Une île des Canaries, au nord-est de l’archipel, un coin du monde à explorer : Lanzarote.
Des paysages coincés entre l’océan et les volcans. Des champs de laves arides et lunaires, des terres et scories sombres d’où émergent des cônes et des caldeiras.
Gravir l’un d’eux et
l’île vous appartient, avec toutes ses formes et ses couleurs, ses villages
blancs entourés de champs noirs. Ici, les paysans recouvrent les terres rares
d’une couche de lapillis noirs qui retient l’humidité déposée par la condensation
nocturne.
Un travail incroyable consiste à planter vignes et légumes au fond de
trous, eux-mêmes protégés du vent dominant par des murets semi-circulaires. Sur
la côte les vagues déferlent sur les roches sombres ; quelques plages
s’animent du va-et-vient de surfeurs avertis.
Lanzarote est une île ouverte.
Ouverte à la mer, aux vents, au soleil. Ouverte aux gens d’où qu’ils viennent.
D’ailleurs il n’existe quasiment aucune clôture d’un bout à l’autre de l’île.
La mer est vive, le vent puissant, le soleil brûlant. Les habitants sont
dynamiques, souriants, chaleureux. Les visiteurs de passage, heureux de se
trouver là, apprécient l’accueil d’un gîte tout blanc posé au bord d’une piste
au pied d’un volcan désertique.
Katia nous présente sa maison
rénovée au milieu des terres agricoles; ici comme partout sur l’île, il faut
consommer l’eau avec parcimonie, éviter de la polluer avec des déchets
inutiles, aérer les pièces dont les murs construits en pierres de lave poreuse
ont le seul défaut d’absorber les rares averses mais fréquentes condensations
nocturnes. Un défaut qui devient qualité sur les terres cultivables. Ici les
nuages formés par les évaporations marines filent à toute vitesse au ras du
sol, déposant la nuit les gouttes de vie qu’insectes, plantes et paysans
utilisent de leur mieux. Un défaut que la Nature et le travail des campesinos
nous rendent sous forme de bons verres de malvoisie ou de muscat provenant des
ceps plantés un par un au fond des trous creusés à leur intention.
A l’ouest de l’île, une crique
minuscule bordée de quelques maisons de pêcheurs ; l’on s’y baigne entre
les rochers qui vous protègent de l’assaut de vagues furieuses qui éclatent
quelques mètres plus loin. Au pire y croisons-nous trois ou quatre promeneurs
venus se ressourcer le temps d’une partie de cartes sur le gravier de lave.
Un peu plus au nord s’étend la
grande plage de Famara.
Elle s’allonge jusqu’au pied de la plus grande falaise
de Lanzarote. Sur l’estran sablonneux patientent des surfeurs dans l’attente du
retour des plus belles vagues; échauffement musculaire et jeux
acrobatiques pour quelques-uns, méditation poétique pour d’autres plongés dans
une lumière irréelle filtrée par les embruns. Certains somnolent dans les vans
alignés sur la piste le long des dunes. Un rai lumineux éclaire un container
aux peintures rouillées qui sert d’abri aux sauveteurs. Un drapeau rouge
s’effiloche au vent ; le retour de marée se fait désirer. Alors, on met à
profit ce farniente obligé pour déambuler dans les rues du proche village de
Caleta de Famara. La nuit arrive, de chaudes lumières éclairent les
fenêtres ouvertes des maisons blanches. Il s’en échappent des cris enfantins,
la musique d’un club de danse, des conversations liées au repas du soir…
Réveil à 7 heures. Objectif Caldera
Blanca. Ne pas trop traîner pour se mettre en marche. Programme
minimaliste : des pierres, des vents, du soleil ; deux cônes
volcaniques et un cratère. C’est tout.
Ni arbres, ni herbe, ni plantes. Ni eau
ni faune visible. Alors on n’attend pas l’heure du zénith pour cuire sur
la roche gorgée de chaleur. Pas de vêtements superflus short et tee-shirt suffiront ; une économie
de place comblée par plusieurs litres d’eau que l’on boira à une température de
35 degrés. Les petites maisons blanches de Tinajao diminuent à vue d’œil à
mesure que nous avançons. On pénètre d’un coup dans le noir désert. Une mer en
furie statufiée par magie. Des glaciers fracassés transformés en séracs de
roches noires. Des mélanges de pierres et bulles d’air, d’éponges terrestres,
de coulées sinueuses et dégoulinades durcies. Pas d’eau, et pourtant ici toutes
les matières ont fondu, bouilli, cloqué, explosé et se sont écoulées. Un
orgasme terrestre venu du corps de la planète que le souffle marin a figé au
dehors du méat. On avance lentement au milieu de ce capharnaüm. Les quelques
tentatives de sortir du vague sentier tracé au fil des années se soldent par un
retour rapide suite aux protestations de vos pieds, coincés dans les
anfractuosités et de vos gambettes, frottées sur des aspérités abrasives. Deux
cônes tronqués émergent au-dessus de la marée noire. Lorsqu’on les atteint, la
nature du sol change ; il devient clair, friable, parfois sablonneux et
lorsque la pente s’élève il arrive que vos pieds dérapent si vous n’y prenez
garde. Au pied du mastodonte quelques rares buissons et aloès tentent de
s’installer, coincés entre le volcan et la mer de lave ; la plupart
meurent desséchés, leurs branches et leurs hampes rabattues sur le sol. Nous
arrivons au sommet de la caldeira : un cercle parfait de mille mètres de
diamètre surplombe la dépression intérieure que des pluies violentes ont striée
en étoile jusqu'à son centre. Au loin, le regard porte jusqu’à l’océan. La
lumière s’accroche sur les reliefs, les teintant de couleurs pastels détachées
de l’horizontalité terrestre.

Timanfaya est la plus grande
réserve naturelle de Lanzarote. Plus de 200 kilomètres carré de monts
volcaniques, cratères et bulles de roches éclatées, vomissures et coulures
magmatiques.
Des rivières de lave ont coulé entre les volcans, s’étalant en
chaos surréalistes du centre de l’île jusqu’à la mer. Six ans d’éruptions
continues de 1730 à 1736 ont englouti une vingtaine de villages. Une réserve
sans faune et sans flore, sans terre et sans eau. Le minéral tout neuf à l’état
brut. Une gigantesque sculpture de terre molle tout juste sortie d’un grand
four. L’extrusion des gaz et des laves de natures différentes a émaillé les
reliefs ici où là. Le jeu des lumières et nuages bousculés par les vents anime
le paysage comme le ferait une lanterne magique. Il faudrait être biologiste
cherchant à quatre pattes insectes et lichens pour comprendre que nous n’avons
pas quitté Terre. Nous n’avons pas aluni, mais nous sommes ahuris.
Un
aménagement touristique pour une fois intelligent a réservé quelques kilomètres
carrés de cette immensité à la vue et l’esprit des quidams de passage. On
dépose son véhicule deux kilomètres après avoir pénétré dans l’espace lunaire
par une petite route initiatique serpentant entre les reliefs. On accepte la
présence de polyglottes inconnus pour poursuivre le voyage dans un bus. Une
dizaine de kilomètres à la vitesse d’un hérisson sur un étroit ruban asphalté
qui se confond avec le paysage. Le reste de l’immensité reste ainsi préservé de
toute présence mécanique et humaine. Une frustration utile et compréhensible
que l’on décide de compenser rapidement par une randonnée pédestre sur des
espaces autorisés.
El Gofo s’y prête
magnifiquement : un ancien cratère égueulé sur la mer cache une lagune
vert fluo sur un fond de graviers d’un noir profond. On quitte le belvédère
destiné aux vrais touristes faux-tographes pour marcher sur les roches
volcaniques le long du littoral. La sélection naturelle due à la nature du sol
et l’obligation de porter des chaussures de randonnée dans un pays ou tout le
monde vit en sandales fait que vous vous retrouvez très vite assez seuls. La
lune vous appartient, ici et maintenant.
César Manrique.
Un nom d’artiste qui sonne avec
celui de Lanzarote où il est né. Ecrit en lettres géantes sur le fronton de
l’aéroport. Car ici on arrive sur une île dont il a repris les lignes courbes
et droites qui façonnent les villages et les paysages. Un art exprimé en tous
lieux par dessins, peintures, sculptures, constructions et architectures,
objets décoratifs, aménagements de sites naturels et plantations de végétaux
exotiques, conseils environnementaux… un art puisé dans la blancheur des
villages, les couleurs de la mer, la noirceur de la roche, les courbes des
volcans, les angles des maisons, la chaleur des pierres, la fraîcheur de l’eau.
Amoureux de son île natale, des villages de pêcheurs aux rues sablonneuses, du
travail des paysans sculptant les paysages, il entreprit de mettre en valeur ce
qui existait et d’accorder son art avec celui de la nature. Il ne refusait pas
la modernité, il l’adaptait, décorant voitures et ronds-points, restaurant des
maisons, des musées, et aménageant des sites touristiques. On lui doit
l’absence de publicités sur toute l’île, ainsi que de bâtiments de plus de deux
étages. Les promoteurs ont été priés de revoir leurs copies et de limiter à
deux ou trois sites leurs volontés expansionnistes.
Qu’en sera-t-il dans les années
futures ? Alors de grâce, évitez ces quelques zones d’hébergements standardisés,
fuyez les clubs de vacanciers et préférez l’accueil chaleureux d’une casa
rurale d’un village intérieur…