ces
rencontres possibles, réalisables en une seule journée, deviennent beaucoup
plus compliqués lorsqu’on passe à l’échelle du canton, du département, de la
France…
On nous parle aujourd’hui
«d’intercommunalités», de territoires indéfinis, de «mégapoles»
gigantesques, de régions sans identité. Le citoyen que je suis s’inquiète de sa
place dans ce nouvel environnement et de la réalité de sa liberté d’expression.
Il s’inquiète de la diminution des compétences dévolues aux
conseils municipaux, de la concentration des pouvoirs entre les mains de
quelques uns, de la diminution programmée du nombre de communes. Aujourd’hui,
des « responsables » politiques d’origines très diverses
entreprennent d’effacer le modèle républicain de l’organisation territoriale
issue de la révolution française ; ce faisant, ils effacent aussi la
démocratie de proximité, ils effacent les possibilités de peser sur les choix
et décisions, ils effacent les nombreux personnels qui font vivre les services
publics. Ils font croire que la nécessité d’adapter les communes et leurs
équipements à notre siècle doit s’accompagner de la destruction du passé et du
travail accompli au sein d’un maillage géographique et politique qui avait
pourtant fait ses preuves.
Les communes et leur démocratie locale sont en
danger : leurs compétences ainsi que celles des départements sont remises
en cause par le développement des métropoles. La représentation politique des
communes ne pèsera bientôt plus grand chose au sein de ces buracropoles.
La République se dilue jour après jour au profit de pouvoirs politiques et
financiers concentrés entre les mains de quelques barons, lobbies et
groupements d’actionnaires. Tout cela au nom de supposées «réformes»
nécessaires… à quelques uns.
Trouver le chemin qui délimite les communes d’Indre
et Loire, c’est une façon de s’opposer à cela, une manière de marquer notre
présence pour empêcher l’effacement des 277 communes qui constituent l’identité
départementale.
« Tracer la
ligne » ce n’est pas délimiter une frontière, ainsi que le firent certains
qui érigèrent de honteuses murailles, à Berlin, Jérusalem et maintenant
ailleurs. Et puisque nous sommes en Touraine, j’ai pensé aussi aux années
funestes de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle une autre ligne
fut tracée sur le sol tourangeau : la « ligne de démarcation »
qui coupa en deux notre département et la France entière. Certaines lignes
enferment mortellement.
A l’inverse les voies de communication rallient les
habitants d’un même territoire, permettent les échanges entre voisins et
laissent la possibilité d’aller encore plus loin.
« Tracer la ligne »
c’est faire vivre l’espoir que tout citoyen du monde peut un jour circuler
selon ses besoins ou par nécessité de fuir sa terre ravagée par les barbaries
qui sévissent ici où là. C’est combattre l’idée que les murs et barbelés sont
utiles aux humains.
Les empreintes laissées sur le sol marquent une
volonté d’agir, parler, marcher, circuler, « vivre et travailler au
pays », mais aussi voyager. Il faut expliquer aux personnes rencontrées
les raisons de la voie, demander parfois la direction à prendre ou chercher les
personnes compétentes à autoriser un passage, lever un obstacle, traverser un
cours d’eau…
J’ai trouvé les lieux de bivouacs et dans quelques
rares cas d’hébergements au fur et à mesure de ma progression. J’avais prévu
que lorsque je serais obligé de quitter la ligne pour me
ravitailler, je la reprendrais exactement là où je l’avais laissée. En fait mes
proches et amis, informés de ma progression par les messages que je leur
envoyais, sont régulièrement venus me rencontrer pour une heure ou plus,
m’apportant vivres et encouragements. Qu’ils en soient ici remerciés !
Ainsi, durant ces trois semaines, je n’ai jamais
quitté ma ligne.
La Nouvelle République, 21 mai 2016
|
« …Ces trois dernières semaines les
badauds ont pu croiser sur les routes de Touraine un randonneur qui ressemble
à tous les autres mais qui a la particularité de suivre un chemin bien
singulier: parcourir les limites du département sans s'en éloigner de plus de
300 m.
François Remodeau est parti de Candes la
dernière semaine d'avril en direction du nord-est, dans le sens des aiguilles
d'une montre, en suivant grâce à son GPS et à ses cartes la frontière de
l'Indre-et-Loire. Bivouaquant de ci de là sous la tente, étant parfois
hébergé par l'habitant, il s'est efforcé de marquer de son pas le pourtour de
la Touraine. Quand un cours d'eau lui faisait obstacle un ami venait l'aider
avec son canoë. Quand une autoroute lui barrait le chemin il la contournait
pour revenir à moins de 300 m de son point de départ.
Mercredi 11 mai il se trouvait au
sud-ouest de notre région, aux confins de la Touraine et du Poitou, en limite
d'Antogny-le-Tillac et de Dangé-Saint-Romain. Il partait pour
Marigny-Marmande, sac sur le dos, un peu trempé, il avait bon espoir de
revenir à son point de départ pour la Pentecôte. » |
Les étapes journalières :
la ligne en images :
Notes de
bivouac
Prologue :
Tours à Candes-Saint-Martin
Vendredi 22 avril 2016 ;10h30 : une petite
remorque est attelée à mon vélo près de ma maison. J’y dépose mon sac à dos.
Bisous à Manick :
- «Tout va bien, ça ira » - Bisou – « … oui on
se téléphone, OK… » - Bisou – « A bientôt ! ».
Bisous.
10h35 : « - Bonjour Catherine, je viens
pour la clé de ta maison à Candes… Super merci, on se retrouve là-bas… Le
départ ? Oui, c’est demain matin, à Candes, sur la rive gauche de la
Loire… »
11H : à Tours, devant le siège du Conseil
Départemental.
« -
Bonjour Fabrice, non non, pas de retard, juste le quart d’heure tourangeau… Une
photo ? D’accord, avec la façade du bâtiment en arrière, oui c’est pour le
symbole : l’Indre & Loire, le département, les communes etc. … C’est bon, c’est dans la boîte, à
bientôt, tu me rejoins quand tu veux ! »

11H15 : Je roule à vélo, ma remorque tractée
derrière moi pour rejoindre Candes-Saint-Martin depuis Tours : 63
kilomètres en suivant la piste de « La Loire à vélo ». Je
dépasse l’Hôtel de Ville, l’avenue de Grammont, célèbre pour son arrivée au
sprint du Paris -Tours… moi je
la prends dans l’autre sens au ralenti, en écoutant les bruits de la ville pour
mieux apprécier le silence qui m’attend.
La voie passe par Savonnières au bord du Cher… Oui,
vous avez bien lu, c’est normal : le Cher et la Loire sont dans le même
lit, et même parfois ils en sortent un peu tous les deux, mais pas souvent les
coquins, heureusement.
Un champ de colza tout jaune se détache sous un ciel
noir. Photo. Vélo.
La Chapelle-aux-Naux : un souvenir me revient
d’une certaine fesse meurtrie lors d’une chute à vélo, deux ans auparavant…
Bréhémont : des bateaux sont sagement accostés
sur la Loire. Je croise un geai, un héron, et une voyageuse avec une mule qui
porte ses bagages. Une buse taquine un mulot entre deux touffes d’herbe ;
pas sûr qu’il apprécie le traitement…
Langeais :
un sandwich pris sous la pluie ; un café… la pluie s’arrête ; ça
repart !
Rigny-Ussé : un coup d’œil au château de la Belle
au Bois Dormant ; un autre à la chouette perchée sur un
piquet qui somnole elle aussi.
Savigny en Véron : le gosier sec, c’est un
comble au pays de Grandgousier. Je n’ose demander un verre de rouge.
« - …de l’eau SVP ? ».
Une dame m’ouvre un robinet : ça coule, et ça
roule …
Candes-Saint-Martin : les bateliers de Loire
travaillent sur le quai. J’approche du bateau l’Amarante :
«- …Non, non, on ne pourra pas vous faire
traverser, nous sommes en travaux, pas prêts, manque de temps… ».
Je file un peu plus loin vers une jolie petite toue
cabanée, La Fauvette.
« -…Une traversée pour demain ? D’accord
pour 10h30 ? C’est parfait ! »
Pour l’instant, tout se présente bien.
17H30 : j’arrive à la maison de l’amie
Catherine & Co… Je sors les clés, relis ses consignes, ouvre l’eau,
l’électricité… Le vélo est rangé, la remorque pliée, le sac préparé, le GPS
testé. Je suis fin prêt pour le vrai départ, demain.
Il me reste assez de temps pour une petite promenade
en soirée au bord du fleuve.
Manger ; coucher ; duvet…
Rêver !
Première étape : Candes-Saint-Martin à Saint-Nicolas-de-Bourgueil
L’amie Catherine arrive à l’heure du petit déjeuner.
Nous discutons de l’histoire de sa maison et de celles des habitants du
village, tournées vers le fleuve…
Nous interrompons la discussion : c’est l’heure
de rejoindre la correspondante locale du « Courrier de l’Ouest »,
avertie de ma présence par la mairie de Candes. Elle veut rédiger un bel
article dédié à la défense des communes ; mon périple à venir en sera le
prétexte.
10H30 : La Fauvette arrive et accoste
sur la rive gauche de La Loire. Juste en face de la borne départementale
qui sépare les communes de Candes et de Montsoreau. Le capitaine J.P. Delmas
prend son rôle très au sérieux, naviguant avec attention sur le fleuve aux eaux
fortes. Sa toue progresse lentement. Il navigue au mètre près, suivant
scrupuleusement la trace dessinée par mon GPS. Le temps est maussade l’eau est
grise, mais les cœurs joyeux !
11H : Borne 0 à Chouzé sur Loire
sur la rive droite. Elle semble avoir été gravée à mon intention, je n’en
reviens pas ! Je mets beaucoup de temps avant de faire mes premiers
pas : vérifier le réglage de mon sac, le positionnement de ma pipette
d’eau, le serrage de mes lacets, le choix de l’échelle sur la carte du GPS… En
fait, j’évacue le stress et mes doutes concernant la réussite de mon
pari ! Au loin, La Fauvette a déjà regagné l’autre rive.
11H30 :
Une demi-heure ! C’est le temps qu’il a fallu pour franchir mes 500
premiers mètres avec l’aide d’un jeune ouvrier qui restaurait un mur. Il m’indique
la voie : une barrière à franchir près d’une maison ruinée et d’un terrain
en jachère rempli de broussailles. Je passe. En marche ! Des chemins et
petites routes se succèdent. Je marche ! je découvre aussi mes premières
orties. Aïe !
14H : Coincé. Je n’arrive pas à trouver la
façon de passer l’autoroute A 85. Deux troupeaux de bovins gardent
les lieux. L’un me charge frontalement : 25 vaches et taureaux bien
alignés me foncent dessus en meuglant et sautillant. Je repasse les barbelés à
l’envers bien plus vite que voulu… Un premier fourré attend depuis des lustres
qu’on vienne le tailler. Je sors ma serpette fétiche, rapportée du village d’un
ami népalais. Son tranchant me permet de pratiquer le passage désiré. De
l’autre côté, des prairies spongieuses : je progresse dans les varennes du
fleuve qui s’étendent jusqu’au bord de l’autoroute. Des canaux et
ruisseaux s’entremêlent. Les rivières de l’Authion et du Changeon
se donnent aussi rendez-vous en ces lieux. De la vase épaisse garnit leurs
fonds : les difficultés s’accumulent en même temps que les matières
charriées par la nature. Il s’avère impossible de passer sous l’autoroute au
même endroit que la rivière. J’entreprends un très long détournement par le
pont « le plus proche » avant de revenir juste en face du point
délaissé de l’autre côté de l’autoroute…
17H : Ouf ! J’ai mis trois heures pour
avancer d’un kilomètre sur la carte mais bien plus sur mes jambes…
Je remonte les coteaux de Saint-Nicolas de Bourgueil
au travers des vignes orientées vers les crêtes. Tout en haut m’attend un joli
petit passage très étroit, caché dans la verdure, qu’il faut traverser en
équilibre entre deux carrières taillées dans le tuffeau, en contrebas.
Un joli bois m’attend, clair et silencieux. Une
biche m’y accueille et repart tranquillement. Le soir arrive, la lumière
décline dans les sous-bois. Le propriétaire d’une maison isolée, récemment cambriolée, me conseille de ne pas utiliser
ses dépendances, surveillées la nuit par la gendarmerie… il m’indique la
direction du camping des « Loges ». Un lieu glauque, en
travaux, délabré. J’y découvre néanmoins, par une chance légèrement provoquée,
une cabane au confort relatif : de l’eau, de l’électricité…
gratuité ! Stop !
Pieds fatigués, trempés, soignés ; fesses
mouillées et irritées ; doigts gelés…
Repos, réchaud, dodo !
Seconde étape : Saint-Nicolas-de-Bourgueil (les Loges) à Lublé
Le soleil brille ce matin. Je teste mon petit
déjeuner - type : lait déshydraté, café soluble, graines… Miam !
Mes pieds ont déjà besoin de soins, je leur consacre le temps nécessaire.
D’emblée la forêt de Bourgueil. Le GPS m’envoie
directement dans la maison des petits cochons : au milieu des taillis de
ronces et ajoncs… Argh ! Premier contournement. Ouf !
Un chemin ; ça trace sur ma trace, les sentiers sont superbes.
Après la sortie de forêt j’évolue au milieu de
parcelles agricoles avant d’approcher de l’étang de Saint- Philibert,
qui ne m’aime pas : il m’impose un tour pour rien et me fait rencontrer un
pêcheur qui me dit de repartir à l’opposé… « Merci Monsieur, au
revoir… ». Têtu, je reviens discrètement cinq minutes plus tard afin
de contourner l’étang par les roseaux, marais, fougères, ronces… Aïe !
ça passe, et un chemin plus loin… Bingo ! J’active le turbo…
Une
pluie fine s’installe qui s’insinue partout entre les vêtements. Mes pieds sont
déjà trempés… Quelques orteils s’échauffent sur les chaussettes mouillées. Je
pénètre dans un bois exploité par des bûcherons. Une cabane providentielle
m’offre un abri pour me nourrir et réparer le moteur gauche. Une heure après,
le soleil veut bien reparaître. je
repars illico.
Etang de Rillé : deux pêcheurs sont
installés au meilleur endroit, avec un bateau SVP, juste au passage de ma
ligne. C’est trop beau ! Effectivement… leurs lignes sont bien
plus importantes que la mienne ! J’aurais dû me déguiser en brochet, ma
personne vaut pas le coup de mettre le bateau à l’eau, de monter le moteur,
même si je n’en veux pas du moteur, les rames me suffisent…
« -
Ah ! mais non, vous pourriez dériver, que sais-je ? couler,
hein ! et qui irait le ramener le bateau, hein ? Et puis le tour à
pied, c’est pas si loin ! »
Bon, tchao ! Je ne dis pas merci, et ne
leur souhaite pas une bonne pêche...
Après une bonne heure de détours passée à longer une
clôture de 2,50m qui ne voulait pas se laisser grimper puis à crapahuter au
milieu de taillis bien serrés, me voici à quatre pattes sous un fourré où je me
suis faufilé pour ressortir sur une petite route… en compagnie d’un renard,
bien surpris de voir un compagnon quadrupède qui ne lui ressemble pas. Il m’a
semblé qu’il me souriait ! Etait-ce pour se moquer ?
Je reviens sur la rive opposée du lac, à moins de
300 mètres en face des compères qui avalent leurs bières à défaut de friture.
Cette bataille est gagnée, mais j’y ai laissé quelques forces.
Un menhir planté au milieu d’un champ semble
délimiter les deux départements. Sur les chemins qui se succèdent ma
démarche se fait lancinante. J’ai soif, mes bouteilles sont vides depuis un bon
moment. La fatigue s’installe. Enfin, au croisement d’une petite route, un
bruit de moteur m’attire vers le garage d’un passionné de mécanique qui
restaure une voiture de collection. Il m’offre le liquide convoité ; nous
repartons chacun vers nos activités préférées.
Je traverse un désert tout vert en suivant des
champs de céréales. Ma journée de marche s’allonge. Enfin un bosquet…
Ce soir c’est bivouac, hamac ; dans le sac.
Clac !
Une biche, trois chevreuils, des geais, des coucous
en l’air, des coucous par terre, des poissons pas sympas, un renard très
souriant.
Troisième étape : Lublé à
Villiers-au-Bouin
Brrr… c’est la nuit ; malgré ce bivouac idyllique sous
les étoiles je tremble, je grelotte, je regrette mon duvet d’hiver laissé à la
maison. Le temps passe sans sommeil, je l’occupe à dresser un inventaire
céleste : lever de lune, satellites filant dans le ciel, avions qui
clignotent, hululements des chouettes... J’imite mon chat qui dort en boule,
j’utilise mon haleine pour réchauffer les parties de mon corps que ma bouche
peut atteindre.
Le jour pointe. Je me lève dès que
possible : il fait moins froid debout que couché. Je retire les gants pour
préparer le petit déjeuner ; l’onglée saisit mes doigts aussitôt. L’eau
qui bouillonne sur le réchaud permet de me réchauffer. Il me faut encore
prendre une bonne demi-heure pour nettoyer mes orteils, les soigner, les
emballer, les chouchouter. Départ.
Du bon chemin, le moral est en
hausse. Du moins bon, on continue. Des lisières de bois et de champs, des
doubles rangées de barbelés , des fils électrifiés, des culs de sac… ça
coince. Je vire à gauche : des taillis, fourrés, ajoncs, des bauges de
sangliers, des arbres tombés au sol. La retraite s’impose, le moral est en
baisse. Une heure pour revenir en arrière, contourner par une petite route,
reprendre mes repères avec le GPS pour respecter mon écart maximum de 300
mètres. Ça repart.
« - …Monsieur ! de l’eau SVP ? »
Ma consommation de 1,5 litres en
12 heures (réhydratation des aliments comprise) va pouvoir augmenter… Le
bonheur tient à peu de chose.
« - Madame, je peux passer chez
vous ?
-
Pour
aller où !?
-
Suivre
la limite départementale…
-
Ah !
mais vous n’y êtes pas !
-
… ?
(
je regarde mon GPS )
-
C’est
le fossé là-bas ! (10 mètres en arrière…) Vous le suivez…
-
Et
après ?
-
Après ?
Ben dame, j’sais pas où il va vous mener !…
-
…
Merci… Je verrai bien. »
Deux prunelles sont encore
plantées entre mes omoplates lorsque je pénètre dans les hautes herbes qui
bordent le fossé. Puis un coteau boisé, bien raide à gravir. Tout en haut, le
paysage s’ouvre sur des champs, un tracteur, et un fermier étonné de me voir
sortir là. Il m’accueille avec bienveillance, mais pour m’orienter… mais dans
l’autre sens.
- « Ah ! mais non,
je vais vers le nord, moi !…
- Vers le nord ? mais
il n’y a rien par là… »
Je poursuis (vers le nord) :
des champs, des champs, des champs. Enfin une route, celle de Baugé. Ici, je
connais. Mon pas s’accélère le long des chemins en sous-bois avant d’arriver à
un point symbolique : un panneau indique la limite de l’Anjou et de la
Touraine, le point de rencontre de trois départements d’Indre &
Loire, du Maine et Loir et de la Sarthe. J’opère un virement de bord pour
mettre le cap à l’Est. C’est un événement !
Le bonheur continue par de grandes
pistes bien balisées. C’est super ! Mais pas très longtemps… La nature
reprend ses droits ; tant pis ! Des ampoules reviennent me titiller.
Stop ! Soins des pieds.
Un forestier rapplique, méfiant…
- « N’ayez
crainte !… » (il voit mes pieds et semble rassuré : je
ne dois pas présenter grand danger…)
- Z’allez où ? »
- …
- Oh ! Mais c’est pas
possible ! Z’allez tourner en rond, vous perdre, c’est clos partout…
- Ah ! D’accord
monsieur… Oui le bourg c’est par là… C’est mieux par la route… Je risque moins
de me perdre, c’est sûr…
- C’est ça , c’est par là.
- Ah! Au fait, j’arrive de
Candes, jusqu’à présent je ne me suis pas trop mal débrouillé…
- Oh ! Put… !
- … NON mais ! » ( en mon
for intérieur… ).
Il s’en va. Je poursuis par les
bois, bien sûr. Les chemins sont faciles. Je dois tout de même rechercher un
passage pour franchir une clôture. Dès la sortie des bois je retrouve des
champs, des champs, des champs partout. Peu de fermes. D’ailleurs, en est-ce
vraiment ? Dans l’une d’elle, j’appelle… Personne. J’arrive près d’une
autre. En ruine.
19 heures… Il faut s’arrêter.
Je trouve une vieille étable à
moitié écroulée. Ce sera mon bivouac. Je suspends mon hamac aux deux poutres
encore en place. Le vent du soir forcit et s’engouffre par les ouvertures
dépourvues d’huisseries. La nuit s’annonce bien froide.
Deux lièvres, un lapin, un faisan, 9
chevreuils ! Un renard, deux buses, des jacinthes, des orchidées et ma
première hirondelle porte-bonheur.
Quatrième étape :
Villiers-au-Bouin à
Saint-Aubin-le-Dépeint
Pourtant elle était bien, cette
étable ruinée. Mais ce matin, le gel me
réveille. Une fois de plus. J’ai l’impression d’avoir dormi par tranches d’un
quart d’heure. Une fois levé, mon corps se réchauffe. Mais pas les
doigts dont j’ai besoin pour installer le réchaud. Je pisse en grelottant,
c’est pas facile ! Je me dis que la nuit prochaine, forcément, ça ira
mieux. Pas besoin d’un autre duvet... C’est parfois mon côté un peu têtu qui me
permet d’avancer !
Je retourne sur le chemin.
Quelques centaines de mètres plus loin apparaît une ferme d’où émanent les
bruits du travail matinal. Pour moi c’est un espoir de ravitaillement en
eau possible.
- « J’ai pas l’habitude de faire entrer
quelqu’un chez moi… » me dit l’exploitante. Ce qui ne l’empêche pas de me
préparer un café…Je l’apprécie d’autant plus! Dehors, son mari et son fils
réparent le moteur d’un tracteur.
Cette étape sera-t-elle
facile ? Je l’espère, en pensant à l’énergie déjà dépensée au cours des
deux nuits précédentes. En fait, ce sera l’une des plus difficiles de mon
périple : dix heures de détours et recherches diverses m’attendent.
Je commence par livrer une
véritable bataille dans la carrière de Villiers-aux-Bouins pour franchir les
pistes entre les camions, me frayer un passage dans les buissons, contourner
les fossés et le cours d’eau, éviter les enclos…La gigantesque
cimenterie me fait maintenant face. Je la contourne par la gauche,
retourne en arrière, repart sur la droite, reviens par derrière… Enfin je
retrouve ma
ligne, mais au beau milieu de champs de blé. Le Verdésert me
submerge à nouveau. Je navigue au milieu des ondulations végétales en essayant
de suivre les sillons tracés dans cet océan de verdure. Les couleurs changent,
la mer devient jaune, de suaves odeurs imprègnent mon corps, une poudre
jaunâtre recouvre mes chaussures, mon pantalon, ma veste et ma casquette. On
ressort des étendues fleuries de colza sans aucun rire (même jaune) avec une
indigestion qui vous fait promettre de ne plus jamais acheter d’huile de colza.
Brèches : une commune
déserte, elle aussi. Une boulangerie ? Nada. Un bistrot ? Nada. Je me contente d’un grignotage à
l’abri du vieux lavoir.
Puis c’est la forêt, sauvage. Je
livre ma troisième bataille du jour, au milieu de fourrés que je dois éclaircir
à l’aide de ma serpette.
Enfin des vergers, dont je devine
qu’il vaut mieux faire le tour. Je m’en écarte régulièrement, veillant aux
ruches installées au bout des rangs. Gare aux abeilles, gardiennes des lieux
qui profitent des premiers rayons printaniers pour polléniser les pommiers.
Des nuages gigantesques me
rattrapent par derrière et m’envoient quelques saucées bien gelées.
Au loin se profilent Les maisons
de Saint-Aubin-Le-Dépeint. Je débouche sur une petite route. Mais il est bien
trop tard pour chercher un lieu de bivouac convenable. Une voiture me dépasse,
le chauffeur m’interroge des yeux par sa vitre entrouverte ; j’opine de la
tête. Il s’arrête. Certaines situations n’ont pas besoin d’être longuement
expliquées. Il décide de m’emmener chez sa sœur Liliane qui m’accueille dans
son garage tout confort : électricité, eau, soupe et dessert ! Cette
nuit, mon corps et mon cœur se réchauffent tandis qu’au dehors les braseros
allumés au pied des arbres tentent inutilement de sauver la fructification des
vergers victimes du gel.
Je consulte mon téléphone et ses
messages : Yeah !
Demain j’aurai de la visite.
Cinquième étape :
Saint-Aubin-le-Dépeint à Epeigné
Un réveil sous le signe de la
convivialité. Liliane me fait monter à l’étage où elle a préparé un petit
déjeuner. Son sens de l’accueil est remarquable et je ne sais comment la
remercier.
Le chemin est sage ce matin. Il ne
m’oppose qu’un bref combat avec un jeune roncier. Je déboule sur la D72,
pressé : aujourd’hui Manick vient me retrouver à mi-chemin avec les amis
Pierre, Béa et Jacques. Je devine de très loin une voiture encadrée par deux
silhouettes… Ohé !
Manick et Béa sont là. Bisous et ravito, café et gâteaux, fruits et coca, rires
et blablas !
Je repars tout joyeux. Jacques et
Pierre me retrouvent un peu plus tard : ils m’attendent de pied ferme à
l’heure du pique-nique. Aujourd’hui c’est bombance et assistance :
aide téléphonique pour m’aider à franchir l’autoroute A28, essai de
nouvelles chaussures, ( je finirai d’en user trois paires au bout du compte ),
dépannage du cordon de téléphone, remplacement d’une carte GPS…
Nous repartons tous les trois en
direction de Villebourg. Un bon chemin, puis un passage rock&roll pour
traverser le Long, que nous
franchissons juchés sur des branches préalablement taillées avec ma serpette…
ça leur donne un aperçu de mes tâches quotidiennes !
Un grand « au revoir » à
Villebourg où ils reprennent leur voiture. Epeigné s’annonce sur ma carte.
Est-ce le fait de me retrouver seul qui me rendent les petites routes si
monotones ? Un chien décide de m’accompagner en aboyant pendant plus de
dix minutes. Ça énerve… je prends sur moi pour ne pas hurler à mon tour !
Des gouttes, des gouttes, j’accélère.
Il pleut. Ça mouille et ça chauffe dans
les chaussures… je n’aurais pas du forcer l’allure : deux nouvelles
ampoules titillent mes orteils. Et encore une heure sans voir la moindre
bicoque…
Enfin un petit chemin m’éloigne
du Verdésert et
descend en direction d’une ferme. Son vaste hangar me permettrait de passer la
nuit au sec. Je frappe à la porte . Monsieur Chollet, 78 ans, ancien
restaurateur devenu éleveur de bovins à l’heure de sa retraite (si !) me
refuse d’une façon espiègle l’usage de ses dépendances pour mieux m’accueillir
à sa table et coucher dans sa maison ! Une discussion animée s’engage autour de
l’apéro, puis d’une soupe thaï, d’une blanquette de veau, d’un fromage blanc et
d’une bouteille de Bordeaux. En quelques heures le monde change, nos familles
et amis se croisent virtuellement. Nous évoquons la géographie, l’histoire,
l’éducation, nous révolutionnons ou restaurons tour à tour la politique, les
codes sociaux, l’agriculture, l’élevage et le patrimoine rural ! La soirée
s’avance, mais il faut penser au lendemain et profiter du repos de la nuit.
Monsieur Chollet ouvre la porte d’une chambre, que j’occupe aussitôt sans avoir
bien compris si c’était la sienne, ou celle de sa fille, ou d’une amie, ou
finalement celle de son chat et de son chien venus dormir avec moi.
« - Bonne nuit et à demain. Sept heures, ça
va ? »
Sixième étape : Epeigné à Les
Hermites
7 heures : je me contorsionne
au bord du lit pour soigner mes orteils et les remballer le plus proprement
possible. Je sens mon hôte s’agiter de l’autre côté de la porte et comprends
qu’il ne faut pas traîner. Un petit déjeuner vite fait bien fait dans la bonne
humeur et hop ! A 8 heures tout le monde dehors. A 78 ans, Monsieur
Chollet tient une jolie forme. Au revoir et « Bonne continuation » !
Ce matin le paysage a totalement
changé. Finies les longues successions de champs de blés, colzas, blés et
colzas. Le joli vallon de La Forge réjouit mon esprit. Je ne serais pas surpris d’y croiser
Jean-Jacques Rousseau écrivant ses impressions matinales sur un petit carnet.
Le chemin mène au point de jonction des trois départements de l’Indre et Loire,
de la Sarthe et du Loir et Cher. Nous sommes entre les communes d’Epeigné et
Villedieu, la nature est riante, peuplée de biches et chevreuils. J’avance au
creux d’une magnifique succession de vallons au milieu des prairies et petits
bois de feuillus où l’on peut circuler aisément. Les pieds foulent maintenant
les terres de la commune des Hermites. Les bois y prennent un air de petit
paradis. Il me semble que cette étape est dédiée à la solitude et la quiétude.
Seul dans les champs, seul dans les bois, mon corps bercé par mes pas profite
pleinement des odeurs de l’humus et des lueurs fugitives des sous-bois. Les
fermes se font rares. Alors, je prends tout mon temps lorsque j’en aperçois
une. A l’entrée d’une petite exploitation un jeune couple discute. Ils
acceptent de me ravitailler en eau et de prendre le temps de converser. Ils
élèvent des volailles, en essayant de maîtriser tous les aspects de leur métier
: ils cultivent eux-mêmes les céréales nécessaires à leurs volailles, qu’ils
élèvent en plein air. Ils ont créé leur propre réseau de distribution pour
vendre leurs poulets, chapons et gelines. Ils se déplacent sur les marchés deux
fois par semaine. Ils espèrent avoir fait le bon choix, mais n’ont pas encore
assez de recul pour en être déjà certains car le temps n’est pas extensible et
ils ne pourront pas agrandir davantage leur élevage. Je leur souhaite le
meilleur avenir.
L’après-midi s’allonge, le soleil
brille, ma petite réserve d’eau s’épuise rapidement.
Mes petons s’abîment un peu plus.
Deux nouvelles ampoules, apparaissent sans prévenir. Mais pourquoi ne les
ressent-on que trop tard ?! Les soins nécessaires me stoppent une fois de
plus. Et ma vitesse réduit encore. Par chance, aucune broussaille ne vient
s’opposer à ma progression. Dans ces bois magnifiques le cheminement est
évident. Le bivouac s’y impose naturellement. J’installe mon hamac entre deux
arbres, le protège par une bâche tendue au-dessus. Je retourne vers l’étang le
plus proche, repéré un peu plus tôt, y remplis mes bouteilles dans lesquelles
j’insère des pastilles destinées à purifier l’eau. Ma fois, la soupe du soir
n’aura pas si mauvais goût !
La soirée passe vite à soigner mon
corps, écouter les bruits, annoter mon carnet… Les étoiles s’allument une à
une.
Un hibou s’approche et s’installe
pour me bercer dans la forêt des chevreuils. Dodo.
Des ragondins qui batifolent, un castor qui se
retourne bruyamment, des chevreuils trop pressés, un hibou pour m’endormir.
Septième étape : Les
Hermites à Le Boulay
Quelques petits cris, brefs et
rauques, me réveillent. Je me redresse dans mon hamac, le temps de voir passer
un chevreuil à quelques mètres de moi. Il ne m’a pas vu et je me dis qu’un
humain est bien plus discret allongé dans la nature que sur ses deux jambes. Du
coup, je prends un quart d’heure pour passer de la position horizontale à la
verticale. Puis encore une heure de bonheur à vaquer aux préparatifs du matin
près du réchaud qui ronronne. Le sous-bois est transpercé de rais lumineux qui
apportent la douceur d’une belle matinée printanière.
Je repars sur mes petons
flambant-neufs.
Sortie de bois et fin de
rêves : le Verdésert
réapparaît
à perte de vue : blé, colza, blé, colza, colza, blé, blé, colza, blé,
colza. Chemin. Blé, route, colza, blé. Chemin…
Le blé, ça mouille ; surtout
le matin.
Le colza, ça jaunit ; surtout
l’après-midi.
J’ai soif. Une australienne me
ravitaille dans sa petite maison perdue au milieu des champs. Suis-je encore en
Touraine ? De l’eau fraîche, accompagnée de petits sablés ;
j’apprécie. La matinée est belle, les champs se succèdent : route, chemin,
blés, colzas. Inversement.
Un chapiteau de cirque rouge et
jaune émerge au-dessus des colzas. Mon GPS confirme mon impression : c’est
le cirque pile-poil sur ma ligne! Un cirque qui n’attendait plus que le passage d’un clown…
Non loin, une petite maison : celle de la famille Moralès. Une voisine
m’explique qu’ils habitent là, et s’entraînent régulièrement sous leur
chapiteau. Mes pieds sèchent le temps de la discussion… pour mouiller encore
davantage quelques minutes plus tard au milieu des blés. Averse. Un mignon
petit hangar se présente à moi pour m’abriter quelques temps. Soleil. Ça
repart sur les chemins.
Route. Elle mène au village du
Boulay, une des seules communes situées sur la ligne. Exactement. Mais la trace s’écarte
vicieusement peu avant l’arrivée au village. Elle opère un détour stupide au
milieu de pentes couvertes de cailloux dépotés des champs en surplomb :
une bonne demi-heure de supplices imposés à des pieds tordus et surchauffés
pour un fakir amateur ! Je ne serai pas à l’heure pour la sortie des
classes : j’espérais assister à l’envolée des enfants quittant la cour de
l’école sous l’œil des maîtres et maîtresses. Je voulais discuter avec eux de
ce qu’était devenue cette école qui avait été mon premier poste fixe… 40 ans
déjà ! Une assistante maternelle range les salles avec ses deux
collègues ; elle était élève de l’école lorsque j’y enseignais… A
l’époque, il y avait une quarantaine d’enfants dans deux classes. Trois fois
plus maintenant. Un petit sentiment de fierté m’étreint d’avoir contribué à
empêcher la disparition de cette école à une période où la population
s’expatriait vers la ville. Il avait fallu faire parler du Boulay jusqu’à Paris
où nous étions allés en car, puis dans quelques journaux nationaux et locaux
afin d’obtenir l’assurance d’un sursis salvateur. Quelques habitants de la
commune s’en souviennent encore. Le jeune syndicaliste que j’étais aussi.
On m’indique un hangar où passer
la nuit, derrière l’église. Je m’y installe pour éviter la pluie qui tombe
maintenant sans discontinuer. Ce soir j’irai manger à ma faim dans le petit
restaurant communal.
La nuit me paraît moins froide
lorsque je pense aux joies du lendemain. Ce sera jour de visite : Manick
viendra avec ma cousine Michèle pour me ravitailler.
4 perdrix, 1 faisan, 1 paon en liberté, 2 personnes
aux regards suspicieux : ma barbe naissante ? ma serpette dépassant
du sac ? mon aspect cheminot ?
Pluie
printanière
Ruisselle
sur les blés verts
Et mes
pieds trempés
J’en sors
tout jauni
Des colzas
aux champs fleuris
Mais je
n’en ris guère
Huitième étape : Le Boulay
à Morand
Pluie ce matin. Trois quarts d’heure
de perdus pour emballer les orteils. Un autre pour refaire le sac. Arrêt au
bistrot du village : puisque ma ligne passe par là et qu’il pleut.
Profitons-en ! Un client, addict aux jeux
à gratter s’éternise au comptoir. En aparté le patron me confie :
«-… En 20 ans on a gagné une belle somme qu’une
seule fois ici… 1500 euros. C’est ma femme qui avait donné les numéros au
client. Elle, elle en avait joué d’autres... Ça a bardé entre nous !
Pas parce qu’elle avait perdu, mais parce qu’elle avait joué ! Maintenant
ça va, elle ne le fait plus !… ». No comment…
C’est la tournée du boulanger. Il
klaxonne à tout va. Un attroupement de quatre citoyens se forme. Bien sûr, je
les rejoins. On discute de la vie du village, de mon passé d’instit ici même.
La mère de l’assistante maternelle rencontrée la veille était femme de ménage
de l’école au moment où j’y enseignais. Un voisin se souvient de la virée que
nous avions faite en car jusqu’aux portes de l’Assemblée Nationale à
Paris : cinquante villageois et instituteurs mobilisés afin d’empêcher la
fermeture d’une classe et à terme celle de l’école. Nous avions gagné notre
combat. L’école est maintenant rénovée
et a triplé ses effectifs. Je me dis que le temps et les trajectoires
présentent parfois bien des surprises.
La pluie ne semble pas vouloir
s’arrêter. La mort dans l’âme je me force à démarrer pour de bon, sac et
bonhomme bien empaquetés. Par bonheur le chemin est facile ce matin. Ça me
facilitera les retrouvailles prévues ce matin avec Manick et ma cousine Michèle.
Une heure et demie plus tard, j’aperçois le lieu de rendez-vous prévu : un
pont SNCF près d’une petite route.
Joies et embrassades pour ce second rendez-vous. Je fais le plein de vitamines
et de bonne humeur avant de repartir légèrement séché par un bon sentier
estampillé « Saint
Jacques ». Aujourd’hui il n’y aura que moi pour l’emprunter, qui plus
est à l’envers…
Changement d’ambiance. Le chemin
s’arrête, les repères disparaissent. Je poursuis ma navigation à l’aide de la
boussole. La pluie cesse, mais le vent forcit. J’erre avec plaisir dans ces
bois isolés, un souffle léger parvient jusqu’à moi, les branches crissent
doucement au-dessus de ma tête. Un craquement sec, puis un autre plus violent.
Je lève les yeux juste à temps pour assister stupéfait à la chute d’un
magnifique chêne à moins de vingt mètres de moi. Le souffle et l’odeur des
jeunes pousses écrasées parviennent à mes narines. Je m’approche, le mesure de
mes pas : 25 mètres de longueur environ… Je me dis que deux fées ont
veillé sur moi aujourd’hui : Manick et la fée du bois de Saunay, qui a
bien voulu repousser ce chêne du bon côté ! Une brève enquête sur les
causes de cette tentative de meurtre m’indique qu’un (mauvais) bûcheron avait
fait une coupe horizontale à la base de cet arbre qui voulait rester
debout. Le bûcheron qui voulait se coucher lui, était parti en le laissant à
son triste sort. L’arbre avait préféré confier aux souffles de la nature la fin
de sa belle existence, attendant sans doute le passage d’un témoin compréhensif !
Je repars lentement et finis par me demander si je ne divague pas un peu trop.
C’est sans doute les effets des flagrances de l’humus, des bois et végétaux… Je
dois me ressaisir : me voici au beau milieu de tertres plus hauts que moi.
Des couinements sortent de terre. Je me baisse, envisage d’entrer ma tête dans
une galerie située à la base d’un monticule afin de mieux cerner cette vie
souterraine. Mais je préfère renoncer lorsque je réalise que des blaireaux sont
parfois plus gros et plus agressifs que des chiens s’ils se sentent menacés.
Méfiance et prudence. Eloignement et raison.
Mon errance se poursuit, guidée
par mon seul GPS. Un fossé canalisé m’impose un passage rock & roll sur une
planche douteuse. Ce fossé est bien profond, ses parois bien verticales et très
humides. Je les escalade pour les franchir, saisissant les brindilles et
enfonçant mes doigts dans la terre. Ce sont ces petites victoires sur
votre environnement qui vous redonnent
tout l’entrain nécessaire. Plus loin, au milieu d’une clairière verdoyante,
brillent les murs d’une petite maison éclairée par le soleil réapparu. Les
contes de mon enfance me reviennent en mémoire…
Fin des rêveries. Je débouche sur
un plateau recouvert de blés à perte de vue. Une errance beaucoup moins glamour
m’impose une longue recherche des meilleures traces de tracteur, au plus près
du tracé GPS. Je m’engage dans une parcelle de 3000 mètres de longueur sur
autant de largeur. Je mets une demi-heure à la traverser !
De l’autre côté m’attend une autre
ligne que je franchis par un pont. Celle de la LGV, beaucoup plus
fréquentée que la mienne, parcourue à une vitesse beaucoup plus rapide !
Mais la mienne revient beaucoup moins cher, dans sa conception comme dans son
utilisation… Les exagérations humaines sont parfois surprenantes : une
telle débauche de moyens est-elle vraiment justifiée ? Au regard de
quelles exigences ? A l’inverse, mon extrême lenteur est-elle
pertinente ? Utile à qui ? Cette confrontation de deux lignes
opposées me laisse perplexe.
Je poursuis mon chemin et mes
réflexions jusqu’à ce que je puisse retrouver quelques arbres. Enfin un petit
bois. Stop.
Bivouac, hamac, pose le sac, clac.
Bobos, eau, réchaud.
Dodo.
Neuvième étape : Morand à Fleuray
6 heures : déjà réveillé, ou pas
encore endormi ? Le hamac, on y dort au sec, mais on y attrape froid par
les fesses. Debout ! Il fait moins froid debout que couché !
Je prends beaucoup de temps à
étudier l’état de mes pieds. Aujourd’hui
j’essaie une nouvelle formule : je remplace mes chaussures de trek
usées et spongieuses par une paire de tennis de course « légèrement
usagée ». Avantage : retrouver davantage de confort.
Inconvénient : être en permanence attentif aux endroits où poser ses
pieds.
L’eau chauffe sur le réchaud
installé sur un lit de feuilles mortes… il se renverse ! Plus une goutte
d’eau pour démarrer la journée. Du coup, ça précipite le départ. Je réalise
avec plaisir que l’emplacement du bivouac était plutôt judicieux car ce matin
ce n’est plus qu’une enfilade de champs. Une énième reprise des séries blés –
colzas – blés – colzas, des kilomètres durant. Les chemins sont bons,
j’avance. Les fermes sont dispersées. Je me rends compte de très loin qu’elles
sont pour la plupart inhabitées, transformées en simples hangars. La vie a disparu
à l’intérieur de ces murs, le silence s’est installé autour des bâtiments. De
vastes secteurs de la campagne
tourangelle ne comportent plus aucun habitant. Le Verdésert gagne
chaque mois un peu plus du terrain. Je dois marcher, attendre encore jusqu’à
l’après-midi pour trouver l’eau qui me fait défaut. Le salut arrivera grâce à
un ravitaillement en liquides bienvenus : Martial et Chantal me retrouvent
pour un pique-nique improvisé au pied d’une borne limitrophe au Loir et Cher.
Une restauration fort sympathique, avec révision complète des couleurs de nos
bouteilles favorites. Je les quitte guilleret, claudiquant, mais cette fois ci
pas à cause de mes pieds.
Un bois épais me fait face, sans
aucune visibilité. Je navigue en pilotage automatique, suivant aveuglément le
GPS. Ma boussole confirme la bonne orientation. Petit à petit l’environnement
s’éclaircit, le paysage change. Je parcours les vallons, les bois et les
prairies fleuries. Je retrouve le paysage ligérien typique de ma Touraine
natale. Sur les terres de Fleuray et de Mosnes apparaissent les vignes qui
produisent le «Touraine
Mesland ». Un œil averti devine aux lointains la légère dépression
qui annonce la vallée de La Loire bordée de tous ces précieux vignobles qui
s’étalent d’Est en Ouest. Ils produisent les vins de Sancerre jusqu’à Nantes en
passant par Vouvray et Montlouis, Bourgueil et Chinon, Saumur et
Bonnezeaux…
La soirée sera conviviale :
Henri et Marie me retrouvent à Fleuray, au coin de la coopérative viticole. Je
m’installe au milieu d’un minuscule verger, hamac suspendu entre deux pommiers.
Le partage des fraises et breuvages apportés par leur soin scellent de beaux
moments d’amitiés. Le ciel s’allume d’étoiles à l’heure de notre séparation.
La fatigue aidant, je m’endors
très facilement malgré la fraîcheur qui s’installe.
Dixième étape : Fleuray à Souvigny-de-Touraine
C’est le grand jour de ma seconde
traversée de Loire. Rendez-vous est pris à midi avec l’ami Pierre et son canoë
à la limite de Veuves et de Cangey. Béa et Jacques l’accompagnent pour venir me
rendre une petite visite autour d’un pique-nique ensoleillé.
11 heures : il ne me reste
plus qu’à descendre le coteau pour retrouver les amis 800 mètres plus loin, sur
la digue. Oups ! Deux
ronciers gigantesques de 80 mètres de profondeurs m’imposent des tailles
inutiles puisqu’il faudra en fin de compte battre en retraite. Des tours,
détours et retours avant de prendre pied, enfin sur la petite route qui
m’attend sagement au bas de la pente. Ayant pris pied dans le lit majeur de La
Loire plus aucune déclivité ne s’opposera à ma progression; mon retard à mon
rendez-vous ne devrait pas être trop important… Mais une nouvelle bataille
m’attend dans les varennes qui s’étendent du coteau aux berges de la Loire.
Avec en prime la rivière Cisse qui s’écoule parallèlement au fleuve. Celle-là, je l’avais
totalement oubliée… Je tente ma chance au milieu des roseaux, patauge dans les
marais, reviens, repars 150 mètres plus loin, puis 300 mètres plus loin. Rien à
faire, l’eau suinte et s’écoule partout, je ne trouve aucune passerelle, aucun
arbre incliné qui me permettrait de traverser la rivière. J’accepte ma défaite
à regret, m’éloignant de 600 mètres pour rejoindre un peu trop loin à mon goût
un petit pont qui franchit le cours d’eau.
13 heures : j’approche des
deux petites silhouettes perchées sur le haut de la digue et de la forme
allongée qui somnole dans le véhicule pour des retrouvailles heureuses et
solidaires.
Amitié, canoë, pagaies, gilet,
essais, clichés…
Traversée !
Le courant de La Loire est
régulier mais puissant. La limite départementale remonte le fleuve sur près de
2000 mètres, mais nous avons conscience qu’il faudra traverser en diagonale et
que la force des flots fatiguera nos muscles un peu trop rapidement… Après une
traversée de 500 mètres face au courant, une première pause sur la rive
opposée, puis un nouvel effort sur quelques centaines de mètres, nous estimons
en avoir assez fait. D’autant que l’ami Pierre doit retourner d’où il vient. Un
bon sentier longe la rive convoitée, j’y prends pied, non sans avoir pataugé
dans les limons déposés sur la berge. Mon honneur est sauf puisque la limite
départementale est à moins de 300 mètres au milieu du fleuve et que je la
remonte en parallèle. Au Port de Mosnes existe un camping bien tentant,
situé dans un cadre ligérien reposant… Mais la course du soleil n’a pas achevé
sa trajectoire journalière. C’est elle qui me guide et détermine le temps
nécessaire à ma progression quotidienne. Je me force à repartir en
adressant de grands gestes de remerciements à Pierre, maître es-canoë ainsi
qu’à Jacques et Béa pour leur aide logistique. Je file vers Souvigny par de
bons chemins et me rappelle d’un mail reçu avant mon départ, qui me signalait
l’existence d’un gîte d’étape dans cette commune située sur la ligne. Ce soir
je dormirai dans le confort d’une maison douillette : douche et
électricité, table et micro-onde, lit et édredon : une bonne nuit de
réparation bienvenue. Une délicate pause nocturne.
Vivement demain !
Onzième étape : Souvigny à Francueil
Reposé, rasé et tout propre, je
discute des vertus et défauts de l’alimentation bio avec le propriétaire du
gîte. Il en fait un principe de vie, un credo. Si je partage son avis sur les
méfaits de l’alimentation industrielle qui ne respecte pas la santé des gens,
je ne rejette pas pour autant les producteurs qui travaillent au mieux de leurs
possibilités sans avoir de « label ». Label qui répond lui aussi à
des intérêts économiques pas toujours évidents. Sans compter que le « prix »
de ce label et des normes qui y sont liées est reporté sur le prix de vente,
empêchant l’accès de ces produits aux couches populaires les plus pauvres.
Celles qui ont déjà le plus de mal à se soigner…
Pour l’heure il me faut être
pragmatique. Je reviens à mon problème du jour, à la complexité du trajet pour
quelqu’un qui désire traverser la rivière locale du nord au sud quand les
chemins mènent d’est en ouest. Mon hôte me renseigne sur un gué de la rivière Masse, situé
près d’un moulin privé ; il me donne son numéro de téléphone. Mon souhait
est de repartir du nord du village, traverser le gué du moulin pour me
retrouver au sud exactement dans l’axe de la ligne départementale. C’est ce que
je tente d’expliquer par téléphone à la propriétaire, qui me répond par un « pas le temps – pas
possible » sans me laisser aller au bout de ma phrase et clac…
raccroche en cours de conversation. Je rappelle pour avoir le plaisir de finir
mes explications et pouvoir raccrocher à mon tour. Il ne me reste plus qu’à
remonter vers la rive nord (une demi-heure) pour simuler une traversée fictive,
chercher d’improbables options, repasser par le pont de Souvigny et rejoindre
la rive sud afin de rester à moins de 300 mètres de la rive opposée (une
heure).
Mon humeur maussade s’estompe à la
vue d’un fada qui me
ressemble un peu. Il marche d’une façon différente de la mienne : ses
bâtons de marche lui servent à donner l’impulsion nécessaire pour tracter
derrière lui une pulka sur
laquelle sont posés ses effets personnels. Nos chemins se croisent
vraiment : il se dirige vers La source de La Loire au Mont Gerbier de
Joncs et compte revenir à pied aussi, six semaines plus tard.
Je repars plein sud, et pénètre
bientôt dans la forêt d’Amboise. Je sais ce qui m’y attend pour y avoir
testé ce passage l’an passé. Plusieurs heures à louvoyer entre les arbres et
les buissons, le nez collé au GPS afin de garder la meilleure orientation
possible. La trace que j’enregistre ressemble quelque peu à une pelote de
ficelle emmêlée !
Enfin des allées, avec une sortie
sur la campagne ensoleillée. Des vignes plantées qui descendent en pentes
douces. Deux vignerons discutent entre leurs parcelles. Je m’arrête pour passer
un moment avec eux et partager nos sentiments. Les leurs ne sont guère joyeux
après la série de nuits froides qui vient de faire geler les bourgeons éclos
sur les ceps. Nous parlons de nos métiers respectifs, comparons nos avantages
et nos difficultés. Ils travaillent en ce moment à planter une nouvelle
parcelle qui produira du vin d’appellation « Touraine ». Pas
« Amboise » me
précisent-ils car la proximité de cette commune pourrait le laisser penser. La
nuit du 26 avril où la température est descendue à – 4° a brûlé tous les
bourgeons ; perte envisagée : 80% de la production… Une récolte à
venir si désastreuse qu’ils se demandent déjà comment ils pourront jongler avec
leurs comptes de l’année suivante. Le plus jeune s’emporte :
« …Si c’est pareil l’an prochain, je coule et
j’arrête tout, je vends mes vignes »…
La mort dans l’âme.
En direction du Cher la
descente est débonnaire. Depuis le coteau, j’aperçois un canoë qui descend la
rivière. Il me passe sous le nez… Etant donné que la saison touristique n’est
pas commencée, je me doute qu’une telle occasion ne se représentera pas une
autre fois aujourd’hui. « Allô Pierrot ?!… » Il arrive une heure plus tard
avec son canoë. Ah ! les copains… Philippe l’accompagne et participe à la
mise à l’eau de l’embarcation. On essaie même de remonter le courant ; ça
marche. On redescend sur 300 mètres pour
traverser la rivière. Photo. Un chemin communal suit l’autre rive, j’y
prends pied pendant que les deux amis continuent à batifoler avec les eaux de
la belle rivière.
La remontée du coteau sud est
facile. Des vignes s’allongent sur ses pentes. Plus haut quelques bois. Je
m’installe au milieu d’un bosquet à l’écart du chemin. Les amis me retrouveront
un peu plus tard pour un dîner champêtre entre vignes et bois avec Manick et
« Framboise » venues nous retrouver. Une belle fin de journée, animée
par des montgolfières qui passent juste au-dessus de nous. Ce soir je dors au
chaud : Manick m’a apporté un duvet de haute montagne. Les nuits suivantes
paraîtront beaucoup moins froides !
Douzième étape : Francueil (Les Coudraies) à Orbigny (D89)
J’ai apprécié cette nuit mon
nouveau duvet. Un peu tard, je l’avoue ! Avantage : la chaleur permet
de dormir. Inconvénient : le froid ne me fait plus lever d’aussi bonne
heure. Résultat : une heure de retard sur le soleil, donc une heure de
marche perdue !
Les godasses foulent l’asphalte.
Des heures. A la longue c’est pénible, mais ça avance.
Enfin un joli bout de forêt. Avec
des ronciers, bien sûr. L’un d’eux me stoppe vingt minutes pour faire un trou
de trois mètres de profondeur. Je traverse… pour me rendre compte que 300
mètres avant j’aurais pu contourner ledit roncier : un chemin passait de
l’autre côté ! Dans la campagne retentit un furieux juron !
Des petites routes contournent la
commune de Céré La Ronde, bien nommée avec sa grosse bosse qui domine toute la
Touraine. Je longe une magnifique propriété dans laquelle je n’ose pénétrer. Un
peu plus loin sur la route du Préau une petite Clio blanche me rattrape lentement . L’ami
Jean-Luc est venu me consacrer quelques heures de ses précieuses RTT ; ça
a du bon les RTT, faudrait pas les supprimer : ça me fait un café, des
retrouvailles et surtout du bla-bla-bla à revendre ! Il a du flair Jean-Luc : il
m’a retrouvé juste avant LE « sommet » tourangeau. Trois cents
mètres avant précisément. Pour un peu on sortait une corde pour finir
l’ascension du point culminant d’Indre et Loire : 188 mètres SVP !
J’annonce cette grande nouvelle en
consacrant une séance Email et Facebook aux amis tourangeaux du Club Alpin Français. Tant pis pour
la batterie du portable :
« Avis aux Cafistes tourangeaux : sommet
de la Touraine atteint ce jour en partant du point le plus bas du département
(confluence de la Vienne et de la Loire) par la voie nord la plus longue
possible.
Cotation technique = R (Ridicule).
Cotation physique = FV (Faut en Vouloir).
Originalité = VJ
(à Vous d’en Juger).
PS : Ceci est une joyeuse plaisanterie.
Néanmoins, ne serait-ce pas là une « Première » dans la série des
« Treks Tourangeaux ? ».
Nous arrivons près de la forêt de Brouard. Jean-Luc
me laisse y pénétrer seul. Sans doute par peur du loup. D’ailleurs il est tout chose : je
le vois repartir par le mauvais chemin !
Je m’enfonce sous la futaie avec
délectation. J’envisage maintenant la suite du trek comme le début d’un retour.
Réellement ! Parfois un peu de subjectivité permet aussi d’avancer…
J’admire les magnifiques allées forestières qui mettent en valeur des chênes
centenaires. Ce soir je m’arrêterai un peu plus tôt afin de profiter pleinement
de l’ambiance de cette forêt, de son calme et du confort de mon bivouac amoureusement
préparé à l’abri d’un tas de bûches.
La nuit sera belle : les
étoiles clignotent déjà au travers des branches balancées par un souffle léger…
Un mulot et un chat en promenade, deux fourmilières,
une buse qui s’envole d’un fossé avec une couleuvre entre ses serres… méfiance
mes petons, les vipères sont peut-être de sortie elles aussi !
Treizième étape : Orbigny à
Nouans-les-Fontaines (D8C)
J’aime cette forêt, ce bivouac si
tranquille, ces chênes magnifiques, ce ciel printanier et le confort rustique
de mon installation. Je repars sereinement, le soleil déjà accroché aux plus
hautes branches. Les heures passent en
contemplation du jeu des lumières et du balancement des rameaux. Marcher droit
devant sans douter du chemin, éviter les fondrières, choisir les passages les
meilleurs, rechercher le rythme où mon corps exprimera son efficacité
optimale. Aujourd’hui, je stocke l’énergie nécessaire au chemin qu’il me
reste à parcourir.
Les chevreuils m’accompagnent.
Lorsque je ne les vois pas je sens leur présence en permanence. Il ne se passe
pas un jour sans qu’ils ne me rendent visite, à moins que ce ne soit l’inverse…
Aujourd’hui l’un d’eux m’a offert l’un de ses bois qu’il a laissé au milieu
d’une sente. Je le ramasse et le dispose cérémonieusement au sommet de mon sac.
Ce sera mon totem, mon symbole, ma mascotte, mon remerciement aux mammifères
qui m’ouvrent si souvent la voie recherchée au milieu des ombres et des
broussailles. Une alliance est scellée au gré des traces de nos pas qui se
mêlent au cœur de la forêt. Je me surprends à chantonner cet air ancien :
« Voici le joli mois de
mai
qu’il est joli
qu’il est donc gai
les oiseaux des champs
fêtent le printemps
Ah ! qu’il fait bon
passer ici !… »
Mais il faut ressortir, retrouver
les lieux habités et l’eau qui commence à manquer après plus de vingt heures
passées dans les bois.
J’approche d’une belle
propriété entourée de clôtures et portails. Un chien hurle ;
j’attends. Deux chiens hurlent ; j’attends. Elle arrive ; j’explique.
Silence. Je ne demande « que de l’eau »… Silence. Il
arrive et m’observe. Silence. Il l’interroge du regard, elle, mais pas
moi. Silence. Elle prend ma
bouteille tendue au bout de mon bras. Silence. Il
fait oui de la
tête. Elle s’en va
et revient ; en silence.
Ma bouteille est remplie. J’offre
l’un de mes plus beaux sourires et je repars. En silence.
Je n’irai pas très loin : un
grillage de 2,50 mètres rehaussé de barbelés barre le chemin, protégeant
étangs, élevages de cervidés et autres secrets. Un domaine de plusieurs
centaines d’hectares dénommé La Tuilerie me fait face. Pour moi c’est la tuile, en plein
sur ma ligne !je cherche et recherche pour m’éloigner finalement de
plusieurs centaines de mètres de mon axe. Une heure et demie après je n’ai pas
encore retrouvé la
trace.
Je reprends quelques forces, assis sur un talus lorsqu’il arrive à
cheval, avec elle .
Remis
de leurs craintes et finalement un peu plus curieux :
« …Faites quoi là ? »
J’explique à nouveau, sans doute
mal car je n’arrive pas à me faire comprendre. J’essaie d’obtenir des
renseignements sur des chemins qui me ramèneraient sur la ligne départementale.
Ils m’indiquent la direction d’Ecueillé (où je ne vais pas) par la route (que
je ne prends pas) . Je me retiens de leur demander s’ils vont aussi prendre
la route avec leurs chevaux… J’affiche un nouveau sourire avant de repartir par
quelques sentes herbeuses qui me ramènent finalement au sud de La Tuilerie. Mon écart
sur la carte sera finalement de 600 mètres à vol d’oiseau. Je ne pouvais pas
faire mieux sans autres autorisations préalables.
Je poursuis par une heure de
marche tranquille avant la véritable bataille du jour : une énorme
déclivité garnie d’épines sur une profondeur de cent mètres. Protégé par ma
veste goretex je me laisse tomber dans les ronces pour forcer le passage, une
fois, deux fois… à la quatrième ça passe, j’arrive à progresser vers le bas. Un
gros ruisseau bien profond m’y attend. Je l’entends plus que je ne le
vois avant de découvrir ses berges verticales, humides, flanquées de barbelés,
d’orties et de garances bien accrocheuses… Cette fois ci, ce n’est pas un
chevreuil qui m’aidera mais un sanglier
qui a forcé les barbelés auxquels ses poils sont accrochés. je m’allonge sur le
dos pour glisser sur le toboggan qu’il a creusé, enlève mes chaussures et
chaussettes pour mieux traverser nus pieds. Ça glisse pour remonter : ce
n’est pas facile d’escalader deux mètres verticaux dans la glaise avec un sac à
dos. Je retombe par deux fois, parviens à sortir à la troisième après avoir
accepté de m’accrocher aux orties. Ça pique encore… c’est avec un énorme
plaisir que je retrouve un champ d’avoine dans lequel je m’étends, au beau
milieu d’une trace de tracteur. Je me sèche et me nettoie, me repose en buvant
toute l’eau qui me reste. Il se fait tard et cette journée fut bien
occupée ; il ne me reste plus qu’à marcher jusqu’à la prochaine ferme pour
y remplir mes bouteilles. Je longe encore quelques lisières jusqu’à une haie où
je suspends mon hamac, à la limite d’une prairie et d’un champ.
Les rayons du soleil couchant qui
rasent le colza fleuri éclairent la campagne d’un jaune électrique qui me fait
croire à l’illumination d’une salle de spectacle. Hallucinations ?
Cette journée fut bien riche en
efforts et émotions ; je ne pense plus qu’à manger, et dormir.
Des grenouilles… un héron ; un lapin… des
rapaces ; deux chevaux et leurs cavaliers.
Quatorzième étape :
Nouans-les-Fontaines à
Fléré-la-Rivière
Je me doutais que ce serait
compliqué ce matin. D’emblée je m’engage dans des champs qui finissent en cul
de sac, encerclés de fourrés. Un dédale de parcelles. Au fond de l’une d’elles
je ne devine aucune alternative, aucun détour possible. Je sors ma serpette
fétiche du sac pour passer en force. Trois mètres de taillis à creuser. Le fer de mon outil se détache,
je le replace tant bien que mal. Les odeurs mêlées de céréales et de bovins
m’encouragent à insister. Après vingt minutes de coupes et griffures, la clarté
s’accentue au milieu des feuilles et épines. L’autre côté est enfin dégagé :
des lignes de tracteurs sur des champs de blés ; puis de colza bien sûr.
Et là ça se gâte : ils deviennent totalement infranchissables à
l’intérieur des champs ; trop haut, trop serrés, avec leurs gousses
maintenant développées qui font barrière au passage d’un corps. Sur les
lisières, ils débordent tellement que je dois marcher dans la ligne de
débours tracée par les tracteurs,
obligeant les pieds à se tordre douloureusement . Un pas à l’extérieur et
je me retrouve alors dans les ronces et orties. En fin de matinée je n’ai pas
fait plus de cinq kilomètres.
C’est au moment où je commence à
désespérer que je débouche sur un beau sentier ; puis un autre. Une petite
route s’ensuit ; je mets le turbo. Trois heures à fond pour récupérer le
retard du matin. Stoppé net. Je me retrouve à nouveau face à un énorme taillis.
Encouragé par mon succès de la veille sur un passage de sanglier je renouvelle
l’aventure, au ras du sol, élargissant à la serpette le tunnel sur une
profondeur de huit mètres. Je reviens en arrière pour récupérer mon sac et
refaire un second passage en le traînant derrière moi. J’en sors avec quelques
égratignures supplémentaires mais victorieux. Il ne me reste plus qu’à
franchir, couché sur le dos, un arbre que la derrière tempête a abattu. La voie
est libre maintenant.
Au château de Chaillou le
propriétaire tond sa pelouse. Je l’interpelle pour lui demander l’autorisation
de traverser son parc. La discussion se poursuit sur l’état de son
château :
«- … Ne m’en parlez pas !… ».
Effectivement il est dans un triste état avec ses murs décrépis, ses peintures
défraîchies et ses dépendances aux toitures crevées. Pour un peu, je lui
proposerais bien quelques heures de travail bénévole.
Je repars de plus belle pour
atteindre la rive droite de l’Indre en fin de journée. J’arrête l’enregistrement de ma trace
GPS sur le point où la ligne butte sur la rivière. Je ne peux la franchir à cet
endroit… ou alors à la nage, mais ce serait sans mon sac ! Je me résigne
donc à parcourir les trois kilomètres supplémentaires me séparant du pont de la
rivière Indre qui passe à Fléré. Ma foi, camper dans un village n’est pas si mal ce soir…
Le camping est fermé en raison des coupes budgétaires dans les finances
communales mais je m’y installe tout de même, encouragé par les sympathiques
footballeurs du stade voisin qui m’offrent l’usage de leurs douches pendant
leur entraînement de fin de semaine. Ce soir je me rase : ceci évitera
peut-être certaines méprises… J’installe mon tarp, fixé sur mes bâtons de marche
pour profiter cette nuit du confort de l’herbe épaisse.
Le clocher de l’église compte les
heures. Je m’étonne de l’arrivée précoce de la nuit avant de me rendre compte
que ma montre retarde d’une heure… depuis combien de temps ?
J’ai faim, vraiment. Je dévore ma
ration du soir ; j’ai encore faim… Demain je mangerai mieux !
Des poules d’eau, des grenouilles, des libellules,
des hannetons, un lièvre, un papillon machaon.
Un retraité qui répare son portail ; sa femme
qui garde les petits enfants ; trois pêcheurs au bord d’un étang ; un
châtelain qui entretient son parc.
Quinzième étape :
Fléré-la-Rivière à Obterre
Matinée farniente sous le soleil
au camping. La fringale m’incite à lever le camp pour rendre visite aux
commerçants locaux : le charcutier et la boulangère qui me prépare aussi
un café et me conseille d’aller m’installer sur le banc proche de l’église. Je
m’y précipite pour engouffrer mon festin de tartines aux rillettes, petit pain
au chocolat, flanc et café. Trois chevaux et leurs cavaliers passent par là et me
proposent gentiment de venir passer un moment chez eux. Mais ce sont les heures
et le chemin qui commandent les étapes… Ils essaient de m’aider à retrouver la
limite départementale, croquis à l’appui. Malgré leur connaissance des lieux,
celle de la limite départementale leur est approximative ; son point de départ exact
sur la rive de l’Indre leur est inconnue. Tant pis. Il est plus de midi lorsque
je commence réellement l’étape du jour. C’est jour de chance : je parcours
quinze kilomètres d’une traite par des voies faciles, après lesquels je décide
de prendre un bain de soleil allongé contre un tas de bois en finissant mon pot
de rillettes.
Un paysage séduisant s’étale
devant moi : une succession de collinettes et cultures variées, de champs
aux proportions raisonnables entrecoupés de bosquets. Les nuages moutonnent
dans le ciel bleu, le soleil assèche et réchauffe ma peau. Un appel
téléphonique des amis Laurent et Cathy me sort des rêveries. J’avais presque
oublié l’heure où Laurent marcherait dans ma direction après avoir déjeuné chez
sa belle-maman, madame Barnier, à Obterre. J’ai beau accélérer la marche, un
peu tard avouons-le, je n’arriverai à le rejoindre que deux à trois heures plus
tard. Les retrouvailles au coin d’un champ n’en sont que plus heureuses et nous
poursuivons un bout de chemin ensemble. Cathy nous retrouve un peu plus loin et
partage avec moi une superbe tarte aux abricots qu’elle a apportée. Ils
reprennent la route de Tours, non sans m’avoir invité à coucher chez Mme
Barnier qui m’attend à Obterre.
J’y passerai une soirée agréable,
autour d’un repas passé à discuter de nos probables cousinages avec la famille
Cron qui habitait la commune, et qu’elle avait connue.
Des 4X4 évoluant dans un paysage argentin ; un
joli trou dans une haie pour sortir sur une petite route ; une sieste
contre un tas de bois ; un détour de 400 mètres pour éviter une orgie de
barbelés.
Seizième étape : Obterre à
Bossay-sur-Claise (Thouaré)
Après une bonne nuit sous un vrai
toit, un vrai petit déjeuner et une promesse de repasser un jour futur (en
voiture…) me voici reparti par le chemin de l’Aigronne, puis au travers de champs dont
il faut remonter la pente.
Premières complications et
traversées de haies. L’une d’elles m’occasionne de belles zébrures sur les bras ;
c’est le prix à payer du plaisir de voyager en tee-shirt sous un ciel clément.
Un agriculteur est en train de
semer le maïs dans un champ ; je m’agite et le hèle. Son application
à tracer la rectitude des sillons et le bruit du tracteur l’empêchent de
m’entendre et me voir. Il m’est arrivé de lire des critiques de « l’esprit
des paysans » qui, courbés vers leurs terres en oublieraient tout ce qui
lui est étrangère. Malgré les apparences trompeuses ce que j’observe serait
plutôt l’inverse : sa projection physique et mentale qui l’empêche de me
voir est entièrement tournée vers l’avenir des graines semées qu’il espère voir
prospérer pour les besoins de l’alimentation animale et humaine. Ma petite
personne n’a que peu d’intérêt dans cette histoire là !
Pour l’heure, je n’arrive pas à
communiquer avec lui pour lui demander l’autorisation de passer. Chacun suit sa
voie. Je fonce dans son dos avant que le tracteur n’atteigne la fin du sillon
et disparais au plus vite dans le bois contigu ! Une petite dérogation à
mon éthique initiale…
Je traverse maintenant la forêt de Preuilly célèbre
pour son parc animalier national de La Haute Touche qui contribue au sauvetage des
espèces animales en voie de disparition. Mais les allées que j’emprunte sont
défoncées et humides, infestées de moustiques tout juste envolés et
affamés ; eux ne me semblent pas trop menacés… Je navigue entre les
ornières, les arbres abattus et leurs enchevêtrements de branches abandonnées,
traverse des pinèdes encombrées de fougères et d’épines, m’écarte pour suivre
l’enclos du château de Vineuil mal situé à mon goût, à moins que ce ne soit la
limite départementale, que je modifie légèrement pour la circonstance…
Je passe à proximité de la
ferme-château de l’Effougeard naguère
fréquentée par mon père qui connaissait la famille Navers,
propriétaire des lieux. De belles allées s’offrent maintenant à moi en
direction de la campagne dont les terres se situent aux limites de la Touraine
et de la Brenne. Le relief s’incline jusqu’à la vallée de l’Anglin.
Je pense à mes cousins
agriculteurs qui habitent à proximité ; je les appelle. Ils m’indiquent le
meilleur passage possible pour traverser la rivière, par le moulin de Berland. C’est en
le rejoignant que je me retrouve face à une magnifique martre, aussi surprise
que moi de cette rencontre et qui repart d’où elle venait. La traversée du
cours d’eau se passe sans encombre, après avoir amadoué le chien qui en garde
le passage.
Hubert arrive avec son VTT ;
je le reconnais de loin lorsqu’il descend le chemin dans ma direction. Nous
arrivons bientôt dans la ferme de Thouaré où nous attendent sa femme Aline,
ainsi que Geneviève et mon autre cousin Gérard. A l’occasion de ces
retrouvailles inhabituelles nous affinons nos connaissances sur la complexité
des limites de champs et parcelles alentours !
Ce soir il y a foule autour de mon
bivouac dans la cour de la ferme : mon ami Henri vient aussi de m’y
rejoindre pour venir faire l’étape suivante avec moi. Il dormira dans son
fourgon. Je m’installe à proximité pour passer la nuit dans l’herbe sous ma
bâche après avoir profité de son ravitaillement…
Un chevreuil, des geais, des buses, des corbeaux,
des grenouilles, des moustiques, des moustiques, des moustiques… une
martre !
Dix-septième étape :
Bossay-sur-Claise (Thouaré) à Néons (Thais)
Le petit déjeuner est partagé dans
le van de l’ami
Henri. Nous repartons de la ferme de Thouaré après avoir promis à mes cousins
de prochaines retrouvailles.
Le chemin serpente au milieu de
beaux paysages vallonnés, ponctués par les tâches mouvantes des troupeaux épars
et les tapis bleutés des cultures de lin. Est-ce la compagnie d’un ami qui nous
fait encore trouver plus beau notre environnement ? Si j’aime la solitude
et son avantage à pouvoir gérer plus facilement les efforts et l’organisation
du temps écoulé, j’apprécie aussi l’intérêt de pouvoir être interpellé sur un
détail que je n’aurais pu voir autrement : une fleur, un oiseau, une
particularité géographique présidant au choix d’une culture. Nous aurions pu
partager davantage encore nos observations avec d’autres voyageurs : le
sentier emprunte pour un temps le chemin de Saint-Martin, « El Camino » , dans
une de ses portions reliant Candes - Saint-Martin à Poitiers. Mais ce jour là, point de pèlerins malgré les apparences
liées à notre présence. Nous nous contentons de héler les chiens à l’aspect
sournois qu’il nous faut amadouer, discuter d’un changement de direction ou
pester pour avoir choisi de franchir des barbelés un peu trop relevés. Le
paysage change encore à l’approche des premiers étangs de la Brenne qui nous
occasionnent d’emblée un trempage intégral des pieds et mollets. Une pause sur
la bonde de l’un d’eux nous permet d’admirer le reflet des nuages sur les eaux
lumineuses, la palette des nuances vertes de la végétation, la progression
tranquille des cygnes et de leurs oisons. Nous repartons, l’estomac apaisé, à
travers des bosquets qui nous font parfois louvoyer.
Nous voici maintenant en vue des
deux communes de Tournon, l’une et
l’autre situées de chaque côté du pont qui enjambe la Creuse ; l’une et
l’autre dépendent du département voisin. Nous passons par la mairie située en
Indre et Loire pour expliquer à Madame la Maire qui nous ouvre sa porte les
raisons de mon périple et ma volonté de
rallier les citoyens de tous les territoires. Une discussion s’ensuit sur les
difficultés que rencontrent les élus à préserver les intérêts et particularités
des communes ainsi que celles de leurs habitants.
Tout cela creuse l’appétit, et les
gouttes qui commencent à nous mouiller nous incitent à rendre une longue visite
aux deux meilleures adresses de ce village : la pâtisserie et le bar. Mais
le temps des gourmandises a une fin, il faut repartir même si la pluie décide
de redoubler. Dans la campagne les herbes mouillées sont encore plus mouillées,
les fils électriques encore plus électriques, les vaches encore plus
vaches !
A l’approche de la commune de
Néons et de son clocher, qu’il nous faut éviter afin de rester sur notre tracé,
nous suivons la rivière jusqu’au hameau de Thais. Je sais que cette nuit ma bâche
ne suffira pas à me protéger. Je commence la quête d’un abri un peu plus sûr.
Comme je le pressentais, c’est un agriculteur prévenant qui me propose la
paille de ses ballots entreposés dans son hangar. Il me demande seulement de ne
pas y fumer, d’allumer mon réchaud à l’écart, et s’excuse presque de devoir
faire du bruit à 5 heures du matin pour commencer la traite de son
troupeau ! Il reviendra même me proposer de prendre le petit déjeuner chez
lui le lendemain matin en compagnie de son fils qui travaille avec lui.
En attendant, les rencontres se
suivent et s’enchaînent : mon amie Marie vient chercher Henri en cette fin
de journée, alors que mon cousin Roland accompagné de Karine déboulent de
Poitiers pour passer une soirée atypique sous mon hangar dans l’ambiance sonore
du meuglement des vaches, de la pluie tombant sur les tôles et des bouchons
extraits de leurs goulots. Rires et sourires, paroles et conscience de vivre un
sacré bon moment !
Bonne nuit à tous, le jour est
tombé, la ferme endormie. Il faut maintenant me laisser seul couché sur ma
paille ; demain, je me lève dès le point du jour.
Dix-huitième étape : Néons (Thais) à Descartes
(Buxeuil)
Je me réveille aux sons des
meuglements, du bruit métallique des barrières manœuvrées et de l’aspiration
rythmée des trayeuses reliées aux pis. Je me lève sur mon étage de paille et
prend le temps nécessaire au tri des vêtements encore humides. La pluie se
remet à tomber. Je n’hésite pas à accepter l’invitation du fermier à partager
le café du matin une fois la traite terminée. L’occasion de discuter de la vie
du village, composé de 17 maisons mais seulement une seule ferme. Le village
possède une singularité : deux facteurs passent y déposer le courrier car
trois maisons dépendent de l’Indre et Loire et les autres de la Vienne. Je me
dis que la Poste qui ferme ses agences communales sur tout le territoire a du
oublier cette particularité locale… Mais ce qui inquiète le plus notre éleveur
c’est l’avenir de son fils qui aimerait poursuivre le travail, l’effondrement
organisé du prix du lait et de la viande, la disparition des fermes voisines,
leur transformation en résidences secondaires occasionnellement occupées.
Dehors la pluie redouble
d’intensité. Je m’équipe du mieux possible afin de garder au sec le haut du
corps et l’intérieur de mon sac à dos. Les chemins et les champs plongés dans
la grisaille sont parcourus par un fantôme noir dont la cape virevolte au gré
des bourrasques. Il force le pas et saccade ses gestes pour s’extraire de la
boue qui s’agglutine autour de ses pieds. L’eau s’insinue de bas en haut
remontant des pieds jusqu’aux hanches au passage des herbes détrempées.
C’est ainsi harnaché et
dégoulinant que je prends enfin pied sur la petite route de Vicq :
« Champagne » !
J’en boirai volontiers mais ce n’est que le nom du hameau voisin… Néanmoins la
joie s’installe à la vue des amis Philippe, Pierre et Béa qui arrivent en
voiture au moment où je sors du dernier champ. Le café partagé et la mise au
sec de mes effets personnels me réchauffent le corps et l’esprit. D’autant que
leur arrivée est une aide précieuse à la poursuite de mon aventure : ils
vont me faciliter pendant deux jours les cinquante kilomètres suivants. Ils
apportent avec eux le canoë canadien avec lequel nous descendrons la Gartempe
puis la Creuse jusqu’à la confluence de la Vienne. La limite départementale
passe exactement au milieu des rivières. La précision de ma progression sera
entièrement garantie sur cette portion !
Comme un bonheur n’arrive jamais
seul, l’eau du ciel s’arrête de tomber au moment où nous embarquons sur l’eau
de la Gartempe. Avec Philippe qui a pris le premier relais en ma compagnie nous
goûtons les paysages alentours avec tous les sens de notre corps. La Gartempe
est une rivière magnifique où tous les tons
de verdures se déclinent du plus sombre au plus lumineux. L’onde reflète
les couleurs végétales cernées par les nuages en mouvance. Le miroir s’illumine
par endroits de fugitifs éclats de soleil puis se brouille subitement au
passage de hauts fonds où le courant s’accélère. Lorsque de petites vagues se
forment, accélérant la vitesse de notre embarcation, notre joie éclate et des
cris retentissent bien au-delà des rives avant que le calme ne revienne. Nous
admirons alors les traînées mouvantes des herbes aquatiques qui serpentent à la
surface des eaux. Et lorsqu’un nouveau rapide se présente, l’attention est de
mise pour rester dans l’axe de la rivière ; mais derrière moi Philippe
assure les manœuvres avec précision ! Le calme revenu nous permet
d’écouter les bruits de l’eau brassée par nos pelles, du murmure de la rivière,
des branches crissant les unes sur les autres, des oiseaux sifflant au-dessus
de nos têtes…
L’heure d’un joyeux pique-nique
arrive, préparé par Pierre et Béa venus nous rejoindre dans un pré qui borde la
rivière. Départ du second relais, en compagnie de Pierre cette fois. Nous
sommes maintenant sur la Creuse, plus large mais moins mouvante. Des barrages
et déversoirs se présentent, parfois équipés de passes à poissons qui ne nous
posent pas de grands problèmes sinon celui d’observer avec attention les lieux
d’approche avant d’effectuer les portages nécessaires. Le plus délicat sera le
franchissement du barrage de la ville de Descartes en raison de sa hauteur et
de l’inclinaison de son déversoir quelque peu glissant.
La soirée approche, nous décidons
de nous arrêter à hauteur de Buxeuil où une petite église borde la rivière. Ce soir trois amis
dorment avec moi, abrités sous le vestibule de l’église, non sans avoir oublié
le principe du partage de l’eau et du vin, malheureusement contrarié par
l’absence d’un tire-bouchons … L’apéritif n’en fut que plus apprécié !
Malgré la rudesse du carrelage, le
sommeil fut très facile à trouver.
Des bergeronnettes, des martin-pêcheurs, des hérons,
des cygnes, des canards, des hirondelles, des guêpiers…
Des poissons et des pêcheurs, une église avec ses
pêcheurs.
Dix-neuvième étape : Descartes
(Buxeuil) à
Antogny-le-Tillac (La Cloerie)
Quelle journée !
Tout débute par un petit déjeuner
digne d’un palace (café au lait et croissants !) concocté par mes
compagnons du jour. Nous rejoignons le canoë que nous avions caché dans les
herbes et le mettons à l’eau… la pluie nous tombe dessus illico ! Le
courant n’est pas très puissant ; c’est dommage car il nous faut maintenir
la vitesse en utilisant davantage notre force musculaire. Ça rame…mais ça avance. On relance dans les
mini-rapides ; on se relaie dans l’effort ; on se hèle et interpelle
avec ceux qui nous retrouvent par instants sur la berge. Des oiseaux qui
piaillent, des poissons qui bullent, des pêcheurs qui les attendent, des
martin-pêcheurs qui les surveillent… et nous qui filons devant eux, pressés
d’avaler les kilomètres, de prendre ma revanche sur l’extrême lenteur des
journées passées. Cet excès d’enthousiasme, je devrais m’en méfier.
Hop ! virage à bâbord toute : confluence de la
Vienne en vue.
La théorie voudrait que je remonte
ladite rivière sur cinq kilomètres. En pratique il y a le pont de Pussigny qui provoque
de très gros courants et remous ; trente mètres à passer, ça ne doit pas
être la mer à boire ! Mais les flots s’accélèrent contre nous. Nous
testons un premier passage… et refluons sur plusieurs dizaines de mètres. Nous
revenons à l’abri d’une pile pour mieux nous élancer à plein régime ;
nouvel échec. Nous changeons de trajectoire pour passer sous l’arche suivante…
cette fois, j’en suis sûr, avec de la hargne ça passera. Un coup de pagaie
enfoncée jusqu’à la garde, un autre encore plus appuyé de l’autre côté…
L’impulsion incontrôlée de mon corps secoue le canoë qui gîte soudainement vers
une vague traîtresse ! Et hop ! Tout le monde par-dessus bord dans les flots
tumultueux . Quelques longues secondes passent dans le noir d’une
immersion totale avant de pouvoir ressortir en surface admirer le pont 80
mètres en aval. L’ami Pierre n’y est pour rien, mais il a tout de même partagé
avec moi cette portion de ligne… aquatique. Le canoë est devenu
sous-marin ; il a disparu de notre vue. Un bout de corde qui réapparaît
entre nous permet de le reprendre et le traîner derrière nous. Non,ce n’était
pas la mer à boire, mais une bonne tasse tout de même !
Fin de l’aventure sur la rive
gauche que nous escaladons à travers les orties… même pas froid ! Pas de
témoins, sinon vous cher lecteur, alors séchons nous après un strip-tease
intégral.
C’est ainsi que s’achève la
descente des trois, euh ! non… deux rivières qui délimitent le sud-ouest
du département.
Le canoë fautif est retourné en
punition sur le toit de la voiture venue mettre fin à ces facéties.
Mes amis repartent hilares, me
laissant seul poursuivre mon périple. Un drôle de pénitent chemine en
claudiquant le long de la rivière, vêtu d’une longue cape noire, avec une bosse
sur le dos. Chaque pas devient désormais douloureux à cause d’un début de
tendinite qui cisaille ma cheville droite. La souffrance s’accentue au fil des
kilomètres, rendant les heures bien plus longues jusqu’à mon prochain
rendez-vous : une nouvelle rencontre avec mes proches venus de Tours, un
pique-nique improvisé à l’abri des averses qui tombent obstinément.
Le maire de la petite commune d’Antogny-le-Tillac vient à ma
rencontre : il avait été contacté par l’intermédiaire d’amies communes,
Marie et Maryse, elles aussi randonneuses. Nous discutons de la pluie et du
beau temps au sens propre comme au figuré, mais aussi du partage de nos
expériences auprès de collectivités et d’associations qui luttent pour le
bien-être des citoyens, ici comme au Mali ou au Népal… Nous apprécions ensemble
les parcours locaux qui rendent nos actions utiles jusqu’à l’autre bout du
monde, dans un esprit universel : la volonté de cheminer ici et ailleurs,
de faire les rencontres qui améliorent notre vie et celle des autres.
Nous nous quittons sur ces belles
considérations et je repars sur ma ligne par un agréable chemin que
j’apprécierais bien davantage si cette foutue cheville ne me faisait pas aussi
mal. Je n’avance plus qu’avec la perspective des pauses à venir : l’une
pour boire, l’autre pour prendre un anti-inflammatoire puis encore une pour
téléphoner au journaliste local qui viendra réaliser un article sur mon
parcours. Après quelques recherches dans la campagne tourangelle, il finit par
me retrouver au croisement d’une petite route et d’un sentier envahi par les
herbes. Questions et photos, je m’applique à lui répondre en essayant de ne pas
me faire passer pour le champion des illuminés.
Je repars en passant d’un chemin à
un autre à travers champs. Certains s’en étonnent :
« - Vous cherchez le
chemin de Saint-Martin ?… d’habitude ils passent plus bas !
-
Et
non ! c’est votre fossé qui m’intéresse !
-
Mon
fossé ? il sépare la Vienne de l’Indre et Loire ; c’est aussi une
limite de Région.
-
Et
alors, c’est quel côté le meilleur ? »…
Une discussion s’engage sur la
désertification rurale, le suicide des paysans, le prix des céréales
actuellement au niveau de celui des années 80, la politique agricole européenne
qui a trahi les populations locales, vidé les communes de ses familles
ancestrales pour les remplacer au mieux par des populations ignorantes des
usages passés…le réquisitoire est long et sans appel.
Le chemin traverse maintenant les
bois silencieux, favorisant mon questionnement sur les dualités
passé/modernité, modernité/progrès, progrès/bonheur ?… Une chose est
sûre : le fermier qui vit en ces lieux n’est plus maître de son destin. Il
s’adaptait auparavant ; il subit maintenant. Et lorsque son cri de
souffrance retentit, il résonne dans les campagnes mais jamais ne franchit les
murs des doctes assemblées.
Je butte (au sens propre) sur une
nouvelle modernité : l’autoroute A10 me barre le chemin. Un simple
individu se voit empêché de poursuivre son chemin pendant que des milliers
d’autres défilent à toute allure face à lui. La rapidité des uns aggrave la lenteur
des autres : le détour par le pont le plus proche pour revenir juste en
face me prendra le temps d’une liaison motorisée entre deux villes.
Il est temps de penser au bivouac
du soir. J’hésite à m’installer en compagnie des chevreuils qui gambadent dans
le bois mais préfère en sortir car la pluie traverse la futaie jusqu’au
sol.
Un élevage porcin de 170 truies
sera ma prochaine étape. L’éleveur m’offre l’usage de son hangar tout en
s’épanchant sur sa tristesse de voir tomber en ruines la superbe demeure
voisine du XVIIIème siècle. Je me dis que la dualité passé/modernité aurait pu
prendre ici un sens positif si le propriétaire de ladite demeure n’avait refusé
à notre éleveur de l’acquérir. Il y avait pourtant vécu jadis, dès l’age de 5
ans. Mais le propriétaire est sans doute dans l’attente d’autres perspectives
de vente plus juteuses ; à moins que vivant dans une grande
« métropole » il n’ait oublié qu’ici quelqu’un pourrait vivre
dignement sur cette terre et ce bâti…
« - …170 truies… pour moi ça va. Mais pour mes
enfants ? Ils ne pourront pas investir pour tout moderniser et remettre
aux normes… Ils veulent bien mais moi, je ne les pousse pas ! ».
Un nouveau coup de téléphone
m’annonce la visite de Jean-Luc et Françoise. Ils arrivent sans la pluie mais
avec un liquide rosé beaucoup plus sympathique dont nous profitons pleinement,
installés face à cette demeure si romantique. Ce soir, nous combattons la
fatigue et la tristesse des lieux
délabrés par nos rires et joyeux bavardages.
Quelle journée ! je retourne
sous ma grange envahie de poutres effondrées et de ronces. Dodo.
Des chevreuils, des oiseaux, un hérisson aplati par
une roue de tracteur…
Des amis, un journaliste, un maire, des amis, ma
compagne, des fermiers, un éleveur, des amis…
Un canoë, un chavirage, des vêtements secs, deux
pique-niques, une tendinite, des anti-inflammatoires avec de l’eau, une
bouteille avec du rosé (oui je sais…).
Vingtième étape :
Antogny-le-Tillac (La Cloerie) à Gençay
Morne journée.
Lever au petit jour en pestant après
les cabots qui aboyaient cette nuit. Je mélange mes poudres sur le réchaud afin
d’obtenir un petit déjeuner potable ; avec un anti-inflammatoire en prime
car je sais que j’en aurai besoin, ma cheville refuse de se plier. Je quitte la
grange délabrée sous les hurlements d’une meute de chiens qui se déchaînent dès
qu’ils me voient. Au loin l’éleveur de porcs a déjà commencé sa journée de
travail ; il lève sa main d’un air de dire « bon vent, l’ami… » ; je lève
mon pouce en guise de remerciements.
J’avance à travers les sous-bois
par des chemins faciles jusqu’au chantier de la LGV en construction. Cette autre
ligne s’oppose catégoriquement à la mienne ; elle semble affirmer tous ses
contraires : rectiligne, inaccessible, conçue pour la vitesse, rentable dans
son exploitation, coûteuse dans sa construction, dévoreuse d’espaces… Je
m’interroge à nouveau sur les bénéfices de la vitesse, son utilité réelle, les
avantages qu’elle apportera aux usagers ; le temps gagné dans leurs
déplacements leur sera-t-il vraiment bénéfique ? Ou leur sera-t-il volé
aussitôt leurs pieds posés sur le quai d’arrivée ? Le temps serait de
l’argent dit-on, mais combien valent les heures, et qui en profite
vraiment ? En attendant, je file jusqu’au pont suivant, perdant une
demi-heure à longer la clôture dans un sens, puis dans l’autre. J’aurais bien
tenté de me faufiler à l’intérieur d’une conduite qui passe sous les
voies ; mais l’idée de ressortir en face du mauvais côté de la clôture,
les vêtements râpés et salis, me dissuade de tenter l’expérience. En certains
cas les petits mammifères sont plutôt avantagés par rapport aux grands
bipèdes !
Il n’y a plus personne sur ma
ligne pour enrichir mes pensées. Je suis seul. Seul dans les bois, seul dans
les champs de blé, seul dans les champs de maïs tout juste semés, seul dans les
champs de luzerne, de colza, d’avoine à peine germée… Il y a trop de céréales,
trop de pluie, de la fine, de la petite, de la forte, trop de grisailles, trop
de silence, trop de boue qui alourdit chaque pas ; des pas douloureux, des
pas ralentis, des pas saccadés, cadencés. J’avance lentement, claudiquant,
souffreteux, sans aucune autre raison que d’avancer comme un âne attendant sa
ration. J’erre. J’erre dans les prés, dans les champs, j’erre sur les chemins,
les routes ou le long des fossés, j’erre au travers des vignes et des bois.
Il en est ainsi toute la journée,
seulement entrecoupée des courtes pauses que réclame mon corps pour continuer
son labeur.
J’arrive au soir sous une pluie
battante dans un hameau dépourvu d’âme et de fermes. Je me résous à interpeller
quelques habitants par dessus leurs clôtures ; ce qui n’est pas vraiment
la meilleure façon de procéder. Après trois refus secs de visages bien fermés,
je désigne à un quidam méfiant une remise à bois ouverte à tous vents mais
protégée de la pluie ; on m’y autorise finalement l’accès. Un chien errant
viendra me consoler de cette triste journée solitaire ; je le remercierai
chaleureusement en partageant un saucisson avec lui.
La pluie tombe sur la tôle ondulée
au-dessus du hamac tendu entre deux poteaux ; au moins je peux m’endormir,
bien bercé !
Des chiens, de la bruine, de la pluie, des averses,
des chiens, des averses, un chien.
Vingt et unième étape : Gençay à Assay
Après le gros coup de mou de la
veille, je m’octroie quelques heures de repos pour recharger les batteries. Le
grand chien noir qui était venu partager mon repas du soir revient me voir,
s’approchant en douceur, silencieux ; il ne réclame rien, juste ma
présence, me renifle, se frotte contre mes jambes comme pour me remercier des
instants partagés la veille. Il repart lentement, satisfait par la seule
chaleur des contacts de nos corps. C’est ce petit rien apporté par ce chien qui
suffit à me faire repartir l’esprit plus joyeux.
Je reprends mon périple par une
succession permanente de bouts de sentiers aussitôt quittés pour suivre des
lisières de forêts et de champs, suivre des traces de tracteurs, attendant les
moments de bien-être procurés par la facilité d’un chemin ou d’une prairie. Je ne
sais plus où je suis, réalisant seulement que trois semaines se sont écoulées
depuis mon départ et que mon crédit de jours disponibles s’amenuise sacrément.
La pluie reprend, m’obligeant à
incliner mon corps vers le sol ; je n’aime pas cette position qui vous
oblige à courber l’échine dans l’adversité. Il faut alors trouver d’autres
ressorts moraux pour suivre sa voie… Le coup de fil d’un journaliste me sort de
ma torpeur ; il voudrait me rencontrer, me fixer un rendez-vous, me
localiser… sauf que je suis bien incapable de lui dire où je serai ni à quel
moment. Le plus simple serait de le rappeler
pour lui donner un lieu accessible à l’heure d’un pique-nique où d’un
bivouac ; mais certains agendas ne supportent aucune attente ni
improvisation. Je finirai par ne lui donner au téléphone que de simples
impressions de voyage, malgré les coupures de communication dues à l’eau qui
dégouline sur mon téléphone.
La tendinite se rappelle à moi. Le
crachin s’installe durablement ; mes pieds trempés en permanence ne suivent
plus la cadence souhaitée. La progression est lente, trop lente ; et une
rivière peut encore la stopper totalement. C’est ce qui arrive lorsque je
croise le cours du Mable, à l’aspect peu aimable. La rivière n’est pas très large,
quatre mètres environ ; mais elle est engoncée dans un épais carcan
végétal et bien déterminée à ne pas se laisser franchir ; aucun gué, aucun
pont aux alentours, aucune possibilité de détour raisonnable. Je cherche.
Quoi ? Les lieux, sauvages, n’ont visiblement pas été entretenus depuis
des lustres donc… Mes espoirs finissent par devenir réalité : un arbre
incliné depuis l’autre rive, presque déraciné, lance dans ma direction deux de
ses branches maîtresses. Sauf que la liste des travaux à réaliser est un peu
longue :
1/ pratiquer un passage entre les
orties
2/ poser le sac
3/ affaisser la branche inférieure
jusqu’au sol (le poids de tout mon corps suffit à peine…)
4/ casser les branches mortes
5/ couper les branches verticales
partant de la branche horizontale (utilisation de ma serpette fétiche)
6/ grimper sur la branche
inférieure
7/ tailler la branche supérieure
8/ avancer au-dessus de l’eau en
équilibre en tenant la branche supérieure ; poursuivre la taille
9/ revenir sur la berge
d’origine ; peaufiner le travail
10/ reprendre le sac et lancer les
bâtons vers l’autre rive
11/ reprendre pied sur les
branches (avec le poids du sac) ; avancer les bras en l’air, accrochés par
le haut.
12/ prendre le tronc principal à
bras le corps et se laisser glisser en dévers sur la rive opposée. Suée…
Un dernier effort pour poser les
deux pieds sur la berge… Ouf ! c’est passé ! Fier et Heu -
reux ! je m’offre une petite récompense en avalant des pâtes de fruits
avec de l’eau…
La série reprend : prairies,
champs, chemins, lisières…
« - Bonjour ! ».
Maître truffier est penché sous
ses arbres. Il les soigne, les bichonne, les gratouille, les admire. La
truffière c’est sa seconde vie, sa passion. Cet ancien ingénieur qui exploitait
le sable de la forêt de Fontainebleau, utilisé en verrerie, transforme
maintenant la terre en fine nourriture. A l’heure de la retraite il a acheté
une vieille truffière mal entretenue pour en faire un modèle du genre.
« - …par passion uniquement, parce qu’on en
vivrait pas. D’ailleurs, je n’ai pas encore de chien, ils valent une fortune,
alors je partage ma récolte avec un collègue qui en possède un ».
Il m’identifie comme un trekkeur égaré. Je
confirme le premier terme avec fierté, il est le premier à m’appeler ainsi. Les
autres parlaient de « pèlerin », ce qui ne me convenait pas
vraiment ! Pour ce qui est de l’égarement, il suffit de lui parler de
« lignes » pour mieux comprendre : ses souvenirs d’alpinisme se
bousculent dans sa tête ; il revoit et décrit les lignes blanches gravies
à l’Aiguille du Midi, les lignes verticales escaladées dans les Drus et rêve à
72 ans de repartir faire un trek en Birmanie. Nous échangeons avec plaisir
d’autres conseils et souvenirs. Une rencontre passionnante… Bon vent à nous
deux ! Tchao l’artiste.
Le soir approche. La pluie revient
au moment où j’envisage d’installer le bivouac mais les habitations se
font rares. Il me faut encore prolonger la journée de marche pour atteindre un
carrefour bordé par deux ou trois maisons. Un vieux monsieur tout gentil écoute
ma demande d’un abri ; sa petite grange qui lui sert de remise me convient
parfaitement ; il réfléchit en silence, m’entraîne chez sa voisine qui
possède une chambre d’hôte, malheureusement occupée. Il réfléchit à nouveau,
ennuyé de ne pouvoir m’accueillir dans son foyer et réticent à me voir coucher
dans la poussière de sa grange. Je comprends que la grande fatigue de ce couple
bienveillant l’empêche de m’offrir davantage et l’assure qu’une vieille
porte renversée sur le sol de son appentis suffira à mon confort. Il m’ouvre un
robinet d’eau et revient un quart d’heure plus tard avec une soupe…
Croyez-moi, un bol comme celui-ci,
ça vaut toute une journée de marche !
L’ami Marc téléphone : je
n’avais rien compris à ses SMS de la journée, ou peut être oublié de les lire
lors ma « bataille » sur le Mable ! Malgré mon choix de
voyager avec un portable et un GPS, je réalise à quel point mon être est
déconnecté : Marc me recherche depuis deux bonnes heures avec un dîner
pour deux dans le coffre de sa voiture ! Il a poussé le détail jusqu’à
prévoir un réchaud de camping pour cuisiner deux steaks bien tendres
accompagnés de légumes et d’une bouteille de Bordeaux. C’est ici incongru,
sympathique, inoubliable… surtout lorsqu’on ne s’y attend pas ! Nous
profitons de cette soirée qui me redonne quelques forces en prévision des deux
dernières étapes, en parlant de notre dernière virée hivernale au cours de
laquelle nous avions bivouaqué dans la neige au cœur du Massif Central.
Je retourne rassasié et
reconnaissant au fond de ma remise. Au cours de cette soirée, c’est la chaleur
humaine qui m’aura le plus comblé.
Six chevreuils, des orchidées, des escargots de
Bourgogne, des petits gris,, des jaunes, des rouges, des limaces noires et
oranges, des chênes truffiers, deux belles rencontres et celle d’un ami…
Vingt-deuxième étape : Assay à Seuilly (La Guilbauderie)
Avant de partir, Monsieur « Gentil »
est venu me proposer de prendre le petit déjeuner avec lui. J’en profite pour
en savoir un peu plus sur lui ; cet éleveur de vaches laitières garde un
œil sur le métier ; son fils a pris sa succession. Cent vaches qui
produisent un lait vendu de moins en moins cher. Il pense lui aussi que leur
métier est volontairement sacrifié, qu’à terme il n’y aura plus qu’une seule
grande industrie agricole, sans paysans. Pendant que nous discutons, un joli
camion citerne estampillé « Soignon » sort de la ferme voisine. Je me dis qu’il est venu
faire la traite, lui aussi… Pendant ce temps il m’explique :
« -… Le lien social par le travail c’est
important ; je ne comprends pas que certains aillent tout casser à Paris.
Je suis inquiet ; les jeunes, ils devraient penser d’abord à
travailler… ».
Je partage son inquiétude, mais en
lui faisant remarquer que les choix politiques des dernières années n’ont pas
été dans le sens de la préservation du travail…
Nous nous séparons sans avoir pu
épuiser le sujet mais satisfaits de notre rencontre.
Dehors il ne pleut plus ;
mais les champs sont gorgés d’eau, les fossés débordent de partout et comme par
hasard ma ligne traverse de
nombreux champs ce matin. Les blés sont trempés, courbés, ce qui fait que même
en suivant les traces de tracteur je suis aussi mouillé que s’il pleuvait. Ils
commencent à prendre une vilaine couleur jaunâtre et je remarque que depuis
plusieurs jours ils n’ont quasiment pas grandi. Il faut marcher dans la boue et
sauter par dessus les flaques et fossés. La réception sur ma cheville
douloureuse est parfois difficile ; un saut un peu trop court me fait
arriver sur la pente d’un fossé. Dérapage, glissade, chute face contre terre,
la journée commence par un débarbouillage de circonstance ! Elle se
poursuit par le passage de deux petits cours d’eau bien vifs qu’il faut passer
par des gués ; l’eau m’arrive au-dessus des mollets… ça nettoie bien les chaussures.
De toutes façons il était inutile de les ôter, les pieds et les chaussettes
étant trempés depuis belle lurette !
L’après-midi se présente sous de
bons auspices. De beaux et larges sentiers permettent d’avancer à la vitesse
normale d’un randonneur, du moins lorsque c’est possible : des coups de
poignards imprévisibles lancés sur ma cheville m’arrachent des cris à faire
fuir les sangliers tapis dans leurs bauges. Je compte les minutes qui me
restent avant la prise du prochain calmant ; les pauses durent parfois
près d’une heure avant de pouvoir repartir pas à pas, puis accélérer doucement
jusqu’à ma vitesse de croisière. Paradoxalement, je reste confiant : ma
technique de gestion des efforts et de la douleur semble fonctionner. La
perspective de l’arrivée prochaine ravigote tous les sens ! J’allume le
GPS de plus en plus souvent, juste pour admirer la boucle dessinée depuis trois
semaines, qui se ferme et se referme…
C’est au cours d’une de ces pauses
au carrefour d’une petite route que je vois surgir une voiture qui revient vers
moi à toute allure pendant je me prélasse, allongé contre le talus du
fossé, massant obstinément ma cheville dans un va et vient lancinant.
L’automobiliste me demande fermement ce que je suis en train de faire… avant de
réaliser sa méprise. Il pensait que je sortais de la ferme voisine inoccupée à
cette heure, en train de rassembler les objets qui m’auraient fait envie !
« - Vous savez, faites un peu attention où vous
êtes » me dit-il, « on surveille tous un peu nos maisons par ici ». Dont
acte… je n’avais jamais pensé qu’un homme couché pouvait faire plus peur qu’un
homme debout.
Je reprends mon trajet et avale
quelques kilomètres. C’est tant mieux parce qu’une jolie peupleraie très très
vaste m’attend, très humide, très encombrée d’orties qui piquent, de garances
qui collent (excuse moi Garance…), de ronces rampantes qui font trébucher, de
bois morts cachés dans les herbes ; le tout dans une ambiance
tropicale qui vous fait transpirer et avaler toute l’eau qui vous reste. Le
peu de soleil apparu aujourd’hui commence à décliner lorsque j’en sors. Au
hameau suivant quelques couples joyeux profitent du week-end sans pluie pour
abreuver leurs corps de bières ambrées qui redonneraient bien quelques couleurs
à mon teint diaphane… Déshydraté et la langue pendante, je pénètre dans la cour
en quémandant un litre d’eau… j’en ressors satisfait de ma demande, mais bien
marri !
Le ciel s’assombrit mais les
nuages restent sages à la tombée du jour. J’opte pour ma formule de bivouac
préférée : seul au milieu d’un bosquet en compagnie de mes amies les
chouettes, le hamac suspendu entre deux arbres sans autre protection qu’une
bâche de secours.
Profitons pleinement de cette
dernière nuit, mesurons en pensée le chemin parcouru. Je vide mes derniers sachets
de nourriture. Demain, c’est sûr, je gagnerai mon pari !
Des hérons en attente, des canards en couple, des
pigeons roucoulant, des faisans froufroutant, un pic-vert très pressé, une
biche effrayée, des pêcheurs sur le lac de Marçay… des poissons sous l’eau.
Vingt-troisième étape : Seuilly à
Candes-Saint-Martin !
Mon pronostic était bon : il
n’a pas plu lors de cette dernière nuit de bivouac. Je suis heureux d’avoir pu
en profiter pleinement, de n’avoir eu aucun autre obstacle que mon duvet entre
mon corps et la voûte céleste. Je me lève dès la fin des ténèbres, au moment ou
les yeux commencent à distinguer les arbres et objets que j’y ai suspendus. Je
ne perds aucun temps dans la préparation du petit déjeuner et du rangement de
mon sac : je suis bien trop pressé à me mettre en marche, soucieux de
parcourir la trentaine de kilomètres qui me séparent de l’arrivée avant la fin
d’après-midi. Tous mes proches et amis ont compris que cette journée devait
être celle de mon succès ; il serait trop bête de rater cette étape en
arrivant le lendemain…
La sortie du bois s’effectue
rapidement ; la traversée d’une petite route me permet d’admirer le
splendide château de Montpensier éclairé par les premiers rayons lumineux.
Cette journée au pays de Rabelais qui séjourna ici s’annonce fantastique. Une
envie soudaine me prend d’achever ma bataille tourangelle à la manière d’un
Gargantua arpentant les vallons et prairies !
Mais ce diable de Picrochole n’est
pas loin : le perfide a inondé les champs dans lesquels les pieds
s’enlisent jusqu’à se déchausser ; il a dressé des murailles d’épines
obligeant à des reculs et détours ; il a brouillé les repères, effacé les
paysages disparus derrière les haies et collines. C’est un vrai labyrinthe, qui
m’empêche de suivre ma ligne aux endroits où celle-ci dessine des angles impossibles à
atteindre. Cinq cents mètres de perdus ; une heure trente aussi. J’opère
un repli stratégique, repars à travers champs au milieu des blés de plus
en plus jaunes, victimes de je ne sais quelles diableries, de l’avoine tout
juste semée où je m’enlise à nouveau.
Je descends un talus bien plus vite que prévu en glissade fessière…il
est temps que cesse ce combat !
Enfin je retrouve la riante Rabelaisie, ses
maisons de beiges tuffeaux entourées de jardins fleuris, ses petites routes et
chemins clairs qui s’enchaînent les uns après les autres. La chance me sourit à
nouveau, jusqu’à trouver un ravitaillement imprévu au carrefour d’un
sentier : des villageois nourrissent et abreuvent d’une boisson bien
locale les randonneurs et cyclistes qui arpentent le secteur en ce dimanche
matin. J’en profite comme un bienheureux, écoutant avec curiosité les trois
compères qui discutent de la meilleure façon de trucider Maître Goupil, accusé
du carnage d’une centaine de volailles !
« - des poulets avec l’cou tranché comme ça,
y’a qu’Renart pour s’y prendre de c’te façon ! »
La prochaine battue est annoncée,
Renard est prévenu, gare à sa queue…
Je repars de l’avant rassasié de
vitamines et l’esprit guilleret après moults remerciements.
Le sentier pénètre maintenant dans
la forêt de Fontevrault. De belles allées à l’itinéraire évident. Des rais de
lumière s’immiscent au travers des branches jusqu’au sol. La voie est libre, le
ciel clément en ce beau dimanche de Pentecôte. La zone militarisée parfois
occupée par des manœuvres de chars est déserte aujourd’hui. Je parcours en
vainqueur mon dernier champ de bataille. J’allume le GPS pour suivre en direct
l’avancée du curseur qui se dirige droit devant vers la ligne bleue de La Loire.
Sur les chemins balisés qui traversent la forêt, je profite une dernière fois
des odeurs de l’humus réchauffé par le soleil printanier. Une clairière
apparaît ; elle s’ouvre vers l’ouest sur un joli vallon surplombé par
l’abbaye de Fontevrault : une vue inédite de ce lieu chargé d’histoire,
réservée aux randonneurs qui acceptent les détours menant aux confins de
l’Anjou et de la Touraine. C’est un autre voyage, dans le temps celui-ci, qui
défile sous mes yeux. Je préfère achever le mien d’une façon plus géographique,
transporté par mes pieds orientés vers ma destination finale.
J’atteins Candes par le sud après
une sévère et ultime côte. Les premières maisons aux pierres blanches
apparaissent. Je foule un dernier sentier recouvert d’herbe rase clairsemée de
jolies pâquerettes. J’ai l’impression que quelqu’un vient de dérouler le plus
beau des tapis naturels à l’occasion de mon arrivée.
Plus que 500 mètres, puis 300,
200… je redescends vers La Loire par une ruelle qui débouche sur le quai, à
l’emplacement de la borne limitrophe.
Le point zéro de mon tour d’Indre
et Loire, commencé trois semaines plus tôt.
HEUREUX.
Je traverse le village en être
solitaire surpris par la foule qui envahit la rue principale en cette belle
journée de Pentecôte. Direction LE café où m’attend un comité d’accueil bien
sympathique : Manick et mes proches, et tous les amis qui ont pu faire le
déplacement. Une pluie de messages inonde mon téléphone. Ils se sont tous donné
le mot ! Une bonne bière suivie d’un apéritif servi sur la prairie du bord
de Loire ; un pique-nique festif qui s’ensuit…
Nous sommes le 15 mai ; il
fait beau. Je suis comblé.
Dans ma tête aussi.
Toujours...
J’ai marché, marché, marché
Tous les jours
Tout le jour
Et encore.
J’ai cherché, marché, cherché
Les chemins
Puis les prés
Et les bois.
J’ai suivi, marché, suivi
Les sentiers
Les ruisseaux
Et les routes.
J’ai parlé, marché, parlé
Aux oiseaux
Aux chevreuils
Au soleil.
J’ai peiné, marché, peiné
Des orteils
Aux genoux
Jusqu'aux reins.
J’ai souri, marché, souri
Aux étoiles
Aux nuages
A la lune.
J’ai mouillé, marché, mouillé
Dans les prés
Dans les blés
Et les champs.
J’ai taillé, marché, taillé
Les ronciers
Les orties
Et les haies.
J’ai appris, marché, appris
Des fermiers
Paysans
Vignerons.
J’ai tremblé, marché, tremblé
Aux gelées
Et froidures
Des nuits blanches.
J’ai marché, marché, marché
Tous les jours
Tout le jour
Et toujours.
Communes
Les villages appauvris s’alanguissent,
Les métropoles informes grandissent,
Que vivent les communes !
Les hameaux en beauté
Et les villes fleuries
Fanent sous les ennuis
Des hommes désœuvrés.
Même reclus dans les banlieues - prisons
Hommes et femmes privés d’horizons,
Que vivent nos communes !
Les voisins, les amis,
Avec eux je construis
Ma ville et mon village
Où l’on marche à tout âge.
Ils détruisent nos mairies, nous les volent,
Bâtissent leurs chères mégalopoles,
Que vive ma commune !
C’est là que je veux vivre,
Travailler et puis rire,
Parler et croire enfin
Aux riches lendemains.
Echos de la presse ...
Le Courrier de l’Ouest ; 28 avril 2016 :
La Nouvelle République ; 15 juillet 2016 :
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